OPS Angola-Unita Mémoires de Bosco

 

Michel LOISEAU, Bosco ...

Bosco; une autre figure de notre microcosme. Ancien Commando Jaubert; Indochine, Algérie, il servit sous la bannière OPN dans les opérations du Biafra, de l’Angola, du Bénin, des Comores 78 et 95. Extraits de ses mémoires inachevées…

 

En Angola pour la CIA

 Retour vers l’Europe


 

Après 57 jours de voyage sur un paquebot italien, venant de Sydney, je posais les pieds sur le quai à Gênes avec satisfaction. Ce périple marin, m’avait paru interminable, je me demande ce que les gens qui font des croisières trouvent à ce mode de farniente. Moi, si je ne fais rien sur un bateau je m’en m’emmerde. Tout ce que j’y avais gagné était d’avoir amélioré mon italien.

La gare de Gênes était toujours aussi crado et les trains en retard. J’arrivai à Menton, le soir tombait. Je sortis du train, et pris une chambre en ville, je ne tenais pas à arriver à Cannes de nuit. Je pris une douche et allais prendre une bière en ville. J’étais comme un malade qui sort de l’hosto, le pas hésitant, le geste peu sur, et découvrant que le monde avait continué de tourner pendant mon absence. Je trouvais très exotique de pouvoir commander un demi de bière dans ma langue, et de payer sans calculer, et surtout qu’on me comprenne sur-le-champ.

Après une nuit réparatrice, je pris le train côtier, les gens allaient à leurs affaires, parcourant leur journal, le geste sur des habitudes inchangées, je me sentais encore étranger. A cannes je mis mes bagages en consigne et partis le nez au vent vers le port. Je ne connais pas un marin qui ne commence par ça, en arrivant dans une ville inconnue. Les bruits, les odeurs, tout lui est familier. C’est sa façon d’être chez lui n’importe où.

Premier verre au tabac du coin, les garçons sont les mêmes, les têtes connues entrent et sortent, je m’imbibe de l’ambiance, les propos les plus quelconques me ravissent. J’y suis, le moral se met en route, l’angoisse du retour est oubliée.

Sur le quai, je tombe sur le P’tit Charlie en train de saucissonner en pérorant avec un comparse invisible, sans doute dans les entrailles d’un bateau. Son geste reste en suspens

« Ah, ben merde, d’où tu sors ? »

« Du bout du monde rat de quai ! »

« On va boire un coup, il fait, en pliant son couteau, la voix dans le bateau continue de parler. »

Il me passe les dernières nouvelles, je me raconte. Charlie, c’est un bon pote, avec lui je ne me gratte pas, il comprend ma façon de fonctionner.

« Tu as de quoi me loger ? »

« Pas de problème mec, je vais te mettre sur le Varuna, il a tendance à couler, mais le taulier paye, alors je le garde »

«Tu le gardes où tu le regardes, je ne vais pas dormir avec la bouée autour du cou ! »

« Déconne pas, il se marre ».

Nous grimpons à bord, c’est un voilier de 13 mètres en acier, un peu ancien, il me met au parfum des détails domestiques, on s’assoit dans le cockpit pour discuter.

« Qu’est-ce que tu comptes faire ? »

« Écoute, si il y a un peu de défense tu me fais signe, faut que je me remplume. »

« Ok, je vois ça, de toute façon je suis là tous les jours en ce moment ».

J’ai heureusement une solide équipe de potes dans le milieu marin, je peux tomber de la lune, je trouve toujours à me loger et un petit job en attendant des jours meilleurs.

J’ai passé le mois d’octobre à toute sorte de boulots. On ne brille pas mais on s’en sort. Les bateaux bâches, l’usine à rêves est fermée, les nymphettes de l’été tortillent du fion au fond de leur bureau en perdant leur bronzage. Tout le monde du yachting hiberne, les bistros son plein de mecs qui racontent leurs croisières et montent des coups foireux pour l’année à venir.

Pour ma part, je subsiste, guettant une occasion pour bouger. Je revois le père Egé, la vielle gloire, toujours affairé, il à une auto-école maintenant, qu’est-ce qu’il n’aura pas fait ! Il me repasse une adresse où je peux joindre Bob, un intermédiaire. Il à l’air d’être au courant de quelque chose, mais ne m’en dit pas plus.

« Essayez, on ne sait jamais » quel blaireau !

Je me fends d’une bafouille, à tout hasard. Une semaine plus tard j’ai un numéro de bigot. Je me tâte, dans quelle galère je vais encore me mettre ? D’un autre côté, je commence à en avoir ma claque de roupiller dans un duvet humide, roulé dans une voile, l’hiver reste l’hiver, même sur la côte d’azur. J’appelle ; le Vieux est un peu surpris de m’entendre, mais me file un rencard à Paris. Je prépare mon sac, embrasse les copines, et file les clés du bateau à Charlie qui se marre.

« Je t’appelle quand j’ai du neuf. »

J’ai un rencard avec le Vieux dans le 16ème, les temps changent. Il pleuvasse, les gens vont à leurs affaires avec des têtes de croque-morts, je médite devant monde demi, quelle vie de con ! Autant se tirer.

Une silhouette connue apparaît, il claudique avec élégance, costard gris strict, imper et mallette à la main. Il arrive, sourire discret, poignée de mains, cordiale mais sans plus, ses yeux bleus me scrutent ; « alors Bosco, je vois que tu as la forme. »

« Ça va Patron, à part le temps »

« Qu’est-ce que tu deviens depuis le temps ? »

« Le large, le Pacifique, les îles, enfin la routine » je me raconte un peu, mais je vois vite que cela l’intéresse peu, j’écourte.

« Alors si vous avez quelque chose en route, ça peut m’intéresser », autant aller au but direct.

Il se tire les poils du pif, balaie les abords d’un coup d’œil, et ricane doucement,

« Ouais, tu tombes bien, il me faut des gars solides, soupire prolongé, c’est pour l’Angola, tu suis ? »

« Oui, vaguement, vous savez moi, les nouvelles du monde », je fais un geste désabusé.

Il me fait un rapide exposé de la situation, il y a déjà une équipe sur place, des jeunes surtout et il aimerait l’étoffer avec des anciens.

« Je dois voir quelques gars, vous partirez cette semaine, tu restes à Paris ? »

« Je suis libre dès à présent »

« Ok, tu vas rester avec moi, j’ai besoin de quelqu’un pour les détails, reste à l’hôtel, Roger fera la liaison »

« Il vient avec nous ? » Roger est un des plus anciens, et un de mes copains.

« Non, il n’est pas disponible, mais il me donne un coup de main ».

« Je pars comme quoi ? »

« Comme capitaine, tu as l’âge et l’expérience, je sais que tu sais mener les hommes et on te connait. La paye, une brique par mois et l’assurance habituelle, ça te va ? »

Et il m’allonge 500 $ discrètement « pour les frais, appelle-moi demain ! »

Il se lève et part comme il est venu. Je reprends un demi, et le déguste lentement, c’est drôle, il y a ¼ d’heure, j’étais à demi clodo et je me retrouve avec un job, du fric et de l’avenir occupé pour un moment. Elle n’est pas belle la vie !

Dès le lendemain, je commence mon boulot de porte sacoche, pas trop astreignant. Le vieux, il lui faut toujours quelqu’un avec lui, depuis que je le connais j’en ai vu des mecs dans son sillage. D’habitude c’est Roger, faut qu’il soit bien occupé pour ne pas être disponible.

Pour l’heure je collationne les appels téléphoniques des candidats. Il y en a des gratinés, tel ce mec « officier hors pair et meneur d’hommes qui n’acceptera pas de servir en sous-ordres »
Encore un qui se prend pour Bigeard. Un autre veut un contrat longue durée et la sécu, ben voyons, et l’autre qui veut un logement et une voiture de fonction, n’importe quoi !

Roger nous rejoint le soir, on se marre bien, c’est souvent lui qui voit les candidats pour le premier contact, le Vieux ne tient pas à voir défiler un tas de mythos dans son repaire.

Ce contrat d’Angola se présente bien, longue durée ? On verra, dans ce genre d’affaire, on n’est sûr de rien. J’apprendrai plus tard que ce sont les ricains qui casquent, la France, comme toujours ferme les yeux sans trop s’engager.

Je parcours le Larousse pour trouver des pseudos aux gars, mais les gars ont leurs marottes, je n’arriverai qu’à caser qu’un général de la révolution. Encore une belle partie de rigolade. Roger, ancien de tous les combats de l’Empire et de la grande époque des balubas, me confie qu’il serait bien venu, mais il a un boulot stable et il va se marier, ce qui fait rire le Vieux. Comme j’ai du temps de libre, nous hantons tous les rades où nous savons trouver des anciens, cela permet de trouver quelques gars en mal d’aventures.

Le Vieux, lui, passe son temps à des rendez-vous mystérieux avec des personnages couleurs de muraille.

Ce matin quatre anciens sont là, Helmut, un géant teuton, René un belge moustachu, Alain son comparse, la quarantaine bon genre, et l’éternel Max, personnage difficilement classable, mais qui est dans tous les coups. Petit briefing du Vieux, consignes et distribution de billets d’avion. Sur place c’est un inconnu, Carnot, qui commande, officier d’état-major etc., personne ne moufte. Départ demain, Roissy 10h30. Douala-Kinshasa. Tout le monde acquiesce en silence. Pour ma part, le vieux me confie une valise pleine de manuels d’instruction de bérets et de grades divers, ceux que les gars portent, doivent être changés. De plus, il me demande de lui faire un rapport sur l’équipe de jeunes lieutenants de réserve qui sont là-bas, on ne sait pas encore ce qu’ils valent « et tu secoueras les puces à Lulu,, je ne veux plus de rapine, comme cette histoire de collection de timbres ! » tout le monde se regarde et éclate de rire.

Le Vieux me dit en riant aussi tu verras sur place. Je sens que ça va pas être triste. On lui serre la main, « bonne chance et à bientôt ! »

C’est parti, on file au rade s’en jeter un petit dernier. Roger me ramène à mon hôtel, « aller Grand, salut et fais gaffe ».

Une fois de plus je me retrouve en plein ciel, calé dans mon siège et somnolant, ne prêtant qu’une attention distraite au film qui défile sur l’écran, transformant le grand oiseau des airs en quelconque salle de quartier, odeurs comprises. Prochaine escale : Douala.

L’embarquement s’est bien passé, si ce n’est que Max a failli louper le départ, la routine. Les trois autres font semblant de ne pas se connaître.

A Douala, une heure d’arrêt, problème technique, ça commence, on est en Afrique ! On se dirige vers le bar, surpeuplé et bruyant, l’air est chaud et humide, les sanitaires ont l’air d’avoir reçu la visite d’une armée de singes en folie, plus d’eau, pas de glace aux lavabos, odeur a trancher à la hache, tout va bien, rien n’a changé.

Arrivé à Kinshasa, il fait nuit, re-bouffée d’air local. Comme on nous l’a recommandé, nous traînons, laissant les passagers débarquer, quand nous mettons le pied sur l’échelle, un groupe de noire nous prend en charge, affairés, lunettes noires sur le nez, ils nous propulsent au pas de gym vers un salon éclairé à giorno. Un petit grassouillet nous serre la louche et nous souhaite la bienvenue en nous confisquant nos passeports dans la foulée. On nous convie à prendre place sur les canapés de cuir, un loufiat apporte des boissons, et tout le monde disparaît. Nous sommes manifestement dans un salon d’honneur, super chic, d’ailleurs un autre zèbre s’amène pour nous faire signer le livre d’or, un peu surpris, chacun se fend d’un paragraphe très personnel, pour ma part je signe Francis Garnier, ce qui est un demi mensonge, puisque c’est mon pseudo- actuel. Tout le monde en profite pour visiter les toilettes, sur l’invitation de Max qui a découvert les lieux, ici tout est nickel, glace, air parfumé et propreté de clinique. En Afrique ça surprend toujours.

Le petit grassouillet se pointe avec des potes et nous fait vider les lieux, comme si une bombe devait éclater. Dehors des « range-rover » où sont déjà nos bagages nous attendent. En route ; les gars démarrent dans le style feuilleton télé, et se fraient la route à coups de klaxon impératifs. On stoppe devant le hall d’un hôtel de standing certain.

Notre guide nous conduit vers les éternels fauteuils, et nous demande de l’attendre. Le hall est décoré de publicité pour le vin de Bordeaux. Max se marre et me dit « encore une combine du Vieux ». «Boule de suif » se ramène avec nos clés.

« Voilà vos clés, proposez-vous, mettez-vos dépenses sur le compte, je vous verrai demain, bonne nuit et il s’esbigne avec ses sbires. On se coltine les bagages car la valetaille, depuis un certain temps a réduit le service à sa plus simple expression.

Nous prenons notre repas au restaurant panoramique qui domine l’hôtel, d’ici on voit les lumières de Brazzaville de l’autre côté du fleuve. Les vins sont de première, nous signons les notes sans états d’âme. Nuit calme, j’arrive à me faire servir un petit déjeuner à l’anglaise dans ma piaule, Max me rejoint et me dit que des filles font le tapin dans le couloir la nuit, malgré la présence des anges gardiens qui nous surveillent. Ils nous suivent pas à pas dans tout l’hôtel, avec leurs « talky-walky » et leur badge qui porte la tronche de Mobutu.

Dans la matinée, « boule de suif » nous annonce l’arrivée du grand chef. Le reste de la conversation est consacré aux problèmes d’intendance, j’insiste sur les godasses, il promet le meilleur.

Puis arrive M. Chitakombi. C’est le représentant officiel de l’Unita au zaïre. M. Chita est souriant, très à l’aise dans un costard à deux cents sacs, et fleure bon l’after-shave.

Il nous dresse un tableau rapide de la situation en Angola et ce qu’on attend de nous, il conclut sur des propos optimistes et nous souhaite bonne chance.

« Boule de suif » va régler les problèmes de nôtre transport, on a quartier libre, avec toutefois, l’interdiction de sortir de l’hôtel, ce dont nous nous garderons bien, sans passeport et avec nos tronches, on ferait pas deux cents mètres ; ils font la chasse à l’espion, c’est une manie.

On se balade dans l’hôtel, de la piscine au grill, du bar au hall, au salon en terrasse. Toujours pisté par les hommes aux badges. Heureusement le zaïrois est un joyeux drille, le barman de la piscine nous apprend qu’on doit l’appeler « citoyen garçon », en éclatant de rire malgré la présence de notre garde du corps. La journée passe.

Le lendemain on est informé que la météo n’est pas clémente et que nous devons attendre encore. Ca commence à devenir monotone. Le troisième jour, branle-bas de combat général, on part le demain à l’aube.

Nous irons percevoir du matériel dans un camp militaire et serons véhiculés jusqu’au terrain. On quitte l’hôtel dans l’aube blême, après un café gagné de haute lutte sur le loufiat de service.

Au camp, cornaqués par des officiers du cru, nous sommes équipés, armés, chaussés, et éjectés avec célérité et efficacité. Sur le terrain un avion attend, gardé par des militaires. C’est un DC4 portant une bande rouge marquée « Pearl Air ». Une équipe d’officiels chargés de bagages se pointent et embarque à notre suite, ils ont tous des têtes d’intellectuels et l’air sur d’eux, aucun ne nous salue. Nous nous retranchons sur l’arrière, derrière un tas de caisses de munitions. Les moteurs grondent, on roule, c’est parti.

Nous sommes le 22 janvier 76. Au coin d’un hangar, M. Chitakombi regard l’avion zébré de rouge disparaître dans la couche de nuages. Son travail est terminé, un nouveau groupe de « techniciens » rejoint l’Unita et le président Jonas Savimbi.

Pour nous, c’est la routine, une fois de plus les mecs d’en face sont des « rouges », le reste nous intéresse peu, ce ne peut être que des histoires de fric entre locaux et mafias officielles.

Je regarde René en train de grailler un chargeur de P.A. Il a glissé son arme dans sa ceinture au magasin ainsi qu’une boîte de cartouches, j’aurais dû y penser, on n’est jamais assez prudent.

Nos intellos papotent en se passant des billets griffonnés avec des airs concernés et des gestes furtifs. Dans un sac en plastique coincé entre le siège et la paroi, j’aperçois un colt 45 et une bouteille de scotch. Mon voisin de devant est un réaliste !

L’avion taille sa route dans la crasse, c’est aussi bien, car avec ses putains de missiles on ne sait jamais. Je somnole. Au bout de quelques temps un gars de l’équipage s’amène et nous demande d’attacher nos ceintures, on va descendre et il ne sait pas ce qu’on va trouver en dessous. Ca risque d’être sportif ! Le zinc fait sa percée dans un grondement qui n’en finit plus, on aperçoit la brousse à travers les lambeaux de nuages.

Nous nous posons rapidement. Depuis que je fréquente cette race de pilotes marginaux, je suis à chaque fois époustouflé par leur maîtrise et leur savoir faire, un vrai régal.

On sort d’un grain de pluie, le sol fume encore, le soleil est voilé, mais il fait chaud. Nos petits camarades quittent l’appareil en gloussant comme un vol de dindes, encombrés de leurs nombreux paquets. A terre le comité de réception les attend, bouilles fendues jusqu’aux oreilles, on s’embrasse en se tapant dans le dos à n’en plus finir, et tout ce joyeux monde disparaît dans des véhicules divers pas très frais.

Nous débarquons à notre tour sous les regards curieux de quelques bidasses dépenaillés.

A priori notre comité de réception a mangé la consigne, le coin a l’air un peu désolé, les gars de l’avion rameutent quelques types à grands cris pour compléter leur plein. Ici tout est manuel. Helmut s’entretient avec eux, ce sont des autrichiens, ils sont basés sur la côte près de Lobito, ils lui refilent leur fréquence radio un tout hasard. Un camion chargé de futs d’essence pénètre sur le terrain et va se garer auprès de l’appareil, tout le monde s’affaire.

On est planté là comme des cons, et il n’y a rien qui ressemble à un bistro à l’horizon. René commence à râler, Max est parti prendre langue avec les bidasses sans succès, il n’est même pas certain qu’ils parlent portugais. De toute façon, ils ont l’air parfaitement abrutis. Le pilote est en grande discussion avec le chauffeur du camion pour faire décharger les caisses de munitions qui sont à bord. Ca n’a pas l’air de se résoudre facilement.

Assis par terre, nous vidons les deux bouteilles de bière que j’ai pris en réserve, louons les brasserie zaïroise de faire des grands modèles.

Un gus se pointe et nous demande de patienter, une voiture va arriver, et il se tire, en vélo !

Alain le complice de René qui n’a encore rien dit s’exclame,  » ça promet ! » Helmut habitué à l’organisation légionnaire, gronde « quel bordel ! », en plus, il se remet à flotter.

Enfin deux voitures déglinguées se pointent, on s’entasse avec le barda et on part. On nous apprend que nous sommes à Silva-porto, quartier général de l’Unita, capitale provinciale typique, maisons basses, rues défoncées, magasins pillés, immeubles inachevés ou détruits, un air d’abandon et de misère flotte sur tout ça. Les slogans de tous les partis sont peints à peu près sur tout ce qui offre une surface utilisable à cet effet. Des bidasses armés comme des bandes de mexicains errent désœuvrés dans ce tableau.

Nous stoppons devant une sorte de bâtiment officiel hérissé d’antennes, et un des chauffeurs file aux ordres. René grogne  » ça pue le ricain tout ça ! », j’avance « C.I.A. ? » il répond « ça y ressemble ! ».

Le type revient, on repart, virage à droite puis à gauche, une rue bordée de jardinets faméliques devant des pavillons de banlieue, où des tas d’ordures tiennent lieu de plates-bandes.

Nous débarquons devant un de ses petits palaces exotiques, notre guide chasse d’un coup de pied un gros chien sans âge et miteux, et nous fait entrer.

« Voilà, installez vous, il parle un Francçais chantant mais correct, vos camarades rentrent ce soir, cette maison est votre lieu de transit », sur ce, il se tire.

Nous visitons ; quelques chambres, une douche et un vaste salon avec une cheminée, la cuisine est à l’extérieur dans une petite coure. On s’attribue des lits, c’est simple mais propre. De toute façon, on ne va pas rester là longtemps à mon avis.

Nous déballons nos sacs, pour nous mettre en tenue et vérifier l’armement. Cela nous occupe un bon moment, jusqu’au milieu de la journée. Deux boubous se pointent et dressent la table sans rien dire. René tente une amorce de dialogue dans un sabir d’espagnol qui les laisse de marbre est un peu inquiets. René s’obstine quand même, quoique je lui aie fait remarquer d’ici on parlait « portos ». Ca ajoute à la confusion, et les type se barrent.

Max assure qu’on est mal barré, et je suis bien de son avis. Les gars reviennent avec des gamelles, au menu : brouet de riz, patates bouillies avec des morceaux de viande non identifiables. René en ardennais tenace qu’il est, insiste « vino, pinard, cerveza, merde, si ils ne comprennent pas ça ! » les deux mecs le regardent avec des têtes d’ahuris. Ils se tirent de nouveau, d’ailleurs je me pose la question d’où sortent-t-ils ? Max chipote avec sa fourchette.

« Ca serait la grand-mère du boy cette bidoche que ça ne me surprendrait pas », j’ai dit ça comme ça, max repousse son assiette.

Des mandarines un peu fanées concluent ces agapes. Les boys ont fini par nous apporter deux bouteilles de blanc et une de rouge, nous lichons en silence, perdus dans nos pensées. Alain allume une cigarette et rouvre le débat. »Si c’est le même circuit pour le tabac, on va se payer une sacrée cure de santé », tout le monde approuve.

Des gars se pointent dans l’après-midi avec des caisses de munitions et repartent sans rien dire. » ils veulent vraiment qu’on aille faire la guerre ces cons », fait Max, qui mâchonne un quignon de pain rassis.

Le soir arrive et nous n’avons vu personne. Notre guide nous a bien recommandé de ne pas nous montrer, donc les ballades sont exclues, le gros chien a repris sa place sur la marche.

Autant qu’on puisse voir il y a peu de mouvement dans le secteur, ce qui est peu courant en Afrique, seule la villa d’en face paraît occupée par ce qui semble être un officiel, vu le va et vient des voitures observé. Nous tombons d’accord pour interroger fermement le premier gus qui se pointera et qui parlera notre langue. C’est le moment que choisit notre mentor du début pour débarquer avec une bande de gus armés jusqu’aux sourcils et qui nous examinent comme des espèces inconnues. Max qui n’en loupe pas une lance : « tu vas voir qu’ils vont nous balancer des cacahuètes ». Le gars ouvre de grands yeux, je m’interpose aussitôt et lui demande où on en est pour notre avenir et que ce confinement ne nous plaît guère. Le gars paraît ennuyé par mes questions. Il m’assure que notre chef direct est en mission à Gachingé, où nos camarades entraînent des recrues, et qu’il ne saurait tarder, demain au plus tard. Il ajoute que le Président est au courant de notre arrivée et qu’on pense à nous. Comme je le vois disposé à effacer ce qui paraît être un à coup sur un contretemps, je lui demande si on pourrait disposer de quelques bières. Ils sont très « démunis », mais il va voir ce qui peut faire. Il nous salue et repart avec sa bande de terreurs.

« J’ai l’impression que c’est le bordel  » fait Alain. »

« Qu’il rapporte la bibine, après on verra » fait René. »

« Qui c’est ce Carnot ? » demande Helmut, faisant allusion à notre « chef direct » évoqué plus haut.

« La dernière trouvaille du Vieux » répond René. »

En principe tous les gars qui occupent des postes de commandement sont connus dans le métier, et nous sommes quelques-uns qui digérons mal la présence de nouveaux venus. Les vieux soldats se connaissent tous, en bien ou en mal, et se faire commander par un inconnu est rarement admis.

« Si c’est pour faire de l’instruction, fait René, je m’en ressens pas ! »

« Te casse pas lui dit Max, pour ça il y a toujours des volontaires ».

« Il y a des jeunes qui vont venir des Comores, c’est pour eux ce job » ajoute Alain qui a l’air d’être au courant.

Je ne dis rien, mais je pense au sac que le Vieux m’a confié pour Carnot, plein de manuels d’instruction, et de galons.

Les deux boys s’amènent et le cérémonial du repas recommence, René repart à l’assaut :

 » Alors, cerveza es possible ? » mêmes mimiques d’incompréhension dans les yeux des préposés.

« Merde, on est condamné à leur flotte pourrie » rugit il.

Là-dessus notre ami se pointe avec un carton sous le bras, il y en a au moins 2 par tête.

 » je vous préviens nous avertit le type, c’est un cadeau du Président, nous sommes très « démunis ».

Ce terme à l’air de lui plaire. Nous remercions. Le moral remonte, le même plat qu’à midi arrive, ça promet pour l’avenir.

« Tu vas pas me dire que ces mecs boivent de la flotte, ils nous prennent pour des billes ».

 

« C’est vraiment pas une nourriture de chrétien, fait Max en chipotant dans son assiette», il poursuit.

« à la cantine de chez Renault, ils déclenchent une grève pour moins que ça ! »

« fallait y rester chez Renault, envieux ».

Le repas et expédié en vitesse, la bière fait passer le tout.

Le soir, il fait frais, portes et fenêtres fermées, on ne se croirait pas en Afrique, cela explique la présence de la cheminée. On file se pieuter, les armes à portée de main.

Au réveil les boys nous servent un café amer avec des rogatons de pain dur, le régime continue, toilette, les sacs sont prêts, nous rangeanos nos fringues civiles dans une penderie déjà occupé car d’après ce qu’on a pu apprendre, Silva-Porto reste notre base arrière. Ca promet pour la détente en rentrant de mission.

Dans la matinée arrive le lieutenant-colonel Carnot, au volant d’une double VW 130 verte très couleur locale. Toute l’équipe est derrière les jalousies du salon pour voir la bête.

« Connaît pas » tranche Helmut la gueule fermée.

La porte s’ouvre et le Carnot entre à peine surpris de nous trouver là, je dois avouer que je ne l’ai jamais vu surpris par la suite

Pour l’instant, je me présente et les autres m’imitent, je lui remets le courrier du patron, pendant qu’il en prend connaissance je l’examine. Taille moyenne, brin de poil et de peau, lunettes à monture fine, petite moustache à la Himler, ce qui lui donne un air sérieux et inquiétant. Sa tenue est ajustée au quart de poil, avec ce qu’il faut aux endroits où cela doit être. Ce gars là doit savoir le règlement par cœur mais il ne fait pas militaire de carrière. La voix est doucereuse et posée, son brevet para brille comme une étoile, sur le haut de la manche gauche le brevet anglais en tissu, les bottes de saut brillent de tous leurs feux.

Pour l’instant, il multiplie les civilités et s’excuse de l’état des lieux, les gars lui disent qu’ils sans foutent et qu’ils ne comptent pas moisir ici. Ses yeux de myope cillent devant cette sortie inattendue. Je lui montre la pile de manuels, il exulte, « ah ! Bien, bien » je lui annonce qu’il est nommé lieutenant-colonel, commandant le groupe de « techniciens ».

Il tient à nous donner sur-le-champ nos insignes de grade, ça ne l’air d’intéresser personne, et il s’enquiert de nos spécialités, il nous fait un petit topo sur la situation et l’ambiance, nous sommes là pour former les mecs de l’Unita, et assurer quelques missions spécifiques, entre autres des démolitions, les gars du coin, n’étant pas très au point pour manipuler les explosifs.

Pour les moyens, du divers et dispersé, personnel : niveau zéro, pour ce qu’il a pu voir, trop d’officiers et pas de sous-officiers, ambiance générale : le délire révolutionnaire et le folklore.

Seul Savimbi juge notre présence utile, et il vaut mieux garder son avis pour soi. Le gros handicap, la langue. Beaucoup de cadres parlent Francçais, mais nous ne les trouveront pas sur le terrain. Beaucoup d’officiers sont des étudiants cadres politiques ayant une certaine instruction et aucune formation militaire.

Pour l’instant nous profitons d’un répit, à la suite de l’offensive des Sud-Af, qui ont failli prendre Luanda. Les pressions politiques des grandes puissances les ont stoppés. Tout le monde s’est regroupé et attend on ne sait quoi encore. La plus grande partie du pays est aux mains de l’Unita qui ne dispose pas des moyens pour exploiter cet avantage.

Alors, nous les magiciens, on va arranger ça à grands coups de baguette magique. Encore une idée tordue de la C.I.A. qui n’a pas encore compris que les africains n’étaient pas des mecs de Harlem. Pour les coups bâclés et salopés, ils sont champions. Après les cerveaux musclés vont phosphore pour savoir les raisons de l’échec. Ils sont loin de faire la pige aux « Popovs ».

Carnot se racle la gorge après son exposé, et tapote la table de son crayon.

Helmut ouvre le feu

« Qu’est-ce qu’on va foutre là-dedans? »

Carnot ne relève par la sortie et s’adresse à l’ensemble.

« Vous vous êtes les plus anciens, donc vous jouerez les pompiers de service si ça se met à barder, organiser les feux, les défenses ou les attaques, effectuer les démolitions, les conseiller pour l’emploi des moyens ».

A ce moment les boys arrivent et mettent le couvert, on prend place, pour changer de sujet je lui demande,

« C’est toujours comme ça la bouffe ? »

« Pourquoi vous ne trouvez pas ça bon? »

« Bon, je n’irai pas jusque là, mais un peu plus abondant, si, je ne vois pas les gars de tenir la brousse avec ce genre de menu ».

« Vous croyez, je trouve cela très suffisant », silence gêné, tout le monde se tait.

« Evidemment ils n’ont pas de rations? » demande René.

« A vrai dire, ils n’ont rien qui ressemble de près ou de loin à ce à quoi nous sommes habitués ; pas de stocks, pas de dépôts, à part quelques planques pour les gradés en poste fixe ».

« Charmant » grommelle Alain qui suce un os de poulet,

« Ils doivent avoir du riz, bordel, il y en a dans toute l’afrique ».

Carnot hoche la tête et répond

« Quand j’ai besoin de quelque chose, c’est très long et très très compliqué, c’est des histoires de petits chefs pour se rendre important et avoir l’air organisés ».

René qui les connaît bien n’a sûrement pas tout à fait tord.

Carnot, la fourchette en l’air le regard et demande  » vous croyez ? « 

« Avec ces mecs là, faut pas demander, il faut prendre, sinon, dans 10 ans, on sera encore la ».

« Ou morts de faim » conclut Helmut.

« Se sont quand même eux les patrons » s’étonne Carnot

« Patron mon cul » répond René.

Là, Carnot est surpris, il ne s’attendait pas à ce genre de dialogue, d’autant que l’autre le fixe de un air mauvais. Max qui veut faire un mot lance :

« Je vais être forcé de me mettre à voler ».

Carnot lui jette un drôle de regard. Il s’en tire en faisant une distribution d’insignes, qu’il nous conseille de porter. Il a l’air d’y tenir.

Chacun ramasse son lot en ricanant, une fois lâchés dans la nature on n’en reparlera plus.

Tout en parlant, il a aligné sur sa table, tout un petit matériel de bureau. Les crayons, stylos de couleurs variées, fiches, dossiers, etc. Tout un petit matériel, pour des types de terrain, c’est pire que l’ennemi.

C’était le début d’un grand changement dans nos mœurs, et peut-être la fin d’une époque. En fait, d’époque, la présente se précipite. Il faut une équipe sur Luso, dans le N/O pour des missions de destruction, et coordonner les défenses sur place. Helmut est volontaire, surtout pour se tailler au plus vite. René et Alain vont suivre, Max va rejoindre le groupe d’instruction.

Je me retrouve le lendemain seul avec Carnot.

Silva-Porto qui a dû être une petite bourgade animée, a l’air de dormir, alors que c’est le Q.G.de l’Unita. On ne sait même pas, où se tient le président, qui lui par contre bouge pas mal. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous manquons de renseignements sur ce qui se passe et que notre intervention n’a pas l’air d’avoir été programmée. On a l’air de servir de prétexte à je ne sais quel chantage obscur.

Autant qu’on puisse en juger, les troupes que l’on croise n’ont pas des aux allures de troupes de choc. Déguenillées, sans ordre apparent, ni gradés visibles, laissées à leur gré, à la sieste ou à la maraude, car pour eux aussi l’intendance n’est qu’une vue de l’esprit.

Carnot sillonne ce décor, tête haute, l’air primesautier du mec bien dans sa peau ; il est bien le seul. Il manifeste une obstination, méritoire par ailleurs, à tenter de rencontrer des personnages, qui sont toujours occupés ou invisibles, ce qui nous ramène au rôle de figurants anonymes.

Nous sommes allés rendre visite au groupe d’instruction, cantonné dans une ancienne mission à une trentaine de kilomètres de Silva-Puerto. La route file plein Sud entre les champs de coton et de maïs abandonnés, peu d’arbres. La route semble être le garage favori de toutes les épaves, il faut slalomer entre les carcasses par endroits. Peu de population également, les rares groupes que nous croisons sont des vieux ou des gosses en guenilles qui nous regardent passer avec des lieux ronds. Nous virons sur une piste défoncée, qui nous fait sauter comme des balles de ping-pong.

La mission de Cachingués apparaît, de vastes bâtiments groupés sur un plateau, au pied de cette colline, quelques maisons alignées sur une file. Des véhicules divers ont l’air d’effectuer un déménagement. Non stoppons. Un type en béret rouge, tenue retaillée, très T.A.P. se pointe et salut. Carnot me présente sous-lieutenant Lumio, halé, l’air décidé, il a une belle gueule de sous-off.

Il nous explique qu’il récupère tout ce qui peut l’être pour emménager à la mission où ils se sont regroupés. Sa suit son cours, mis à part le château d’eau qui a prit un coup de mortier de plein fouet durant un exercice. Cela n’affecte pas le débit en eau nous dit-on.

Nous gagnons la mission proprement dite. De grands bâtiments sont groupés autour d’une belle église. Comme la place ne manque pas, les gars se sont dispersés aux goûts de chacun. Nous sommes accueillis par le capitaine Théodore, un ancien, avec sa tête de martiniquais, il ne tranche pas dans le décor. C’est un solide, doté d’une grande expérience, d’ailleurs c’est lui qui fait tourner la boutique, malgré la présence du commandant en titre, Chevalier, qui me paraît un peu fatigué et pas du tout dans le cou. Tous les autres, une demi-douzaine, sont des jeunes que je ne connais pas. Quoique un peu déroutés par cette situation nouvelle pour eux, ils font ce qu’ils peuvent, et pas trop mal.

Ils ont en charge deux cents types et les parasites de service qui gravitent autour. Theodore nous confie que son gros problème est la nourriture, sans parler de l’équipement de base qui est inexistant. Les plans de travail de Carnot seraient bons avec un minimum de logistique.

Theo, avec qui j’ai des amis communs, s’ouvre de ses problèmes en aparté. Même en tenant compte de l’ingéniosité et de la débrouillardise du soldat Francçais, bien connue, il ne peut pas faire des miracles.

On passe à table, le repas est maigre et quelconque, les gars ne se privent pas pour raller devant Carnot qui mâchouille, la tête dans ses pensées. Chevalier croyait se retrouver dans un boulot type « coopération », et a l’air bien emmerdé, de plus, il a traîné avec lui son beau frère, Fisher, qui n’a jamais touché à un fusil, mais  » qui tape bien à la machine !  » on croit rêver !

Je passe a la distribution des nouveaux insignes de grades, pour changer l’ambiance. Fini les insignes Francçais.

L’après-midi se passe à inspecter le nouveau camp, nos gars font vraiment le maximum épaulés par quelques gars du cru, qui ont rang de Sous-Off pour la circonstance, parce qu’ils comprennent un peu le Francçais. Je me demande, si quelqu’un avait pensé à ce problème.

On a droit au baissé des couleurs. Tout le monde s’aligne autour du mât de pavillon. Ceux qui ont des armes nous offrent un numéro de cirque à la portugaise. Le reste est et en civil, sans godasses, l’air ahuri, ils n’ont rien du militant fanatisé. Les gars préposés au pavillon prennent leur temps pour l’amener, car la cérémonie se fait avec lenteur pour permettre l’exécution d’un très beau chant dédié à la patrie angolaise. Carnot se sent obligé de faire un speech dont j’aimerais bien connaître la traduction qu’en donne l’aboyeur de service.

La nuit la nuit va tomber, je commence à être fébrile, je ne m’en ressens pas de tomber en carafe de nuit dans leur pampa mal contrôlée. Le départ se fait après un flot de consignes données en courant. On n’arrive de nuit, sans aucun contrôle !

 

On n’a bien fait de rentrer, le Président se pointe dans la soirée à notre palace. Moteurs emballés, bruits de portières, un mec se pointe, la kalachnikov en avant, les bandoulières de cartouches lui ceignant le thorax. Les autres sont dans le même arroi.

Savimbi entre, impérial, le béret enfoncé sur le front à la « Ché », tenue camouflée, des colliers de perles et de métal autour du cou et des poignets, deux pistolets dans la ceinture. Il a une bonne tête et des yeux pleins de malice, assez folklo, mais pas l’air d’un con.

Carnot est bloqué derrière sa table, au garde-à-vous. Savimbi nous salue en souriant, il parle un Francçais chantant sans accent. Carnot se ressaisit, fait son rapport, et présente ses doléances. L’autre règle tout en deux, trois mots à ses adjoints qui prennent des airs concernés.

Il se tourne vers moi, n’examine, me met la main sur l’épaule et demande:

« Qu’est-ce que vous faites en ce moment capitaine ? »

« Adjoint au colonel M. Le Président »

« Nous allons vous trouver quelque chose de plus actif »

« Merci M. Le président » Qu’est ce qu’il mijote celui-là.

« Le Colonel va bientôt nous rejoindre j’espère ? » me demande-t-il.

Je le pense M. Le Président, il m’a chargé de vous présenter ses respects ».

« Je vous en remercie capitaine ». C’est un pieu mensonge, mais ça ne peut pas nous nuire.

Il nous quitte là-dessus. Les bagnoles démarrent dans le plus pur style Chicago.

Je demande à Carnot :  » qu’est-ce qu’il entendait par « plus actif ? « 

« Avec lui vous savez… » puis il reprend,  » je crois qu’il faut quelqu’un pour la côte, vous ne semblez tout indiqué ». Va pour la côte.

« En principe, demain nous arrivent deux camarades ».

« On sait qui c’est  » ? Les noms ne me disent rien, encore des pseudos !

Ce matin, visite à l’un des nombreux  » colonels » de l’Unita. Il semble qu’ils affectent se grade. Le bâtiment, solidement gardé, n’est pour une fois pas trop délabré. Le type est jeune et parle un Francçais parfait. Je ne sais pas pourquoi nous sommes venus, mais la visite se termine par le classique  » pas de problèmes !  » combien de fois n’ai-je entendu cette expression, et pourtant il y en a des problèmes.

Dans le même bâtiment, une équipe de « blancs » cantonne dans une aile très gardée, les « blacks » ne sont pas du « tout venant » ici. Carnot s’entretient entre deux portes avec un mec qui ne tient manifestement pas à ce qu’on voit l’intérieur de la pièce, il y a un 45 dans la ceinture et l’air pressé du type qu’on n’aurait dérangé en train de chier.

La confiance ne règne pas, ça n’a pas l’air de gêner Carnot, je glisse, ma fois  » C.I.A. » ?  » peut-être  » m’accorde-t-il.

Là, il me prend pour un con, le seul bâtiment convenable de la ville, gardé comme une banque, où tout le monde court aux ordres, où on parle anglais, avec un jet bimoteur garé en permanence sur le tarmac voisin. Je me suis aperçu que c’était une extension de l’aéroport tout proche. Ils sont bien ces ricains, mais pour la finesse, ont fait mieux.

Nous partons visiter une autre mission qui sert de dépôt, voir si on peut récupérer du matériel utile au centre d’instruction. Tout est dépareillé et en vrac, se sont sans doute les fruits des récupérations faites sur l’ennemi et déposés ici; armes diverses, munitions, explosifs Russes dans leurs grandes boîtes brunes, un vrai bric-à-brac de mort à peine gardé. Nous tombons sur des types en train de déballer des milliers de carabine U.S.M.1, arme sympathique mais totalement dépassée. Qu’est-ce qu’ils vont faire de ça ? Encore une magouille de trafiquant.

Nous repartons sceptiques sur ce que nous nous avons vu, et les mains vides. Pour une fois, Carnot et de mon avis.

Devant le P.C. de l’Unita, il y a deux A.M.L. 60 Panhard, je ne sais si elles sont en état et approvisionnées en munitions. Les gars se pavanent autour et se paient un petit tour en ville pour épater les pékins de temps en temps.

Je commence à trouver le temps long.

Nos deux nouveaux sont arrivés, ils viennent des Comores d’où le patron ne retire ses billes. Les gars n’ont pas l’air trop ravi de se trouver ici. L’un de, Marin, a déjà travaillé avec moi, c’est un grand pied-noir. Il est heureux de me trouver là, même en capitaine d’état-major. Comme il se confirme que je vais partir sur la côte et que je risque d’avoir besoin de gens au faît de la mer, je demande à Carnot de me le adjoindre, ce qu’il admet avec élégance.

Hélas, le sort en décide autrement; Savimbi se pointe le lendemain soir, et demande un gars pour des destructions, décidément ! Il sort une carte et nous fait un topo assez confus. Il compte partir dans la nuit vers l’Est. Carnot pour ne pas être pris au dépourvu, lui colle Marin, pas trop rassuré, dans les pattes, illico.

Je prends mon gars à part et lui demande si il se sent de taille pour ce job. Ca m’embête un peu de le voir partir aussi vite avec cette bande de furieux. « Ca ira » me dit-il.

Nous voilà de nouveau seul. Je dois partir aujourd’hui, mais à 15h00, toujours pas de voiture. Enfin, une superbe Lancia se range devant la maison, je salue Carnot qui m’a doté d’un splendide « ordre de mission » totalement inutile et embarque.

Le chauffeur est un grand diable aux allures de maquereau new-yorkais, le pétard à la ceinture, il parle un peu Francçais. Nous trimballons l’inévitable homme d’escorte, dont la motivation et est généralement d’aller faire une belle balade. Je prends son arme et vérifie quelle est désarmée. Je ne tiens pas à m’en prendre une au hasard des cahots.

Nous avons 500 bornes à faire, on va encore rouler de nuit. Le gars conduit bien mais vite, la route et monotone, droite jusqu’à l’horizon, dès qu’on passe une ligne de collines on retrouve le même paysage. Nous ferons deux arrêts, le type fait faire le plein chez les militaires qui se demandent sûrement qui je suis. Pas n’importe qui pour voyager dans une aussi belle voiture !

A Halto-Hama, arrêt technique, le chauffeur dégote de la bière, les troupes ont meilleure allure, il me présente aux officiers, l’un deux parle Francçais, il me dit qu’il a fait un stage en France et me demande d’assister à la descente des couleurs, je ne peux qu’accepter. Le gars donne des ordres avec énergie, ici, il y a tout le cérémonial militaire garde et clairon.

Je suis invité à passer les deux compagnies en revue, je prends mon air le plus important et fait ça dans les règles de l’art, les hommes de bonne allure et les officiers sont aux anges, je les salue prétextant l’heure et nous repartons.

Nous arrivons à Lobito à la nuit, après quelques détours par de larges avenues éclairées nous stoppons devant un hôtel, dont les arcades bordent la rue. Je lis « grao-tosca » sur la façade, le chauffeur toujours affairé m’entraîne à l’intérieur, en m’expliquant que nous sommes au Q.G. de l’Unita. Le hall fourmille de gens en uniformes plus ou moins fantaisistes, mais enfouraillés comme des bandits corses.

Je suis un peu étourdi après le voyage et la cure de calme de Silva-Porto, toute cette foule, ce bruit ses lumières… Nous pénétrons dans un salon où dînent pas mal de gens, il navigue là avec beaucoup d’assurance, et ne mènent droit à une table ou quatre ou cinq gentlemen sont entrain de se restaurer. Il glisse quelques mots à l’oreille de l’un d’eux qui se lève en hâte vient vers moi la main tendue, le sourire large.

« Bienvenue à Lobito, capitaine, je suis le docteur Valentin, responsable politico-militaires de la région. » Il me serre la main avec enthousiasme. Je me présente à mon tour. Ils se sont tous levés et Valentin leur adresse quelques mots qui déclenchent les applaudissements. J’ai la faiblesse de croire que c’est pour moi. Il me présente à ses compagnons qui sont, me dit-il, ses principaux collaborateurs. Il y a aussi pas mal de femmes.

On m’installe à une table, je peux vider une grande bière, remplacé aussitôt vidée par un serveur en veste blanche qui ne me lâche pas des yeux. Je suis tombé au paradis ! Le repas qui suit confirme mon rêve ; pourvu que ça doure ! De temps en temps, Valentin, de la table voisine, m’adresse un sourire et un  » tout va bien mon capitaine ? » Toute l’assistance me fait des petits signes d’intelligence des que je croise leur regard. Je commence à être gêné.

Après le repas, on me conduit à mes quartiers, car nous cantonnons sur place, le loufiat me mène au troisième et pose mes bagages dans une suite, pas moins. Ils ne vont pas tarder à m’amener une gonzesse ?

Après une douche revigorante, je vais regarder le spectacle de la rue, rien n’indique que nous sommes dans un pays en guerre, lumières à gogo, circulation, les gens se baladent, il fait chaud, on s’en l’odeur de la marée, la mère ne doit pas être loin. La climatisation tourne à fond.

Mon équipe est montée sur le front m’a dit Valentin, devant Novo-Redondo à 150 kilomètres d’ici. Je bourre une pipe et descends prendre l’air. Je demande au standard qu’on m’avertisse quand mes gars arriveront. Je verrai Valentin demain pour un briefing, j’aimerais bien voir les gars avant pour en savoir plus sur le secteur.

Valentin m’a l’air un brin retord, sous ses airs sympa, grand et mince barbe courte et clairsemée le regard vif derrière les lunettes fines, très occidentalisé. Il doit être docteur comme moi.

On frappe à ma porte: un gars entre, petit blond trapu, tenue disparate, il se présente:

« Lieutenant Lebeau, mon capitaine, on vient d’arriver, les autres sont là haut »

Je le suis jusqu’au cinquième étage, qui à l’air d’être leur repaire. Ils sont quatre, avec Lebeau, manquent deux

« Où sont les autres ? »

« En mission dans l’Est mon capitaine, ils devraient être là demain. »

Celui qui m’a répondu est un gros blond à l’allure militaire, il a l’air de dominer le groupe. Ribes est un petit brun avec une moustache de mac des années 30, à l’air inquiet, Hugues est un grand gars brun à belle gueule, genre fils de famille égaré chez les voyous, Chamberny, qu’ils appellent Chambourcy, est un long type calme et réservé, genre sérieux. Le gros blond répond au nom de De Vesdre, mais les gars le nomme le curé, il a l’air de faire équipe avec Chambourcy. Ils sont tous les deux lieutenants de réserve. Les gars que le Vieux m’a demandé de tester.

Lebeau, qui a l’air d’être le dégourdi de la bande, s’amène avec des bières. Ils sont en train de me jauger, je le sens, je me lance:

« Je suis le capitaine Garnier, vous me connaissez peut-être sous le nom de Bosco. De Vesdre qui avez l’air de vouloir parler, faites moi un topo de ce qui se passe ici depuis votre arrivée. »

Il a l’air sûr de lui, autant le mettre à l’épreuve, mais je m’apercevrai vite qu’à ce jeu là, ils sont plus fort que moi, les « petits messieurs ! »

Pour notre part, avec Lebeau nous assurons sur ce qu’ils appellent « le front » devant Novo-Redondo, l’organisation des défenses et destructions éventuelles, sur l’axe entre Lobito et ce front matérialisé par une coupure sur une rivière proche de Novo-Redondo. En annexe la préparation de défenses périphériques sur Lobito.

Je me tourne vers Chamberny « et vous ? »

« Idem dans un premier temps, puis mission de destruction à la demande. Il semble que ce soit pour eux la panacée du conflit, tout ce qui ressemble à un pont doit voler en l’air. »

Tous les gars approuvent en rigolant, l’autre poursuit:

« Mais la dernière trouvaille est la psychose du débarquement, je ne sais pas sur quoi ça repose.

« C’est tout simple » je lui réponds,  » c’est le syndrome de l’encerclement, qui prend naissance chez les gens qui attendent, au lieu de prendre des initiatives, et cela permet de maintenir la troupe en alerte permanente. De plus, s’ils n’ont rien fait pour se prémunir contre ce danger, c’est la preuve qu’ils n’y croient pas trop. Et une opération de ce type ne s’improvise pas, et vous auriez pu constater des activités chez les autres en ce sens, ne serait-ce qu’une diversion sur votre fameux front, s’est pas votre avis ? »

Ils approuvent bruyamment.

C’est ma partie, alors m’emmerdez pas avec ces conneries, OK !

Je propose une balade au bord de mer, tout le monde tombent d’accord là-dessus.

« Ceux qui viennent s’équipent, rendez-vous en bas. »

Nous prenons les deux V.W. du groupe, le « curé » m’explique que c’est ce qu’on leur a attribué et que tant qu’il s’agit de route, c’est très bien. Nous avons pris avec nous quelques bidasses, qui font partie de leur escorte permanente, car aucun gradé ne doit se balader seul. Je grimpe avec Lebeau.

Pas mal de circulation, pourtant il est 1h00 du matin. Un large pont franchit un réseau de voies ferrées, « la gare » m’indique Lebeau. Nous roulons assez vite, les effluves de la marée me montent aux narines, l’air frais fait du bien. Le port s’allonge le long d’un long fjord, c’est le quartier chic, les villas cachées dans les jardins défilent, ici la brise de mer ventile en permanence. Nous nous retrouvons au bout de la presqu’île, où un phare balaie la nuit. Nous stoppons. Au large des feux de navires. J’explique aux gars que cette côte est une des plus péchée au monde, et que c’est tout à fait normal. Ce qui n’empêche pas les chalutiers Russes d’être en écoute c’est certain et en pleine impunité. De toute façon, le coin est toujours plein de navires de guerre Russes et de pêcheurs Cubains, s’ils voulaient débarquer, ils feraient tout le monde aux pattes vers 5h00 du matin. « Alors un conseil, levez vous tôt ! »

En tout cas, la population n’a pas l’air très concernée, tout le monde baguenaude, pas de patrouilles, pas de contrôles, nous sommes cinq blancs en armes, dans un pays en guerre, comprenant à peine la langue, de nuit sur une plage, et personne ne s’intéresse à nous. Ils sont vraiment cools.

C’est égal, si il faut s’installer dans le coin, j’intriguerai pour trouver une baraque dans ce coin. Nous rentrons à l’hôtel, rafraîchis et plus calmes. Nous sommes le 30 janvier, il fait 27° de température, je commence à avoir sommeil.

A six heures je suis debout, douché, rasé, tenue de ville. Les boys s’empressent ; café, thé, jus de fruits, pain, beurre, fruits. J’ai l’impression d’avoir atterri sur une autre planète.

Il est trop tôt pour en Valentin, je vais faire un tour autour de l’immeuble pour humer l’air et l’ambiance. Devant l’hôtel, voitures garées en pagaille, les armes dedans, pas de sentinelle. Les quelques quidams que je croise me regardent curieusement. J’achète des briquets « Bic » dans une sorte de kiosque, le gars n’en revient pas; un blanc qui fait ses courses à 7h00 du matin à pied et seul ! J’ai dû faire quelque chose d’inhabituel. Je retourne à l’hôtel. J’apprendrai plus tard, qu’un officier ou un responsable d’un certain niveau, est toujours accompagné de quatre ou cinq gars armés. Méfiance, sécurité, standing ?

De l’autre côté de l’immeuble, je tombe sur une sorte de blockhaus, barbouillé de slogans. Un soldat assis sur une marche, débraillé, les rangers délacées, se cure le nez avec application, son arme appuyée le long du mur. A ma vue, il reste sidéré, le doigt dans le pif, qu’il a large. Devant lui un casque blanc, type P.M. est posé par terre. Je regarde au dessus de lui, feignant de m’intéresser à l’immeuble, il en profite pour plonger vers la porte, laissant son arme. Deux têtes apparaissent, me dévisagent et disparaissent. Je prends l’air inspiré, attendant la suite. « Mon soldat » ressort avec un copain, aussi dépenaillé que lui, qui se met à le houspiller avec ardeur. Le comble ! Je fais un petit signe, et tourne les talons. Quel armée !

Au mess, mes gars sont à table, et déjeunent joyeusement. Tout ça ressemble à une colonie de Scouts. « Bonjour jeunes gens, bon appétit ». Une

« Bonjour mon capitaine » ils chahutent et semblent en pleine forme.

Je leur raconte ma promenade, ils se marrent. Lamotte, un costaud joufflu et son acolyte, Hugues, sont désignés pour rentrer à Silva, mais je préfère en garder un de plus avec moi.

« Bien, Lamotte vous rentrez sur Silva dès que vous êtes prêt, rien ne presse ». Il acquiesce en silence, les autres attendent, « Chamberby, vous ferez équipe avec Ribes, De Vesdres avec Lebeau, et Hugues reste à ma botte». Tout le monde a l’air satisfait.

J’ai déjà vu que le « Curé » était le meneur de jeu, Lebeau qui est le fameux Lulu,, grand récupérateur devant l’éternel et pas très militaire d’esprit, a besoin d’un mentor, Ribes qu’ils nomment « Chibre » entre eux, sera très bien avec Chamberny qui fait le poids. Quant à Hugues, il fera un parfait porte sacoche.

Je signal à Lulu, que le Vieux n’a pas apprécié le coup de la collection de timbres, et que si on doit prendre des initiatives en ce sens c’est moi qui en déciderai. Il ne s’attendait pas à ça, et se défend mollement sous les rires des autres. En attendant il va remonter sur les positions, avec le « Curé », qui doit préparer le minage d’un pont sur le parcours. Il faut que je vois Valentin avant de prendre quelques décisions pour organiser notre emploi du temps.

Au standard de l’hôtel je demande d’appeler le Docteur, ça jaspine un peu et ils ont l’air de m’avoir compris. A sa gueule, je pige qu’il est en train de se faire engueuler, je lui pique le bigo, « Docteur Valentin, bonjour, capitaine Garnier, on se voit quand docteur? »

« Ah ! Bonjour cher capitaine, je vous rejoins au « mess ».

Je rends son bigo au mec du standard ébahi de mon culot.

Quelques minutes plus tard, Valentin se pointe la main tendue, le sourire aux lèvres, échange de civilités, les boys se précipitent, sa cour fait surface subitement. Ce gars là ne peut pas faire un pas sans avoir une bonne demi-douzaine de sbires sur les talons.

Comme je le vois attablé pour un moment, je m’excuse et remonte aux étages, impossible d’utiliser l’ascenseur, il est toujours occupé par une foule armée jusqu’aux dents, des stylos plein les poches et l’air concerné. Je pique Lamotte, tout équipé entre deux portes,

« Je n’ai pas le temps d’écrire, faites un rapport oral à Carnot, à propos, il est lieutenant-colonel maintenant, alors portez vos insignes de grade, il a l’air d’y tenir. Autre chose, si vous trimbalez des « négatifs » avec vous, essayez d’obtenir des tuyaux en route. »

Nous dévalons les escaliers comme des écoliers, De Vesdre me souffle,  » Faites gaffe à Valentin, c’est un malin, il aime bien nous faire parler, pour savoir ce qu’on pense d’eux. »

Merci du conseil, chef » je retrouve mon Valentin en plein discours, il s’arrête pour me faire signe:

« Alors mon capitaine Garnier ! » il me appellera comme ça durant tout mon séjour avec lui.

Je lui explique que si il a pensé à nous confier une tâche particulière, il serait temps qu’on accorde nos violons. Il est tout à fait d’accord, mais il me laisse le soin de juger moi même des priorités. Il me met au courant des dernières nouvelles, et me présente le colonel qui commande le secteur de Lobito-Benguela. Un gros bonhomme triste, boudiné dans une tenue de combat toute neuve. Je doute qu’il ait jamais vu une école militaire, même en photo.

Valentin me fait remarquer que les services de police fonctionnent, quoique les hommes soient désarmés par sécurité, d’ailleurs la police militaire assure l’ordre et les plus sûre. Je pense à mon explorateur de narines de ce matin, et fais semblant d’y croire.

Je lui propose, si son emploi du temps le permet, de faire un tour en ville, pour se rendre compte de visu, car je lui fais remarquer que j’ai la défense de la ville dans mes attributions. Il abonde dans mon sens et traîne le gros colonel avec nous, qui comptait bien se défiler.

Tout en sortant il donne des poignées de mains, distribue des ordres, gueule, rit, ameute son escorte qui prend les voitures d’assaut. On ne peut pas dire qu’il fasse dans la discrétion. Je prends place dans une voiture découverte avec lui, une bande à l’air vachard se juche un peu partout, armes menaçantes.

C’est parti, je lui demande de commencer par le port, car cette nuit, je n’ai pas tout vu. Il me scrute et dit:

« Ah, vous avez déjà fait un tour à ce que je vois. »

« Un vrai soldat s’assure toujours de ses arrières avant de dormir. »

« Ah ça, c’est bien vrai, c’est bien, » dit-il en me tapant sur la cuisse, et il se penche pour répéter mon propos au colonel sur le siège avant.

On fait le tour de la ville, le port la douane et ses cargaisons bloquées, la gare sans trains, le P.C. de la police, très calme, les issues de la ville, libres et non gardées, l’aéroport, qui est lui est sur Benguela, sorte de ville jumelle. Lui est gardé et des guetteurs occupent la tour de contrôle, les téléphones fonctionnent, et les militaires ont des postes de radio. Je pense que c’est le seul endroit auquel ils veillent et tiennent avant tout. Un DC4 anonyme dort près d’un hangar, il y a aussi quelques avions légers, mais rien qui ressemble à du matériel militaire.

De retour de cette tournée d’inspection, j’ai maintenant une idée plus précise de l’état des moyens dont ils disposent et de leur fonctionnement. En bref, si je m’en tiens aux ordres, tout est à faire. Il est évident que nous ne pouvons que jouer un rôle de figuration dans ce décor. Il faudrait une armée de spécialistes, des moyens, et une volonté qu’ils ne semblent pas posséder. Ce qui est dommage, car les portugais ont laissé les installations dans un état impeccable et bien qu’il ne reste que le personnel subalterne, tout est entretenu, comme si rien ne s’était passé. Le port entre autres est dans un ordre rigoureusement net, le personnel en place, en tenue impeccable, remorqueurs prêts à fonctionner. Ils n’ont même pas pensé à faire un avant-poste de surveillance aux abords du port. Il semblerait que la confiance ne règne pas envers tout le monde.

Valentin, harassé par cette incursion qu’il n’avait sans doute jamais faite, m’offre un whisky bien tassé, et convient d’une réunion des cadres politiques et militaires pour demain, car il ne faut pas perdre de vue que l’Unita et un parti révolutionnaire et que l’avis du parti prime sur un tas de considérations.

Je remonte dans ma chambre prendre quelques notes et faire le point. Ce boulot me plairait si j’étais sûr d’avoir le temps et les moyens, et que tout le monde y croit vraiment. Mais je doute que tous ces paramètres soient pris en compte par les principaux intéressés. Du balcon je contemple le spectacle de la rue qui est à l’image du boulot qui m’attend, un solide bordel. La rue est constamment encombrée de véhicules du parti ou militaires, qui sont les mêmes voiture civile « réquisitionnées » de la guimbarde au modèle de luxe.

Les couloirs de l’hôtel sont sillonnés de gens affairés, parlant fort, armés et tirant toujours des bagages pléthoriques à leur suite. On ne sait qui est qui et fait quoi. N’importe qui entre et sort de ce caravansérail.

J’ai bien l’impression que nous servons de leurre et que les grandes décisions se prennent beaucoup plus haut et plus loin. C’est comme ça qu’on se fait flinguer, et sans savoir pourquoi. Jusque là les gars ont fait ce qu’ils ont pu, prenant des initiatives au coup par coup sans trop savoir ce que cela donnerait, en enfants perdus. Après ce bilan personnel peu optimiste, je descends dîner et me couche.

Je décide de monter voir ce fameux front dès le lendemain, ça m’aérera les idées. De Vesdres est rentré seul pour remonter quelques vivres, j’attrape Hugues par un aileron et nous partons. Valentin m’a fait prévenir que le briefing prévu était remis à plus tard. Une façon comme une autre d’échapper aux questions embarrassantes.

Nous roulons vers le Nord dans le petit matin, les voitures vont bien. Lulu, me confie qu’ils les ont piratées ainsi que les postes de radio qui les équipent, d’ailleurs tout ce qu’ils ont comme équipement vient du même magasin. Rien n’était prévue pour les équiper.

Comme ils n’ont été intégrés à aucun groupe de l’Unita, ils n’ont pas de logistique. C’est une des qualités du soldat de fortune, la démerde, surtout chez les Francçais.

De Vesdres me montre au passage le pont dont qu’il a effectué le minage, un gros torrent qui coule dans un ravin rocheux sépare les deux rives. A 80 kilomètres de Lobito, une ligne de défense a été établie. C’est le point extrême où on trouve des forces de l’Unita. En fait de défenses, quelques bivouacs et de soldats désœuvrés, aucun abri ou retranchement n’a été construit. Quand on gagne on avance, quand on prend une trempe, on se cavale, drôle de stratégie. Ils ne connaissent que la guerre de mouvement. Creuser un trou ne leur vient pas à l’idée, et à la limite, ce serait déchoir. Les pièces de mortier ne sont même pas en batterie, malgré les conseils de De Vesdres, les officiers qui commandent n’ont rien fait. Ils attendent. Je me promets de les visiter au retour. Nous continuons 10 bornes plus loin.

Un col entre 2 collines, et nous dominons la plaine où coule la rivière, dont le pont a été détruit par les forces Sud-Af, lors de le repli sur ordre. Un massif rocheux d’où sort la rivière s’élève à droite. Un rideau d’arbres borde la rivière sur les 2 rives, jusqu’à la mer. Une belle position pour des gens qui voudraient en faire quelque chose. De plus, personne pour surveiller la coupure, qui peut être franchie par des fantassins.

Nous stoppons au pied du pont, ou tout au moins son accès, car ce n’est qu’un chaos de dalles de béton, hérissée de ferraillage. Lulu, m’assure qu’ils sont passés de l’autre côté sans difficultés et que l’on peut relever de nombreuses traces de véhicules. Il y aurait des crocos dans la rivière qui coule paisiblement, après être sortie furieuse des décombres du pont. Je regarde le haut de la barre rocheuse. Un bel endroit pour un poste de guet, j’appelle le  » Curé  » :

 » Personne n’est monté la haut ? « 

 » Non, je sais à quoi vous pensez, mais allez leur expliquer. » on reste à ruminer.

On décide d’aller casser la croute dans la ferme située dans la plaine qui mène à la mer. C’est dans sa partie haute une sorte de grande pièce qui donne sur une terrasse ombragée par un arbre que nous nous installons. Pendant que Lulu, prépare le frichti, le Curé me montre leur poste de « chouf », grâce à l’arbre on ne peut les voir. Seule la nuit est troublée par des bruits de moteurs et des lumières repérées près du pont. Ce qui tente à prouver que nos « amis » ne sont pas inactifs. Après le casse-croûte, nous plions et repartons, J’en sais assez sur ce front. Encore heureux que l’aviation ne soit pas de la partie, on en aurait pour deux jours à être reconduits à la frontière Sud-Af, genre  » blitz-krieg  » 1940.

Je comptais faire une visite aux typex cantonnés près d’un petit terrain d’aviation aperçu en montant, mais j’en parlerai avec Valentin auparavant, ne serait-ce que pour me couvrir. De plus nous n’avons pas avec nous l’équipe  » Tanganyika « , donc pas de dialogue possible. L’équipe  » Tanganyika  » du nom de son indicatif radio, et la bande du Major Bandwa,. C’est lui qui a reçu nos gars lors de leur arrivée. Bandwa, est de taille moyenne, le visage avenant et parle trois ou quatre langues, dont le Francçais. Fils de bonne famille, il a fait ses études au zaïre, comme beaucoup de fils de la bourgeoisie angolaise. On a dû le bombarder Major en fonction de ces critères, natif de la région, c’est un homme précieux, il déploie une activité qui contraste avec l’apathie générale. Je ne pense pas qu’il possède une expérience militaire quelconque, mais sa bonne volonté évidente y supplée amplement.

Il évolue avec une bande sympathique de personnages ou les métis sont en majorité, délurés et décidés. Equipés de Land-Rover, bien armés, tenue propre quoique très personnalisées, c’est la seule unité autonome solide que je verrai pendant cette campagne. Je ne sais pas trop de qui il dépend. Quoique déférent avec Valentin, j’ai remarqué qu’il gardait ses distances. Vito,, un ancien officier de fusiliers marins portugais lui sert de second sans complexes. Tout ça pour dire que dans cette aventure, rien n’est ni blanc ni noir.

En tout cas pour nous, c’est l’homme providentiel, je verrai vite que sans lui on ne pourrait rien faire. D’ailleurs, il colle à nous, persuadé, peut-être à tort, de notre efficacité. A 22 ans, il a l’avenir devant lui, et j’espère qu’il en sortira, car c’est un de ces types de valeurs dont l’Afrique a besoin.

 

Au retour à Lobito, comme Valentin est invisible, nous décidons d’aller traîner en ville. Lulu, me dit que pour trouver une bouteille de bière, c’est  » coton « , et pour un motif très con, l’usine et qui produisait les capsules et en rade. C’est une première en Afrique ! Dans les pires conflits je n’ai jamais vu ça.

On roule en touristes dans les rues animées et bien éclairées, la ville a échappé à la folie des combats de l’indépendance. Nous faisons une tentative de repas dans un restaurant à l’air plutôt chic, mais malgré le personnel stylé, en livrée, et un peu surpris de notre irruption en armes, ce sera peu concluant. Une pale brouet de riz, suivi de pommes de terre bouillies et d’une viande grillée, non identifiable et coriace, suffit à nous enlever notre bonne humeur. On se venge sur le vin rouge, un peu âpre mais goutte.  » une boisson d’homme  » comme dit le Curé.

En rentrant, j’avise les voitures garées en vrac et devant l’hôtel, à l’intérieur de la plupart, des armes traînent.

 » Pas méfiants nos amis  » dis je à De Vesdres.

« C’est comme ça partout me dit-il, ils ont peur de la moindre rumeur en observant aucune mesure de sécurité ».

Il me vient une idée, on va rigoler, je vais vers une des voitures et m’empare d’un PM et de deux fusils. Les gars m’imitent et nous montons dans nos chambres avec un vrai butin. Je cesserai ce jeu rapidement, n’ayant jamais eu d’échos sur cette disparition d’armes.

Chamberny et Ribes sont partis en mission sur Chila et Atome pour des missions de destruction. Je ne suis jamais averti des missions, je compte en parler avec Valentin, je n’apprécie guère que mes gars se baladent dans la nature, et sur ordre de qui ? Sans être au courant. L’équipe de De Vesdres est en nomadisation sur le front avec un élément de  » Tanga  » pour obtenir des renseignements. Bandwa, est resté avec moi, car je ne veux pas être bloqués par des problèmes de langue.

La réunion avec Valentin et ses sbires a enfin lieu ce matin, il se pointe en chemise hawaïenne, les gens qu’ils me présentent comme responsables de ceci ou cela ont l’air ennuyés. Encore des trucs de blancs pour emmerder les pauvres noirs.

D’emblée, j’informe le docteur que ce que j’ai pu voir ne me porte pas à l’optimisme. Pagaille, activités brouillonnes, personne ne rend compte, dépenses anarchiques du peu de moyens disponibles et surtout, personnel livré à lui-même. Tout le monde regarde ses godasses. Je prie Bandwa, de traduire, il le fait un peu gêné, mais je sais qu’il roule pour nous. Ensuite, j’expose à Valentin en prenant des formes. L’appercut du début suffit pour l’instant, ce que j’envisage comme premières mesures ; faire un état exact des troupes disponibles, de leurs moyens, et leur emploi actuel. Créer un embryon d’état-major dont je serai le conseiller, pour savoir à qui rendre compte, et faire exécuter les ordres, j’évoque l’attitude des gens que j’ai vu près du front, peu coopératifs et qui n’ont tenu compte, en aucun cas, des avis du lieutenant De Vesdres.

Il se tourne vers un des colonels et commence à l’engueuler vertement. C’est la première réaction à mon speech, la température monte dans la pièce.

Je lui passe les notes que j’ai mises aux propre sur ces sujets. Valentin me fait signe de poursuivre.

Je passe aux problèmes plus immédiats comme la sécurité du Q.G. dans l’hôtel, la quasi inexistence de sa fameuse police militaire et l’allure de ses membres, un deuxième colonel passe au savonnage, je suis en train de me faire des amis.

Valentin a le sens de la mesure et conclut en leur adressant une diatribe énergique, bien qu’elle n’échappe. Il me félicite pour mon travail et m’assure qu’il va mettre de l’ordre dans tout ça, et que je peux compter sur son appui dans mon action, si je dois me heurter à l’un de ses cadres, il me demande de lui en rendre compte aussitôt. J’en profite pour lui demander de m’adjoindre le Major Bandwa, comme officier de liaison permanent, vu ses capacités et son zèle, il me la corde avec joie, ravi que je trouve enfin quelqu’un à mon gré.

Je lui confie mon souci au sujet des éléments stationnés près du front ont, j’assiste sur le près et l’informe que je vais me rendre sur ces positions dès demain pour mettre ces gens en demeure de se bouger.

 » Recommandez vous de ma personne  » me répond il

Je sors de cette réunion un peu déçu, car aucun responsable ne s’est exprimé, ce qui n’augure à mon avis à rien de très positif.

Bwanda, dopé par mon coup de gueule public, me propose de m’emmener faire un tour chez des amis où je verrai des choses qui peuvent m’intéresser. Nous gagnons la périphérie de la ville, pour atterrir devant un hangar planté dans un environnement de garages et de vieilles épaves autos. Nous sommes reçus par une équipe de mecs où les blancs se mêlent aux noirs et aux métis. Tous ces gars sont dans de vagues uniformes, et l’intérieur du hangar est un véritable arsenal ; F.M. et mitrailleuses, bazookas, canons sans recul, mortiers, munitions, de quoi armer un régiment. Bandwa, me présente, ils sont tous des anciens des forces armées portugaises qui ont préféré rester ici où beaucoup sont nés, leur pays c’est l’Angola, et si les  » portos  » les ont abandonnés, ils ne vont pas se laisser bouffer par les rouges du M.P.L.A. Tous ces mecs me paraissent très motivés pour l’instant, ils préfèrent laisser l’Unita faire du volume, eux, ils se préparent pour la grande bagarre qui ne saurait tarder.

D’ailleurs, ils sont en train de préparer des véhicules, je vois une grosse « Land-rover » avec blindage une tourelle avec mitrailleuse, il y a même une A.M.L. 90 et un autre véhicule blindé. Le raid des Sud-Af sur leurs blindés légers les a inspirés et ils sont décidés à monter une unité analogue. Je pige que toute cette organisation est semi clando, mais ça, ça les regarde. Bandwa, me confie qu’ils sont contents que ce soit des Francçais qui soit avec eux. Je lui demande si on pourra compter sur eux si l’occasion se présente, c’est prévu mais il faudrait mettre tout ça au point.

Les bouteilles sortent, on s’enfile quelques verres au milieu du chantier, ces gars ont un moral d’enfer. Je n’ai pas perdu ma matinée et j’ai appris quelque chose que tout le monde ne sait pas. Il faudra en tenir compte si ça dure notre jeu. Nous rentrons le moral en hausse. Je récupère Hugues à qui j’ai collé la corvée de me préparer au propre et à la machine, quelques idées de projets à soumettre à Valentin.

Nous passons la soirée à rôder en ville pour nous mettre la géographie de l’ensemble dans la tête. Je remarque que même les quartiers dits « populaires » n’ont pas cet aspect bidonville que l’on trouve généralement en périphérie des grandes villes africaines. Par contre certains regards me laissent à penser que malgré les assertions du docteur, il n’est pas sûr que les partisans de l’Unita soient l’unanimité. Je souhaite que de ce côté ils font quelque chose. Chamberny et Ribes ne sont toujours pas rentrés et je n’ai aucun moyen pour les joindre, ce système ne me satisfait pas du tout.

Comme prévu, nous montons voir les positions ce matin, je pars avec Hugues et Bandwa, plus une de ses équipes, ce qui nous fait trois voitures.

Sur la route, je constate qu’un camion abandonné en haut d’un col rocheux est toujours là, et ce ne doit pas dater d’hier. C’est un obstacle et en plus il est et plein de patates qui ont pourri au soleil dégageant une odeure effroyable, il faut le dégager ou le faire sauter.

Nous arrivons au bivouac des « guerriers ». Un hangar pour avions et quelques baraques, autour une dizaine de véhicules, je vois deux mortiers de 120mm Francçais tractés. Ce n’est pas vraiment leur place. Les bidasses vaquent à des tâches obscures, lave du linge ou « popotent » sur des feux de bois.

Nous garons les voitures en ordre, et Bandwa, demande à un type d’appeler l’officier responsable. De Vesdres qui nous a rejoint me dit qu’ils ont déjà eu affaire à eux et qui ne sont pas très coopératifs. On va voir ça tout de suite !

Bandwa, revient avec un type qu’il me présente comme le colonel qui commande le groupe. Un colonel pour 50 types, on aura tout vu, enfin !

Le type a le teint clair et le fond des yeux jaune, je le salue sans lui serrer la main pour garder les distances. J’explique que je suis chargé par le président Sawimbi – tant qu’à faire – d’inspecter le front et de prendre les dispositions que je jugerai nécessaires pour le mettre en état opérationnel. Bandwa, traduit. L’autre écoute en regardant ses godasses, je n’aime pas ça. Ils jaspinent en « portos », mais gars examinent leur matériel sous les regards méfiants des soldats. Je sors ma carte, une Michelin acheter au B.H.V. à Paris, le seul document dont je dispose, je les plastifiés pour la circonstance.

« De Vesdres, faites lui un topo sur ce qu’on voudrait, faites court. »

La carte sur le capot, Bandwa, explique au fur et à mesure, j’espère que l’autre zèbre sait lire une carte, quelques autres « gradés » se sont groupés autour de nous, intrigués. Je bourre une équipe en observant, je vois vite qu’on les emmerde.

« Il a compris ? Et est-ce qu’il est décidé à participer ? » je m’adresse à Bandwa,, le bla-bla repart :

« Il dit qu’il est là en soutien »

« En soutien de qui ? Est-ce qu’il y a des troupes amies devant, où, et combien ? »

« Oui il y en a »

« Combien ? »

« Beaucoup ! »

A mes côtés, De Vesdres souffle, agacé par ce dialogue de sourds.

« Est-ce qu’ils font des patrouilles, de quel ordre, où, résultats ? » Un silence suit.

J’ai l’impression d’interroger un prisonnier, Bandwa, continue à lui parler avec animation, j’interroge Menton, Bandwa, conclut « il dit qu’il attend ».

« Je pense qu’il n’y a rien à tirer de ce type, dit lui que nous montons à la coupure et que je lui conseille de nous suivre, » il commence à me gonfler ce connard.

Tout repart dans des discussions animées, nous partons, je vois deux bagnoles qui nous suivent à la coupure, j’essaie de leur faire comprendre que c’est là qu’il devrait avoir sa ligne de défense, couverte par ses pièces de mortier. On ne lui demande pas de se faire tuer sur place, mais de mettre un bouchon qui servira en plus de poste d’observation.

C’est trop compliqué pour lui, où il a adopté une stratégie basée sur l’inertie qui vient à bout de toutes les initiatives. Je n’insiste plus. Je demande simplement à Bandwa, de lui dire que je rendrai compte au docteur Valentin de sa coopération. Il n’y a pas de raison pour qu’en plus, cet oiseaux là dorme tranquille.

Nous les plantons là, et partons à la ferme récupérer Lulu, qui est resté seul. Nous cassons la croute sous les arbres. Je demande aux petits Major s’ils sont tous comme ça les « colonels ». Il m’explique qu’il n’y a pas vraiment de commandement unifié, tous les anciens chefs de la guérilla anticoloniale sont passés officiers à l’indépendance avec arme et bagages, habitués à se gérer et à travailler seuls dans leurs secteurs, ils n’ont pas encore compris l’avantage des regroupements de forces et que la forme des combats à changée. Quant à leur faire tenir des positions clés ! C’est totalement étranger à leur façon de penser.

De Vesdres me dit  » il faudrait une école de cadres ».

« J’ai peur qu’il ne soit trop tard, car le temps nous est compté ».

« Qu’est-ce qu’on fait ? On tient toujours le « chouf » ? « 

« Plus que jamais, sinon dégage ce sera pire et on ne manquerait pas de nous imputer tout ce qui arriverait. »

« Je ne voyais pas les choses comme ça » dit-il.

« Moi non plus, mais je ne pense pas que cela durera, une raison de plus pour être vigilant. »

Nous redescendons avec Bandwa, et Hughes, laissant des vivres à mes deux « antennes » qui pourront décroché demain matin.

En roulant, je demande à Bandwa, si il peut me trouver des mines, il sourit et me demande

« Antichar ou antipersonnel ? « 

« Les deux, camarades Major ! ». Ils se fendent la poire et me disent:

« Vous êtes malin et tenace, hein ! « 

Nous filons sur Benguela, où Bandwa, me dit aller voir sa famille, ça nous promènera. Dans une rue occupée en son milieu par une sorte de mail bordé d’arbres à fleurs, nous stoppons devant une maison aux fenêtres protégé.es par du fer forgé, très typique du Sud du Portugal. On est accueilli comme des héros par une cohorte de dame de couleur d’âges différents, qui s’empressent pour nous abreuver et nous gaver d’amuse-gueules. Il y a une grand-mère, des sœurs, des cousines, notre Major est l’enfant chéri et ça se voit. Tout le monde est bien urbain et d’une gentillesse naturelle. Nous partons sous les vivats, car le quartier s’est groupé aux fenêtres pour voir les « guerriers ». Quel drôle de bled !

… croisé le docteur Valentin à qui je fais un résumé de ma visite sur les positions et de l’allant des gens sur place. Je lui fais remarquer que ce n’est pas le travail de deux officiers de faire le guet dans une ferme isolée sans même un poste de radio, et qu’en conséquence, comme nous ne pouvons disposer d’effectifs pour un simple bouchon, je vais poser des mines. Ses lunettes font un bon sur son nez : « des mines ! Mais vous les avez trouvées où ces mines ? »

« Je m’adapte docteur, je commence à me faire des amis. »

« Mais vous avez le personnel pour ce travail, c’est délicat ! »

« Mes gars savent pratiquement tout faire docteur, et un plan vous sera remis à l’issue de l’opération de pose, pour l’avenir, sinon vous risquez d’être réveillé un matin par un gars qui vous parlera espagnol. L’allusion aux Cubains lui faire perdre un peu de sa couleur.

« Vous croyez que nous devons envisager cette éventualité ? »

Plus l’attente se prolonge, plus les chances que cela se produisent augmente, et vu les moyens déployés, en une heure, passé le fleuve, on les aura sur le dos, ceci dit sans vous effrayer. »

Il l’Est effrayé, et je fais tout pour; leur insouciance m’agace, et en plus on est en plein dans le merdier si ça démarre.

Bandwa, se pointe, et me confirme que nous serons le matériel demain. Tout roule. Chamberny est rentré ce matin, ils me confient que ça bouge au Nord de Cela, le Major avec qui il travaille là-bas est prêt à faire mouvement mais n’a pas d’ordre. Je n’en suis pas surpris ! Il y aurait eu un accrochage vers Cassongé, à l’Est d’Atome où ils étaient, ils ont vu des véhicules avec des blessés. Nous jetons un œil sur la carte, il y a une soixantaine de kilomètres entre Cela et Alto-Hama au croisement des routes nationales, s’ils poussent par là, cela risque d’aller vite. En plus ils commencent à manquer d’explosifs.

 

De Vesdres arrive avec Lulu,, nous en profitons pour faire une réunion. Je les mets au courant de miner la coupure, pour les dégager de cette corvée de sentinelle.

Si des mecs viennent se coller les pattes dedans on le saura vite et on avisera ».

Je veux que les équipes restent mobiles et en alerte, nous allons axer nos activités sur la surveillance de notre flanc est, pour déceler des infiltrations éventuelles. Si nous en avons le temps nous verrons ce que nous pouvons faire pour le Nord et l’Est de Lobito même. Je recommande à Chamberny de ne pas aller au-delà de Teixera da Silva dans ses incursions. Je retiens Bandwa, pour demain 7h00, et lui demande d’en savoir plus sur les échos que Chamberny m’a rapportés.

Nous avons laissé l’équipe de démolition au repos et montons sur la coupure, c’est un vrai convoi, trois voitures et un camion « Marmon » que Bandwa, a mobilisé dans ses réserves. Les troupes du « colonel » glandent toujours au même endroit, nous poursuivons sans nous arrêter. A la rivière nous inspectons le terrain. Les gars du Major débarquent le matériel. Nous avons des mines antichars Russes et des mines « encriers ».

De Vesdres et Hugues sont de taille pour maîtriser tout cela, Bandwa, me présente un gars qui connait aussi ces saloperies. Il en a posé contre les portugais avant l’indépendance, les temps changent ! Ce gars connaît parfaitement ce matériel et cela se voit, les autres font les manœuvres.

Je dresse un plan sommaire des emplacements, ce vilain travail exécuté, nous dégageons. Ca n’arrêtera pas la guerre, mais quant ils vont tomber là dessus, ça les retardera et l’effet psychologique fera le reste. De Vesdres et Lulu, passeront une dernière nuit pour observer à tout hasard. S’il y a des observateurs ennemis, je ne serais pas surpris qu’il y ait une réaction.

Après la dînette, nous poussons jusqu’au bord de la mer rendre visite à la pêcherie qui est abandonné. Un village de cases surplombe sur un morne voisin. Mais il semble que les habitants aient déserté les lieux. A deux encablures, plusieurs chalutiers au mouillage sont également abandonnés. Cela paraît impensable. Bandwa, me dit qu’ils sont restés en rade faute de carburant. Je fais remarquer que le calme revenu, Lobito aurai pu venir les remorquer. Quel gâchis !

Les bâtiments de la pêcherie son plein de matériels divers. Nous découvrons sous un hangar un stock de poissons séchés, c’est la seule chose concrète que j’arriverai à leur faire faire. Il y en avait trois camions de 15 tonnes. Il est vrai que pour la bouffe, ils se remuent. Je fais embarquer plusieurs glènes de filins de fort calibre, un réflexe de marin. Le pire et qu’il n’y a eu aucune déprédations apparente. Je fais embarquer la collection complète et reliée de l’encyclopedia britannicus abandonné dans un bureau. Je ne l’a reverrai d’ailleurs jamais. Quelques crics et des barres de fer complètent notre butin.

On est paré à partir quand les gars de Bandwa, nous amènent un vieux birbe hirsute en rigolant. Il n’a pas du tout l’air impressionné, je lui serre la main et lui offre une cigarette qu’il casse illico en deux et ce col dans la bouche d’un air gourmand.

Lulu, s’esclaffe: « ah ben lui, il s’emmerde pas avec les briquets. »

« Alors Tanga, qu’est ce qu’il nous raconte notre ami ? »

L’ami est vêtu d’un chante salle est déchiré et tient sur l’épaule une houe locale à manche court. Il n’est ni rasé, ni barbu, comme le sont souvent les vieux noirs, ses yeux plissés brillent de malice. D’après Tanga, il travaillait les champs pour la pêcherie, mais tout le monde s’est barré, il est resté seul avec sa vieille. Il mâchonne son tabac sans ce troubler, il voit bien des soldats de temps à autre, mais il se cache, il ne veut pas d’histoire.

Je lui refile une pipe et demande:  » donc il sait rien il y a rien vu ? »

Tanga lui pose une dernière question, le vieux crache un jet de salive noire et éructe trois mots d’un ton sec et définitif. Les gars se marrent. Je lui fais donner un ballot ou de poissons secs et il part en trottinant sans se retourner. On en fait autant, je me demande si ce n’est pas ce vieux qui a raison.

Nous repérons en revenant sur Lobito, plusieurs pistes carrossable partant vers l’Est, je pense que c’est par ces pistes il nous faudra pousser des reconnaissances.

Devant l’hôtel, j’ai réussi à interdire la rue a notre profit, de câbles en barrent l’accès qu’une sentinelle abaisse aux voitures autorisées, idem à l’autre bout. Je vois Tanga flanquer une volée de claques à une des sentinelles qui baillait assise par terre. Il n’y a vraiment qu’eux qui peuvent se permettre ça. Nous avons un homme de garde à la porte de l’hôtel, un jeune qui arbore un splendide chapeau scout, trois jours plus tard, je le trouverai endormi dans les plates bandes. Renseignements pris, le gars n’avait jamais été relevé, et mangeait quant il pouvait. Je le renvoie d’où il vient, il n’a jamais dû comprendre. Je laisse tomber.

Valentin ulcéré par ma sortie sur sa « police militaire » me demande la former, le « colonel » qui commande est mis à ma disposition séance tenante. Je lui fais remarquer que cela ne peut être fait en quelques jours et qu’il me faudra les moyens. Je lui promets de faire un projet en ce sens qui lui sera remis. Tout ceci finira aux oubliettes.

Le lendemain, le Curé et Lulu, ce pointent, ils ont essuyé trois coups de mortier dans la nuit, pas de dégâts, mais une preuve de plus qu’on observe nos mouvements. J’en fait part au docteur pour lui donner matière à réflexion. De toute façon, on ne remontera plus là haut, on va changer de jeu.

Il est 6h00 du matin, les senteurs de la marée viennent rôder jusqu’ici malgré celles de l’asphalte. Je regarde les gars qui dorment dans les voitures dans des positions les plus invraisemblables. Sur le trottoir d’en face, sous les arcades du bistro, d’autres sont allongés à même le sol. On ne peut pas dire que ces gens soient compliqués.

Je rentre et réussi à me faire servir un café. Mes gars arrivent l’un après l’autre. J’attends et Bandwa, arrive pour monter une reco sur un des axes repérés. Nous grimpons au cinquième pour être tranquille, je demande à Chamberny, reposé et frais de me raconter ce qu’il a vu pendant son dernier raid. Il se concentre quelques secondes;

« Je passerais sur les démolitions qui souvent, sont à peine motivées. On passe plus de temps à chercher de l’essence et à bouffer. Les contacts avec les F.L.A. sont bons dans l’ensemble, mais on ne sait jamais ce qu’ils font. Ils sont toujours groupés dans les petits bleds, sans flancs gardes, passant le temps à roupiller, à part la chasse aux espions, qui est une sorte d’exutoire à leur inertie. En se référant à ce qu’on a pu voir, leur ligne d’implantation se situe, il déclina ma carte, Lobito, Cela, Bimbé, et au Nord de Silva-Porto où nous n’avons pas opéré. Le point principal est Alto-Hama, le croisement des deux axes principaux. Si les M.P.L.A. percent, ce serait là: la route principale est en bon état, venant direct de Quibala et Santa Comba ».

Il me regarde interrogatif :  » vous êtes monté jusque là si je me rappelle ? »

« A cinq ou six bornes environ, pour faire sauter un pont, qui pour une fois, en valait la peine ».

« C’est trop près, évitez de rentrer en contact, ce n’est pas votre job ».

Je suis bien d’accord, surtout que pour avoir une escorte, c’est toute une affaire ».

« A part ça, est-ce que tu as senti chez eux une volonté de résistance, et est ce qu’ils en ont les moyens ? »

« S’ils voulaient, ils en ont les moyens; mortiers lourds, canons S/R 106, mitrailleuses lourdes de 14,5 Russes, R.P.G. 7, le tout tracté ou porté, et pas mal de munitions ».

Il se tait, personne ne bouge, Bandwa, se pointe à ce moment-là et nous ramène sur terre.

« Bien, voilà comment je vois les choses; premier point, l’équipe de démolition continue sans trop s’éloigner, qu’on puisse se regrouper en cas de clash. Deuxio, le reste se limite à des activités de patrouilles et d’observation et de collecter plus renseignement avec l’aide de notre ami Tanga. Lulu, administre une claque sur l’épaule de Bandwa,. Tout le monde s’ébroue.

« Le Curé, nous allons monter à la sortie Nord de Lobito, et voir ce qu’on peut installer comme défense à base de mortiers lourds, et voir ce qu’on peut regrouper comme infanterie, je ne me fais pas d’illusions, si on peut avoir une compagnie ce sera déjà bien. On la prendra nous-mêmes en charge, on ne peut que improviser vues les circonstances ».

Je vois que Bandwa, attend quelque chose.

« Toi Major, tu restes en appui et continues les liaisons, si tu n’es pas là on ne peut rien faire, tu as intérêt à mettre les petits camarades du garage en stand-by, en plus, c’est toi qui va me trouver la compagnie de biffins prévue, organiser le ravitaillement et le reste, vous travaillerez en doublé avec le « Curé », Lulu, comme d’habitude pour les problèmes techniques, Hugues reste avec moi. Il faut trouver des mecs qui connaissent les mortiers, tu vois on ne t’as pas oublié ».

Pendant qu’ils échangent leurs idées, je pense que c’est tout ce que je peux faire de mieux, il me reste à voir Valentin pour lui donner une partie de mes intentions.

Nous descendons en cavalcade, le « Curé » et Lulu, vont jeter un oeil sur le pont « pré-miné » et prendre l’air, je vais faire un tour au port avec Hughes, à moins que je puisse voir le docteur miracle.

Chamberny me rappelle qu’il a toujours son problème d’explosifs. Merde, j’avais totalement perdu ça de vue. Bandwa, me dit qu’il croit pouvoir trouver ça, on y va tout de suite, comme toute la bande est au complet, on par tous ensemble vers ce dépôt miraculeux.

On file par le Sud, une vaste zone de marais à demie à sec, sorte de zone industrielle sordide qui sépare Lobito de Benguela, l’aéroport se trouve tout près. On vire dans une piste de terre qui nous conduit vers deux grands bâtiments austères, tout autour l’endroit est plat, vide et désolé, on stoppe devant une porte monumentale en ferraille. Deux mecs « feignassent » au soleil, le cul sur des chaises appuyées aux murs. Bandwa, me dit que c’est un ancien pénitencier, ça explique le décor,

« Hé, Lulu,, ton prochain hôtel ! » tous les gars se marrent.

Bandwa, a fait remuer les deux glandeurs à coups de pied dans les chaises. Ils s’affairent pour nous guider. On trouve facilement ce que nous cherchons, de grosses boîtes de plastiques Russes et tout ce qui va avec; c’est beau l’amitié des peuples frères. Nous faisons notre compte: un chargement de mines encriers et de grenades, les munitions ne manquent pas non plus, mais nos armes n’avalent pas ce genre de dragées. Bandwa, embarque des roquettes de R.P.G. 7 et des munitions de AK 47.

A l’extérieur Ribes et son patron font des essais de plastic au grand dam des gardiens qui n’ont pas l’air d’apprécier. Chamberny estime que ce truc russe est moins efficace que l’américain. On se barre sans rien signer, drôle d’organisation !

On rentre en ville, les démolisseurs vont préparer une nouvelle mission, nous montons sur le Nord, dans la foulée, j’ai changé mes plans. Je décide de monter jeter un œil à la coupure, en passant, le « Curé » veut expérimenter le plastic russe sur le camion de patates pourries. Ca marche ! Ca marche même bien, le camion vole en l’air désarticulé, et son chargement et pulvérisé dans la nature, c’est pire qu’avant, il y en a partout, on passe en patinant dans cette mélasse odorante.

Au terrain d’aviation, les glandeurs sont toujours en pleine léthargie. On arrive en haut de la combe qui domine la rivière. Je fais signe de stopper, inutile de se faire voir. On débarque les jumelles à la main. A priori, pas de changement, nous examinons surtout les abords du pont, mais rien ne semble avoir bougé. Lulu, voudrais aller jeter un coup d’oeil, mais je m’y oppose, inutile d’apporter un intérêt particulier à cet endroit, cela ne pourrait que sembler suspect, si on nous observe. Ont vide une bière, cadeau de Bandwa,, qui est décidément un homme de ressources.

On rentre, au pont miné, nous stoppons et le « Curé » jette un coup d’oeil à ses charges, nous rendons visite aux habitants du lieu, une espèce de relais routier, quand le pays était calme. Il est vrai que l’endroit est beau, la rivière coule tumultueuse entre les parois rocheuses, passe sous le pont et se calme un peu plus bas. Les gens n’ont pas l’air très enthousiaste, ils ont tenu jusqu’à présent, mais ils sentent que l’étau se resserre. Ce sont des métis très clairs, ils sont avides de nouvelles, que nous sommes bien en peine de leur donner. Ils nous offrent à boire, nous tentons de les rassurer, mais ils sont vraiment inquiets.

On rentre pour le déjeuner. Je tombe sur Valentin en tenue camouflée. C’est son jour de guerre. Nous nous mettons d’accord pour discuter après le repas.

Le docteur Valentin est un curieux personnage, ses états d’âme se traduisent par son choix de la tenue vestimentaire de la journée. Ce matin, c’est le guerrier, la mine sombre, l’ère pénétrer du héros antique. Un jour il s’est pointé et m’a dit :

« Aujourd’hui, si le sort en décide, je meurs pour ma patrie  » Texto ! Allez-vous prendre au sérieux après ça. J’ai rétorqué, pince sans rire :

« Un autre jour docteur, j’ai besoin de vous justement ».

Sa figure s’éclaire d’un bon sourire « dans ce cas, j’attendrai». Me croit qui veut !

Le reste du temps il siège dans son appartement en compagnie de sa femme, une splendide zaïroise de un mètre quatre vingt, qui regarde le reste du monde comme des fourmis. Les estafettes de tous poils se succèdent, portant la bonne parole, ou des ordres jamais exécutés. Cet après-midi, nous avons enfin un briefing sérieux sur toutes les questions que j’ai soulevé précédemment. L’aréopage d’officiers muets est présent comme d’habitude.

Je ne veux pas revenir sur ce dont je les ai déjà entretenus. Je passe aux questions d’actualité, et lui fait part de mes dernières décisions, qui sont déjà en phase d’exécution. Personne ne bronche. Pour le reste, j’attends leurs rapports et leurs suggestions. J’attends qu’ils se mouillent un peu, et j’en ai marre de parler pour rien.

Je leur fais un point général de la situation, en fonction des données dont je dispose, et des mesures que j’ai envisagé. Je sors ma carte, ça les épates toujours que je connaisse le nom des villes qui nous entourent, et leur développe les hypothèses du futur proche.

Ca, les réveilles un peu, ils se mettent à jaspiner entre eux, Valentin enlève ses bésicles et éponge sont front intelligent. Je reprends

« Si en cas d’offensive ennemie on ne défend pas la ville, et rien n’a été fait en ce sens, il faut prévoir un retrait, ce qui veut dire, évacuer le matériel lourd, et le personnel sensible, c’est à vous de voir et de décider ».

Valentin veut avoir le dernier mot et rassurer son personnel, il remet de ses lunettes et dit :

« Nous n’en sommes pas encore là, vous me paraissez bien pessimiste capitaine. »

« Il faut tout prévoir docteur, vos sources de renseignements sont sûrement meilleures que les miennes et plus nombreuses. Consulter les ! Ils repartent à discuter avec animation, je sens que j’ai marqué un point. On lève la séance là-dessus.

Valentin me prend à part, me tenant le bras  » tenez moi informé de la moindre nouvelle, je sais que vous bougez beaucoup, et que vous êtes bien entouré. Ca c’est le comble, je pense qu’il fait allusion à Bnandwa et sa bande.

 

Chamberny et son équipier partent pour Cassongué, je lui demande de faire passer un message dès qu’il constate quelque chose d’anormal ou de notable.

Bandwa, et Hughes se pointent avec le sourire satisfait du chat qui a avalé une tranche de jambon :

« On a trouvé des tubes, trois 81 et un 60, avec un camion d’obus »

« Et où c’est ce miracle? »

« Bandwa, a planqué ça où vous savez » me dit-il avec un clin d’oeil.

« Parfait, si on a déjà les mortiers, on a plus qu’à trouver l’endroit où les poser. »

Bandwa, me dit que ses gars sont en train de réunir des bonshommes, une bonne centaine, mais il va falloir se démerder pour leur retrouver un cantonnement, sinon ils vont vite se débander.

Nous montons aux portes de la ville. Le « Curé » et Lulu, sont déjà là. Une poignée de bidasses assis sur une marge de ciment regardent ce déploiement de forces sans broncher. Bandwa, va leur secouer les puces en gueulant, et nous ramène un type qui est sergent, c’est lui qui garde l’accès de la ville avec ses potes. En clair, il bulle au soleil ou à l’ombre selon l’heure.

De Vesdres est en train de chercher un endroit pour positionner les mortiers, les abords de la route sont composés d’une sorte de maquis et de rochers, nous avons quelques bâtiments sur la droite dont une sorte d’école bâtie en Pierre et un terrain clos de murettes et de grillage.

Bandwa, qui a inspecté les lieux décide que cela fera un cantonnement parfait et discute avec le sergent. Il est là depuis un mois et n’a plus revu personne, une partie de ces gars sont dans la nature pour trouver à bouffer. J’imagine de quelle manière !

« Combien sont-t-ils ? » une vingtaine d’après Bandwa,, je réfléchis, les palabres continuent.

 » Tanga, est que tu crois pouvoir trouver à bouffer pour ces types ? »

« Peut-être me fait-il, il faudrait les payer, ça les ferait revenir. »

Je crois que j’ai une idée, nous possédons des escudos, qui jusque là ne nous ont pas servi.

« Promets leur qu’on va les payer et qu’ils vont être renforcés. »

Bandwa, repart dans son dialogue, je vois la face du petit sergent s’éclairer, et il appelle ses gars. Bandwa, leur fait un speech qu’ils écoutent avec attention

« C’est bon, il va faire passer la consigne. »

.

Le « Curé » revient avec Hughes, ils ont trouvé ou mettre les pièces, on n’a plus qu’à trouver des pelles et des pioches. Bandwa, assure que nous aurons tout ça demain matin.

Nous laissons des consignes aux Sous-Off et repartons. Je sens que ça avance. Fini pour aujourd’hui cette tentative de mettre quelque chose de cohérent sur pied n’alla à pas beaucoup plus loin.

Nous arrivons à grouper un peu de personnel que nous payons avec de l’argent trouvé dans une chambre par Lulu,. Ce n’est que de la monnaie de singe pour nous, on n’a jamais rien pu acheter. Le matériel bloqué dans un camion que Bandwa, réserve pour le moment venu, car il a peur que pendant notre absence de disparaisse. Il nous aurait fallu être plus nombreux et affecter deux ou trois gars à cette entreprise.

Pour l’heure, nous remportons un demi-succès ,qui vient à l’appui de mes déductions. De Vesdres et Lulu, partis en reconnaissance avec un élément « Tanga » sur une piste avoisinante sont tombés sur un élément du M.P.L.A. qui avait traversé la rivière tranquillement, et faisait le point dans les restes d’un village de cases. Surprise des deux côtés. Interpellations! On se rend vite compte qu’on ne parle pas la même langue. Lulu,, plus rapide, allume le type qui a l’air d’être le chef, un blanc, qui s’écroule en gueulant tout azimut. Ca rafale de partout, De Vesdres qui a mené l’approche à ses types bien placés, Lulu, ce planque, pris entre deux feux. Tout ça finit en eau de boudin, une arme automatique couvre le repli de la patrouille ennemie sur la rive opposée. Le « Curé » est sur qu’il leur ont fait au moins deux morts et plusieurs blessés. Lulu, ne décolère pas et est sûr que le mec qu’il a plombé été un russe. Il est vrai qu’une prime est prévu si on en ramène un, mort ou vif. Hélas, le corps a été rapidement enlevé pendant le repli. Venus à pied, nos gars n’avaient pas d’armement lourd pour clouer les autres et devenir plus offensifs. C’est néanmoins un point d’acquit, ils tâtent notre dispositif.

Cet engagement bref et heureux, nous n’avons pas de pertes, est une bonne chose. Les gars sont plus motivés et tout excités. Le passage et piégé à tout hasard et nous tiendrons une embuscade de nuit pour calmer les gars, et pour tenter le sort. En vain bien sûr !

Le village en face est vide, nous en sommes surs. « Cela leur aura au moins servi de leçon » fait Lulu,. Le « Curé » renchérit avec justesse « si ils croient que tous les coins semblables sont gardés, c’est bon pour nous, ils vont se méfier, on gagnera du temps. »

Deux jours après, une voiture de reconnaissance et interceptée et détruite sur la route d’un bled au-delà de la rivière, lors d’un raid un peu risqué d’une des équipes de « Tanga » que j’ai envoyé maraude. Désormais, toute notre activité se concentre sur ce type d’activités, nous passons tout notre temps sur le terrain. Le moral s’en ressent, on a l’impression de faire quelque chose d’utile.

Nous remontons jeter un œil à la coupure, mais rien n’a l’air d’avoir bougé. Ils vont essayer de nous contourner par l’Est. Chamberny m’a fait passer un message de Vila-franca, un bled non indiqué sur ma carte. Les « cubs » ont pris Amboive dans l’Ouest de Cela, il y a deux jours, ils seraient à 10 bornes de Cassongué. Ils emploient appui d’artillerie et aviation. Ribes est à Atome.

« Bordel ! Ils ne pouvaient pas rester ensemble ! ». Nous sommes le 04 février 76.

Est-ce qu’ils veulent consolider leurs lignes avancées ou préparent-t-ils une offensive ? J’envoie le Curé et Hugues en reco sur Souza-Lara, un croisement de routes, pour essayer d’avoir des échos et d’évaluer la situation en moyens à cet endroit. Ils partent avec les métis de Bandwa, et un 4×4 portant un 106 SR. Ceux-là, ont l’air d’en vouloir.

A l’hôtel, ça commence à bouger, je tiens Valentin au courant de mes initiatives, mais ils a l’air d’avoir d’autres soucis en tête. Le comble ! Je me demande ce qu’on fout avec des zèbres pareils : malgré de multiples demandes, j’attends encore de savoir comment fonctionnent leurs transmissions. A aucun moment, je n’ai pu rentrer en liaison avec ma base, dans l’autre sens, cela n’a pas l’air de traumatiser Carnot. Aucune directive ou demande de rapports d’activités. J’espère qu’il nous croit encore vivant.

Lulu, est revenu tout excité. Au cours de ses maraudes avec les mecs à « Tanga », et bien qu’il ne parle pas une bribe d’anglais ou de portos, il est copain comme cochon avec eux. Les arsouilles entre elles ! Il a dégoté sur le port des stocks de vins Francçais en caisses, comme preuve, il m’a rapporté quelques bouteilles de Bordeaux et de Bourgogne pas piquées des vers. On goûte sur le capot de la voiture, face à la mer, à l’ombre des flamboyants. De vrais esthètes ! Il y aurait aussi des caisses de conserves; légumes divers et viande. Je pense que nous allons passer au stade d’armée en campagne et que le temps des belles manières va disparaître.

Pour se détendre, nous investissons, sur les conseils de « ses amis » , un gargotier qui nous sert un de ces plats de morue dont les portos ont le secret. Le tout arrosé d’un cru de Bordeaux tiré des musettes. On invite le patron à trinquer, il s’exécute un peu gêné devant le reste de sa clientèle. Serions-nous chez des partisans du camp adverse ? Il est vrai que Lulu, qui a installé son F.M. sur une table voisine, n’a pas amélioré l’ambiance. Le bipied en place, l’engin fixe de son œil noir le reste de la salle.

« Ils seraient capables de me le chouraver cette bande d’aztèques ! me fait-il. Je suis presque sûr qu’il n’a aucune idée de ce qu’est un aztèque, mais le nom lui plaît.

« ils ont l’air faux-culs, je trouve » me dit-il en se curant les dents, l’œil gendarmesque sur les clients moroses.

« Peut-être qu’ils nous aiment pas, Lulu, ! » Ma réflexion le plonge dans un silence méditatif;

J’attends le retour de mes équipes pour crocher le Valentin par un aileron et lui souffler dans les bronches. J’aimerai assez savoir où on en est de ce numéro de singeries.

En ville rien n’est perceptible, d’après Bandwa, la radio ne diffusent aucune nouvelles alarmantes. Le Curé et Hugues se pointent le lendemain midi, un peu poussiéreux mais en pleine forme – la joie de l’âme l’est dans l’action – a dit l’autre.

Rien de très notable à Souza-Lara, si ce n’est que ça bouge au Nord, ils ont piqué une pointe jusqu’à Chila, au Sud-Ouest d’Atome et miné un pont au Sud de Chila, c’est toujours ça. Les voyageurs interrogés ne signalent rien de très spécial dans l’Est, si ce n’est que les troupes qui étaient stationnées à Norton de Matos, à mi-chemin d’Alto-Hama, ont disparues. Où sont telles ? Personne n’a pu le savoir. En plus, certains font état de survols d’avions non identifiés, comme l’Unita n’en possède pas, c’est clair que quelque chose est en route.

Je traîne le Curé voir Valentin pour qu’il lui expose ça. Carte à l’appui, nous lui dressons un aperçu des événements tels que nous les voyons. Il écoute poliment mais sans plus.

Je lui demande si il possède des informations que nous ignorons et pour le moins, quelles sont ses intentions et si il a des ordres à nous donner.

« Nous aurons du nouveau bientôt, je vous tiendrai au courant ».

Avec ça, on est servi. Je me retiens pour ne pas me foutre en boule. Je lui rappelle que j’ai des types dans la nature, et que j’aimerais bien en savoir plus. Il minaude comme une hôtesse de l’air et me répond:

« J’attends des nouvelles du Président, dès que je les aurai en ma possession, je vous fais appeler. » A chaque fois qu’il est emmerdé, il sort le Président de sa poche.

Nous nous replions au cinquième, dans notre salon privé, car on y voit peu de monde, Lulu, nous prépare des cocktails à base de jus de fruits et de « dramebruy » dont nous avons découvert un stock, bien frais c’est pas mauvais, la bière se faisant introuvable.

Tout le monde tire sur sa cigarette en silence, Bandwa, s’amène et nous regarde surpris de ce calme peu habituel dans nos réunions. Le Curé le met au courant de son raid. Je lui demande ce qu’il en pense et si il a d’autres tuyaux sur ce qui se passe.

Il m’avoue avoir téléphoné à un ami à Teixera da Silva, ville à mi-chemin de Silva-Porto, sur la route principal Est Ouest. Il entend des bruits de canonnade vers Bimbé, à une quarantaine de kilomètres dans le Nord, et ils ont vu des vols d’hélicoptères. Tout le monde se regarde.

Messieurs, je pense que je viens de percer le mystère des transmissions de nos petits alliés. »

« Tout simplement le bigo; on en est vraiment tarte de ne pas y avoir pensé avant fait le Curé. »

« Comme en 40 chez nous, c’est aussi simple, et je crois que la suite va être aussi du même tabac. »

« Mais alors on peut appeler Silva » fait Lulu,.

Bandwa, secoue la tête: « ça ne passe pas. » il nous rend compte qu’il a envoyé une voiture avec des gars vers Alto-Hama pour en savoir plus. Il y a près de 250 bornes, on n’en saura pas plus avant le lendemain, les gars doivent l’appelé par téléphone demain soir. Si ça passe encore.

Je le félicite, c’est une bonne idée. Avec notre vision militaire des choses, personne ne pense à ce genre de détails.

Je calme le débat « à partir de maintenant, il faut se tenir en alerte, personne ne part en vadrouille sans me prévenir. Paquetages bouclés, toutes les armes dans la même pièce. Le plein des véhicules fait en permanence, après une visite de la mécanique, pour ça, voir avec « les garagistes de notre ami »

Je me tourne vers Bandwa, « je ne sais pas ce qui va se passer, camarade Major, mais si tu veux rester avec nous, avec ton équipe, tu es le bienvenu, je sens qu’on va se marrer ! »

Il accepte, tout heureux que je ne le mets pas hors du coup. D’ailleurs nous ne sommes pas encore partis. Par contre, au matin, les boys de la cuisine ont disparu, quelques sous-fifres se dévouent pour sauver la face de Valentin, qui l’a de plus en plus grise, la face.

Les jours qui vont suivre seront faits de cette sorte de petites désertions à tous les échelons, l’hôtel se vide en douceur, à la chinoise, un petit peu chaque jour.

Ce matin vers 5h00, Bandwa, se pointe. Je suis réveillé et concocte devant ma carte; « mon capitaine » les gars sont rentrés, d’après ce qu’ils savent, les Cubains auraient percés à Cela. »

« Auraient ?, Ca veut dire quoi, c’est sur ? »

« Je les connaîs, ils ne raconteraient pas des coups, le colonel qui avait les moyens lourds s’est accroché avec son homologue fantassin, et est parti, alléguant cela : l’autre à filer aussi avec ses soldats. »

C’est merveilleux, du jamais vu ! Je reste sans voix. « Vas raconter ça au Curé ! »

Cette fois ça se précise, il faut que je trouve Valentin.

Le Curé arrive en s’habillant; « vous êtes au coutant, c’est la meilleure ! »

« Je crois cher ami, que c’est le début d’une série, appelle tout le monde. »

Je prends Bandwa, à part  » qui as-tu envoyé là-bas? »

« Le capitaine Vito,, c’est un type qui ne s’affole pas facilement, je le connais. »

« Trouve moi Valentin ! »

« A cette heure là ? »

C’est la guerre mec, finit le théâtre ! » il part, pas très sûr de lui.

« Allez au jus, je vous rejoins. » je ramasse mes papiers dans mon porte cartes et jette un coup d’œil par la fenêtre, dans la rue, je remarque qu’une agitation inhabituelle semble régner.

Les gars ont fait le café et ramassé ce qui est comestible, Lulu, me dit:

« C’est la fin patron, il y a des cafards gros comme des brouettes dans la cuisine et il se tirent aussi.

On mange sur le pouce ; café, fruits, jambon, pain rassis, c’est mieux que rien. Bandwa, arrive et me dit que le docteur descend derrière lui, il apparaît en effet, un peu chiffonné, mais élégant dans une saharienne mauve

 

« Bonjour messieurs, vous êtes matinaux: il lève la main, oui, je suis au courant, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter ! ». Il nous prend pour des demeurés où il est con ?

« Docteur, il semble que les doutes que nous avions se précisent, je vous demande officiellement de me dire, au cas où la situation empirerait, si la défense de Lobito il est envisagée ? »

Il se racle la gorge, essuie ses lunettes, les chaussent et me répond :

« Hélas, je crains bien que nous n’en n’ayons ni les moyens ni le temps » il fait une pause et reprend,  » le président est au courant de la situation, j’attends des instructions rapidement, je vous en ferais part aussitôt. »

Il a l’air soulagé, maintenant c’est clair, on se barre, après avoir glandé des semaines, laisser le deuxième port du pays aux mains de l’ennemi, ils ne sont pas près d’y revenir, à leur place, je prendrais des photos. Il part, nous laissant un peu abasourdis.

Les gars tentent de donner leur avis, mais je les coupes d’entrée:  » pas de commentaires ».

Pour nous aérer, nous montons voir notre « bouchon » au Nord, nos bidasses, confiants, nous accueillent en souriant, s’ils savaient les pauvres. Repris en main, ils ont bossés comme des chefs, creusés des tranchées antichars, des trous d’hommes, et fortifiés l’école en blockhaus. On a bien fait de ne pas apporter trop de matériel. Bandwa, me dit de ne pas trop m’en faire, ils sauront peut-être avons-nous ce qui va se passer, et comme il n’y aura pas de cadres avec eux, ils fileront dans la verte. C’est égal, je n’aime pas entraîner des gars dans une galère et laisser tomber tout comme un pet minable. Merci pour la réputation !

On rentre en ville, tout est calme, les partisans éventuels du M.P.L.A. qui ne doivent pas manquer attendent leur heure. J’aime autant, je ne me vois pas dans des combats de rue avec ces rigolos. J’ai chargé Lulu, de nous trouver un autre véhicule, en état de préférence. Le temps des larcins étant venu, inutile de jouer les intègres. Il se ramène avec une camionnette Peugeot toute neuve, il y en a tout un lot sur le quai, because le blocus. Dans la foulée nous retournons avec la dite auto faire le marché sur le quai. A la porte, les douaniers nous saluent avec déférence, je ne vois d’ailleurs pas ce qu’ils pourraient se permettre d’autre.

« Bordeaux ou Bourgogne me fait Lulu,, il circule entre les piles de caisses comme un habitué. On charge deux caisses de chaque et des conserves diverses, ce coin est une vraie mine.

« Tu me trouves un fût de 200 litres, et tu fais le plein d’essence, et prévois du fuel pour cet engin. » Je sais que je peux compter sur lui.

Le soir c’est la frénésie, sous l’éclairage cru des néons, nos alliés s’affairent; on entasse des valises, des sacs, d’autres font le plein des réservoirs à l’aide de récipients tout à fait adaptés tels; casque, cuvette, broc à café de l’hôtel, une bonne odeur de station-service monte jusqu’à moi. Ce qui nous manque, c’est une bonne explosion, suivie d’un incendie, la panique serait complète. Ca gueule et sa cavale dans tous les sens. J’appelle Lulu, et lui demande de dégager nos véhicules de ce merdier, avant une catastrophe ou qu’ils nous les piquent.

Il les regroupent dans un terrain vague voisin, et colle quatre types de Bandwa, de garde. Pour le reste, je n’interviens pas. Personne ne se soucie de nous d’ailleurs.

Bandwa, est resté avec nous et une partie de ses gars, les autres son parti aux nouvelles. Nous veillons, allant d’une chambre à l’autre, jusqu’au matin. Je me réveille après un petit somme, tout est calme, il est 5h30. Les gars campent sur la moquette du couloir au premier étage. Lulu, frais comme une rose, sort de la douche,

« Tu m’a l’air en forme essaie de trouver du café chef ! » je réveille les autres.

Bandwa, rapplique avec un message de Chamberny. Ils sont à Alto-Hama – plus d’explosifs – confirme poussée ennemie – essaie de rallier Lobito.

Je demande « de quand ça date ? »

« Je l’ai eu ce matin, mais les radios l’ont depuis hier « 

« Bravo ! Tu sais où est le central ? »

« En ville, en principe, ils y sont encore »

« On va aller jeter un coup d’œil »

Nous descendons avaler le café que Lulu, est un gars ont concocté. Je laisse Lulu, garder la maison et nous partons avec le Curé, Bandwa, et quelques gars.

Nous roulons dans un dédale de rues et stoppons devant un immeuble anonyme, dans une rue tranquille. On déboule là dedans, et tombons au premier sur des mecs en train d’enfiler des fringues civiles.

Tanga leur tombe dessus à coups de claques, les mecs son terrifiés de notre irruption subite. Les bureaux sont en pagaille, bagages abandonnés, armes, reliefs de repas, les cadres sont loin. Je calme Tanga et lui demande d’interroger les lampistes. Les postes sont allumés, le Curé en tripote les boutons, mais ce n’est que parasites et bruits inaudibles.

« Qu’est-ce qu’on fait ? »

« Mets tout sur off et piège les arrivées, c’est le moins qu’on puisse faire. »

Il court chercher sa musette, Bandwa, demande aux mecs leurs carnets de messages et les feuillette. Un seul message de la veille 6h00 du matin, un chef de groupe de Alto-Hama confirme de fortes poussées cubaines, répétées, et demande des instructions. Il y a au moins un type sérieux !

On a du mal à trouver le pylône d’antenne, il est sur la terrasse d’un immeuble voisin, j’envoie le Curé le faire sauter:

« Mets un peu de retard, qu’on ait le temps de disparaître. »

On laisse les candidats à la vie civile à leurs problèmes et on se carapate. Retour en ville, on tombe à un carrefour en plein milieu de l’avenue, sur Hughes et Vito, en train de prendre l’air du temps, le cul sur les capots, la bière à la main. Pas inquiets pour deux ronds, nos deux loustics, à ce moment le pylône explose, sur les trottoirs les gens s’arrêtent, le nez en l’air, nous ne levons même pas la tête, le Curé regarde sa montre et dit:

« Tiens, 5 secondes d’avance, faut pas se fier aux Russes décidément ».

Vito, explique qu’il a pillé une épicerie à Chila pendant sa reco, d’où la bière, on boit le coup au milieu de l’avenue, sous les yeux des gens un peu étonnés. Vito, explique qu’en rentrant de Alto-Hama, il a pris l’initiative à Notons de Matos de foncer voir ce qui se passait vers Chila. Il est tombé, sur une trentaine de bidasses sans patron, qu’il a fait replier sur Norton. Puis, il a passé la nuit sur place, plutôt gonflé, pour voir la suite. D’où la découverte de l’épicerie, le bled a été survolé au matin par des hélicos et il a préféré se retirer du coin. Je le félicite, c’est la première fois que nous avons un tuyau de première main.

On redescend à l’hôtel. Lulu, est en train de charger deux défenses d’éléphant, trouvées dans une suite. Je lui fais remarquer que nous sommes assez voyants comme ça, pas la peine d’en rajouter.

« Ca vaut du fric ça patron »

« Je sais dugland, mais la guerre n’est pas finie, et tu crois que tu vas prendre l’avion pour Paris avec sa sous le bras ? »

Il les fourre au fond d’un land-rover, que je n’ai jamais vue, encore une acquisition de dernière minute. À l’hôtel tout est vide, les gars du bistro d’en face regarde le tableau en silence. Ils doivent attendres que nous dégagions pour aller piller. Pour les dissuader d’anticiper sur leur projet, je fais mettre ostensiblement une mitrailleuse de 30 en batterie sur le perron.

Briefing au restaurant : je décide de filer à la nuit, discrètement. Bandwa, va aller voir où en sont ses amis du garage et respirer l’ambiance, et nous attendra vers 17h00 au pont du chemin de fer, à la sortie Sud. Tout le monde est d’accord. Je traîne un peu, avec le secret espoir de voir arriver l’équipe Chamberny.

On charge nos bagages, le Curé se pointe avec une mallette trouvée dans une chambre, elle est pleine de fric, des escudos tout neufs. Et dire qu’on ne peut pas changer ça ! Pour montrer qu’on n’a pas d’états d’âme, on va « casse-crouter » au bistro d’en face. Le tôlier fait des brochettes qui empestent toute la rue, pas de bière, on carbure aux gros rouge, les mecs nous regardent sans animosité, se demandant à coup sûr ce qu’on peut bien attendre.

Après une fouille en règle de l’hôtel, on décolle vers les 4h00, les deux W.W., la Land et la Peugeot. Au pont, Bandwa, a déjà envoyé une voiture et des gars qui nous voient arriver en respirant. Tout est calme, pas d’avions en l’air.

Bandwa, se pointe enfin avec trois voitures, ses potes du garage sont montés sur Alto-Hama avec une petite colonne voir ce qu’ils pourront faire.

On décroche sur Benguella, où nous passons la nuit dans une villa près de l’aéroport. Au jour, nous allons donner un coup d’oeil au terrain : plus de garde à l’entrée, on file le voir à la radio, il reste deux gars pas très rassurés. On leur a dit de rester, un appareil doit atterrir. Ils sont seuls depuis deux jours. Je demande à Tanga qu’il leur demande de passer un message sur Silva-Porto pour nous. Le type a l’air emmerdé et discute, ça dure.

« Il peut où il ne peut pas, merde ! »

« Il dit qu’il n’a pas le droit de recevoir des ordres de l’extérieur. »

« Ah, bon ! Dis lui qu’il a cinq secondes ou je lui colle un bastos dans sa tête de paf ! »

Tanga sursaute et commence à secouer le gars comme un prunier, je n’ai rien pigé, mais le mec file à sa tablette et appelle en phonie, je dis à Tanga qu’il essaie en graphie. L’autre discute encore, j’ai sorti le calibre et m’approche,

« Qu’il ne cherche pas à comprendre, on lui demande d’aligner des mots, c’est tout. » je griffonne: « groupe Garnier parti avec ami Val pour Sud, cas force majeure. Stop et fin. Je passe le papier à Tanga. Le mec commence à pianoter. De toute façon, je m’en tape, je le fais part acquit de conscience, si toutefois ça arrive.

« Ca passe ? » Tanga hausse les épaules, le mec termine et lui dit quelque chose,

Tanga me dit que le message est passé, mais que le radio n’est pas sûr de son correspondant. Le Curé qui tripote un des postes, sous l’oeil courroucé du radio, m’appelle du geste, j’écoute, c’est confus, mais c’est indéniablement de l’espagnol.

« Tanga, dis à ce type de détruire ses postes, à moins qu’il démonte et qu’il embarque avec nous. »

Re-discussion, il appartient au service de l’aéronautique, et il ne peut pas prendre ce type d’initiative.

« Laisse tomber, on se tire. »

En route, direction Castangué, après nous verrons. La route est bonne, le paysage me rappelle les régions littorales d’Oranie en Algérie ; y compris les bâtiments. Le long du parcours quelques véhicules abandonnés, nous récupérons l’armement. Nous sommes à Castangué en début d’après-midi, on ne peut s’y tromper, la pagaille est déjà installée ; voitures garées n’importe où et n’importe comment, rôdeurs, traînards, glandeurs, toute la faune d’une armée en déroute. On trouve une place pour garer nos bagnoles, devant ce qui semble être la « Casa Popular » du bled. Garés en étoile, armes braquées. Du coup nous créons un vide sanitaire et oh, surprise ! Le Valentin déboule avec sa clique de « farouches », sourire aux lèvres, comme sur un parcours de golf.

« Mon capitaine Garnier comment allez-vous ? Heureux de vous retrouver. » la dessus, il me sort un laïus, farci de mauvaises excuses sur son départ.

Je lui fais part de l’envoi du message à l’aéroport, je vois qu’il tique, et lui demande qu’est-ce qu’il a prévu maintenant. Il attend des instructions.

Je fouille la terre du bout de mal godasse, j’ai une furieuse envie de l’envoyé aux pelotes.

« Nous allons de toute façon aller jusqu’à Sa da Bandera ». Je le regarde d’une telle façon qu’il ajoute rapidement:

« Nous allons nous regrouper et aviser. »

Ben voyons, on sera à la frontière, que les Cubains seront pas encore dans Lobito. Il est vrai que 300 bornes plus Sud, on ne risque pas grand-chose. Je lui fais part de mon intention de rejoindre mon groupe à Silva-Porto. Par les routes secondaires, nous pouvons y être dans deux jours.

Là, il part dans un flot d’arguments spécieux; c’est dangereux, on aura du mal à trouver du carburant etc !

Je vois qu’il ne tient pas du tout à se séparer de nous. Pour quels dessins ? J’essaie de lui foutre la trouille :

« De toute façon, il faut mettre de l’ordre dans votre colonne, et garder une formation armée sur votre arrière, on ne sait jamais. »

Il réfléchit et me dit « c’est juste, je vous charge de cela. » Ah le salop ! il m’a baisé.

Il part donner des ordres en ce sens, on commencera demain matin.

Je rejoins le gars et les mets au courant. « De Vesdres, je vous ai trouvé une occupation. »

Lulu, est en pleine cuisine dans la mairie, on dîne grâce aux conserves avec le pinard du bord de quai. Sale nuit, bruits de moteurs et moustiques.

Je vais roder dans un chemin derrière la mairie, une porte me tente, je rentre, et tombe nez à nez avec une bonne sœur, voile et tout. Blanche de peau et de peur, je m’excuse, j’avais l’arme à la main. Un gros curé s’amène et me dit:

« Vous êtes Français, j’ai entendu parler Français dans la mairie. »

Il me fait signe de le suivre, nous entrons dans une salle où une dizaine de sœurs s’apprêtent à déjeuner. Je suis invité à prendre place. Le père et Maltais est bien sûr parle le Français, on me beurre les tartines, me pousse la confiture, le café sent bon, il m’explique que tout ce qui est sur la table est fait à la mission, il a 200 gosses en pension et la suite des événements l’inquiète un peu. Je lui donne les dernières nouvelles, mais il a l’air d’être aussi bien renseigné que moi, sinon plus. Les sœurs papotent en me biglant en douce et gloussent comme des dindes. Je remercie et pars.

Les gars sirotent un mauvais café quand j’arrive, ils me regardent avec airs soupçonneux, je ne dis rien, ils seraient capables d’aller braquer le curé pour une tasse de bon café.

 

Valentin se pointe en tenue Cam, des pétards plein la ceinture, il grimpe sur le capot d’une voiture et commence un discours, au bout d’un moment, il y a au moins 1000 à 1500 mecs. A mes côtés, le curé souffle :

« Et bien, les voilà nos soldats invisibles.

Lulu, qui lèche le fond d’une boîte de pâté demande :

« Qu’est ce qui dit ? »

« Il dit qu’on va gagner parce que nous sommes les plus forts ! »

Là-dessus, notre tribun lève le point et gueule « kwacha Unita » repris en chœur par l’assistance, il y a des fois où je me demande si on est dans le bon camp.

Il descend de son perchoir et s’amène vers moi:

« Ils sont à vous capitaine »

Merci du cadeau. Il donne des ordres à droite età gauche. Bandwa, a disparu, un vrai courant d’air ce type, je prends Vito, qui glande avec nous et le refile au curé et à Hugues. On se fraie un chemin dans la foule qui nous regarde un peu inquiète. Vito, rameute quelques gars qui doivent être des sous-off. Ils commencent à aligner tout ce monde à grands coups de gueule. Objet, former des sections structurées avec l’armement correspondant. Car tout le monde se balade avec plusieurs armes, ou rien. Je les laisse à leur truc. Le Curé connaît ce boulot.

A midi, ils en ont triés, armés, environ 800, les mecs sont alignés par sections le cul par terre, sur une sorte de terrain de foot. Vito, à une liste de mecs, désigner comme gradés.

A ce moment, on ne sait pas ce qu’il se passe, un brouhaha monte, et des mecs se mettent à gueuler et à cavaler dans tous les sens, la panique gagne nos « ralliés » qui s’égayent laissant armes et sacs. Vito, sort son flingue et vide son chargeur en l’air, c’est pire, on a beau gueuler, rien n’y fait, c’est l’arrivée du grand prix à Longchamp. En 10 minutes le terrain est vide, restent des armes, des godasses, des musettes et nous, comme des cons.

On finit par apprendre qu’un radio cocotiers à annoncé l’arrivée des Cubains sur la route. En tout cas, le monde se barre. Valentin se pointe et m’annonce qu’un message de Savimbi lui ordonne de gagner Santa Bandera avec ses troupes. Je lui réitère mon désire de partir sur Silva, il me l’interdit formellement. Un comble ! C’est la première fois qu’il me parle sur ce ton. Le Curé me tire par le bras, avant que je fasse une connerie. Pour finir en beauté un de ses sbires me rend mon carnet de route que j’avais égaré avec un petit sourire narquois:

« Je crois que ça vous appartient capitaine » me dit-il. Si ils l’ont lu, ils doivent être édifiés sur ce que je pense d’eux.

Nous retournons ramasser l’armement lourd laissé sur le terrain de foot, le reste, y en a marre. Les bagnoles sont à bloc. On les laisse se tirer, un camion à ridelles, genre bétaillère passe, plein de types, une demi-douzaine est accrochée au haillon arrière qui se décroche, le camion poursuit sa route malgré les hurlements, le trop plein de la caisse est tombé sur le haillon et les « accrochés » à l’extérieur sont maintenant dessous. Le camion stoppe 200 mètres plus loin, les gars sortent du dessous ensanglantés, pleins de poussière, et s’entassent avec les autres, inouïe ! Il n’y a qu’ici qu’on peut voir ça.

On part en pères peinards, on verra bien, maintenant, c’est du tourisme. Comme dit Lulu,, « ça compte dans la retraite», tu parles !

Arrivé à Santa Bandeira, il est 20h15. Nous retrouvons Bandwa, à l’entrée de la ville, qui nous guettait. Valentin l’a envoyé en mission à Quilengues dès le matin, il est arrivé ici, le premier pour prévenir les autorités de notre arrivée, s’ils se mettent à prévoir maintenant !

La ville est en piton, on grimpe vers un massif boisé, des villas bordent la route, lumières à bloc, le coin est une station chic, au bord du parc national de Bikuar, climat saint et agréable.

Bandwa, nous emmène dans un hôtel qui, à première vue, n’a pas été fait pour notre genre de clientèle. Bar de luxe, où des créatures métissées de bon aloi se rincent la dalle, la guerre ne semble pas avoir atteint ces confins. Des boys stylés, nous conduisent à nos chambres dans une sorte de patio, une piscine entourée des plantes vertes est éclairée par des spots. Nous escomptons déjà le bain du matin.

Le temps de secouer la poussière et de prendre une douche, et nous descendons au bar, où la bière n’a pas l’air contingentée. On a droit à une solide collation de viandes froides et autres produits locaux. Je demande à Bandwa, où est le docteur:

« Quelque part en ville » répond il.

Voilà qu’il nous fait des mystères, allons, profitons de la pause, on verra demain. On monte se coucher avec la ferme intention de roupiller notre sou.

Des appels et une agitation me ramènent sur terre, je regarde ma montre, une heure de passée, j’ai l’impression que j’ai dormi deux jours. Le Curé fait irruption /

« Oh, debout, tu ne sais pas la meilleure, il faut se tirer, l’ennemi nous talonne. »

« Qu’est ce que c’est cette connerie ? »

« Bandwa, vient de nous prévenir, Valentin veut qu’on dégage, les Cubains seraient derrière nous. »

« Ah non ! Ca va pas recommencer ! » je regarde ma carte,

« Faut pas déconner, ils auraient fait près de 400 bornes dans la journée, alors qu’ils n’étaient même pas à Lobito quand on est parti, à qui il veut faire croire ça, ce n’est pas Guderian tout de même. »

« De toute façon, ils nous ont encore pourri la nuit, faites vos sacs, on y va. »

« On l’a dans le fion pour la piscine ! » C’est Lulu, qui exprime le sentiment général.

Un gars de l’équipe « Tanga » nous attend en bas des marches :

« Le Docteur vous attend, je vous guide. »

Lulu, monte en voltige, un carton de bière sous le bras, lui au moins ne perd pas le sens des réalités. Nous remontons une colonne de véhicules disparates d’allure pas très martiale. De grands arbres se découpent en ombres Chinoises, sur les bas côtés. J’aperçois Bandwa, dans la lueur des phares :

« Alors, qu’est-ce qui se passe encore ? »

« Valentin veux vous voir. » Il me conduit à une grosse Land-rover, des armes dépassent des portières, j’éclaire à l’intérieur avec ma torche, le « Doc » clignote comme un hibou, je fais de l’esprit, c’est trop risible :

« Vous êtes matinal Docteur, qu’est-ce qui arrive ? »

« L’ennemi à percé et serait à Quilengues »

« Je suis navré, mais c’est impossible, ils ne peuvent avoir fait 400 kilomètres derrière nous, dans la journée alors que nous avons quitté Lobito sens qu’ils soient signalés. De plus une armée qui se déplace en terrain ennemi envoie des reconnaissances, si c’est le cas, notre simple groupe peut les démolir en rigolant. »

« Mes renseignements sont sûrs, il nous faut rejoindre Serpa-Pinto au plus vite, je vous demande de prendre la tête de cette colonne. »

Je lui fais remarquer que je ne connais pas la route, mais il ne veut pas en démordre. Bandwa, va venir avec nous. L’argument est de taille, je m’incline.

Derrière sa voiture je repère le chef de la « police militaire », il est dans une décapotable avec la famille, un coffre-fort trône sur le siège arrière. Bandwa, m’explique qu’il a perdu les clés. Toute la bande se marre quand je leur raconte le coup.

On fait mouvement pour se placer en tête, un européen en tenue blanche d’officier de marine se présente, je me demande ce qu’il fout dans cette tenue. Il demande à rouler juste derrière nous, car cette cohorte ne lui dit rien qui vaille, il est avec sa femme, une métisse, et sa fille. Je lui accorde, il connaît la route. Elle est en bon état, on file le donc sur Arthur de Païva.

Nous avons 350 bornes à faire, direction plien Est, il n’y a que ça qui change, la direction, sinon, c’est toujours le même cirque qui se déplace. Seul changement notable, on est devant, mais à part une vache errante, je ne vois pas ce qui nous arrêterait. Quels guerriers !

Nous convenons avec Bandwa, de nous succéder en tête pour éviter la fatigue, il part le premier. Go east ! C’est tout droit, la route est bonne, le reste suit, loin derrière.

Belle lueur à l’avant, on roule depuis 2heures environ, d’après ma carte ce doit être Matala. Le seul bled important sur le parcours. En tout cas, il ne manque pas de courant dans ce bled.

On arrive, trois bidons de gas-oil, montent la garde sur le côté de la route, pas un chat. On déboite et nous garons devant une ligne de maisons éclairées, on s’ébroue, un des gars de Bandwa, s’est mis en place derrière la 30, sur la land-canon. Les armes en mains, nous visiteront les lieux. Personnes !

« Me dis pas qu’on leur a fait le coup des Cubains à eux aussi » fais-je au Curé.

On dirait un village fantôme, l’éclairage mis à part. Nos gars finissent par ramener une poignée de bidasses ahuris, tirés de leur sommeil. Non, ils n’ont rien vu, l’ennemi ? Quel ennemi ? Je rêve ! Je demande à Bandwa, de leur dire de se mettre près des bidons sur la route pour baliser quand la colonne arrivera. Car bien sûr, ils sont loin derrière.

Mes trois zèbres vont se pieuter dans une maison près de la route, je reste avec Bandwa,.

« Dis moi, à quoi on joue ? On n’a pas tiré un coup de flingue et quand c’est le moment on se défile. Tu peux m’expliquer ? » il a l’air à gêné :

« Le Docteur a reçu des ordres, il faut se regrouper dans l’Est. »

« En laissant la deuxième ville du pays, sans combattre, pour y revenir, ça ne va pas être de la tarte, c’est moi qui le te dis ! »

Il a l’air vraiment emmerdé, je vois bien qu’il obéit, mais qu’il ne comprend pas non plus. Nous apprendrons bien plus tard, que les troupes du M.P.L.A. sont rentrées dans Lobito pas loin d’une semaine après notre départ. Ils ont dû se marrer.

Le gros de la troupe arrive enfin, certains continuent sans arrêter, d’autres se garent en pagaille sans trop savoir la raison de cette halte. Tout ça me dépasse. Je trouve un coin et m’allonge.

Une main me secoue, je grogne :

« Si vous me dites que les Cubains arrivent encore, je vous flingue »

« Au jus patron ! » Lulu, me tend un quart de café qui fume dans l’air frais du matin. Plus loin le Curé et Hugues font des effets de torse devant un robinet.

Bandwa, se radine, la tronche fermée, briefing avec Valentin dans une demi-heure. Qu’est ce qu’il va bien pouvoir nous sortir encore comme connerie. Je me lave la tronche en courant et remets de l’ordre dans ma tenue.

« Curé, tu viens avec moi, à partir de maintenant, je veux des témoins de ce que j’apprendrai. »

Valentin a pris ses quartiers dans une villa cachée sous les arbres. Tout son « staff » est là. Même l’homme au coffre-fort.

« Ah ! Mon capitaine Garnier, vous voilà rassuré ? » alors lui, il ne manque pas de souffle !

« Voila nos ordres qui émanent directement du président Savimbi, nous regroupons toutes nos forces dans l’Est du pays où nous aurons une plus grande liberté de manœuvre pour passer à l’offensive. Donc nous nous retrouverons tous à Serpa-Pinto. »

J’écoute sans broncher, cela ne sert plus a rien. Je pense aux albums de « pieds-nickelés » de mon enfance. Je suis en plein dedans !

Le monologue continue, j’avale une grande tasse de chocolat chaud, qu’un de ses sbires nous a servi; on ne sera pas venu pour rien. Un gus arrive dans la pièce et parle en accéléré au tribun, il se lève et me demande de le suivre. Tout le monde sort.

Hugues fait face à un groupe agressif, le Curé qui est sorti avant moi et debout près a Land-Rover, l’arme à la main. Ils sont tous deux un peu pâle. Notre arrivée fait diversion:

« Qu’est-ce qu’il se passe ici ? » j’ai pris le ton le plus impératif que j’ai pu, Valentin se joint à moi en « portos ».

Le Curé m’explique que ces gars veulent récupérer l’armement qu’ils ont vu dans votre voiture. Le meneur est un Major que j’ai vu à Lobito jouer les utilités. Je fais remarquer à Valentin que s’ils ne les avaient pas abandonnés au bord de la route, ces armes seraient encore en leur possession. Il ne répond pas, mais engueule les types. Je fais signe au Curé de leur donner ce qu’ils veulent, on ne sait plus qu’en faire, et avec un peu de chance, elles vont nous revenir, et comme dit Lulu,  » de toute façon ça nous alourdit ».

L’incident est clos, mais l’ambiance s’en ressent. Valentin qui ne veut pas passer pour un con, nous demande d’aller faire une reconnaissance sur le barrage Salazar à une dizaine de kilomètres. C’est parfaitement inutile, je le sais, mais ça nous promènera et il nous oublierons. Ont embarque dans nos bagnoles et fonçons vers le Nord.

Au barrage, qui n’est qu’une retenue d’eau sur laquelle passe la route sur près de deux kilomètres, nous tombons sur trois Portugais, qui sortent un grand bâtiment à cheval sur le début de la chaussée. Ils sont là pour faire tourner la centrale, ça explique la débauche d’éclairage au bled voisin. Ils n’ont rien vu, tout est calme, ils nous demandent ce qu’ils doivent faire. Je leur conseille de rester où ils sont. Le chef parle assez bien le Français, et me demande ce qu’on fait là. Je me retiens pour ne pas lui répondre « les cons ».

On pique une pointe sur la rive opposée, le site est grandiose, c’est le confluent de plusieurs rivières qui forment un lac d’où émergent des arbres et des rochers. Plus loin, un troupeau d’hippopotames batifole. Lulu, en a le souffle coupé.

 

« Messieurs, comme votre présence ne semble pas très souhaitée à Matala, je propose un pique-nique. Tout le monde et pour. Deux bouteilles de Bordeaux filent aux frais dans l’eau, on se rase en se baignant, coup d’oeil sous les capots, pleins refaits, nous mangeons de bon appétit.

« Tu vois Lulu, même au Club-Med, ils peuvent pas t’offrir un safari pareil.

« Et en plus tu es payé, tu devrais avoir honte ! »

Le Curé titille notre poste, mais ça ne donne rien, on est au bout du monde.

Après une petite sièste, nous repartons. A Matala, plus que quelques trainards, on fonce, j’espère trouver un endroit pour la nuit, ou des gens capables de nous indiquer ce qui se passe vraiment. De Vesdres, est un peu mortifié, que l’on ne nous ait pas attendu pour avoir le rapport de notre « mission » , Lulu, plus réaliste, lui balance;

« Tu deviens cave ou quoi ? C’était pour se tirer sans que nous les voyions, loquedu !  » Il n’est pas passé par saint- Cyr Lulu, mais il pige vite.

Hughes, rasé jusqu’à la couenne, se pointe avec un coquet foulard un pois, très R.A.F. autour du cou, devant notre étonnement, il nous rappelle que nous devons rencontrer à plus ou moins brève échéance, des Sud-Afs.

« Tu te fourvoies, mec! Tu as une chance sur cent de tomber sur un British. »

Nous quittons ce bled, frais et dispos, et totalement décontractés.

On est tombé sur un peloton de reconnaissance Sud Africain, en arrivant près d’Arthur de Paîva: on roulait entre des herbes de plus de deux mètres de haut, si Lulu, n’avait pas repéré les antennes et les fanions, on passait sans les voir. Ils sont à 10 mètres de la route et presque invisibles. Les gars sont en plein bivouac. Bassine de thé au lait sur un foyer, et ils tartinent avec entrain. Nous sommes conviés à nous joindre à eux. Ce ne sont pas des mecs compliqués. Notre apparition ne les surprend même pas. Ils sont tous très jeunes. Je demande avoir un officier. Je pars avec un sergent vers leur PC. Nous passons une rivière et gagnons des bâtiments blottis sous les arbres. Les postes radio grésillent à tout va. Un capitaine me reçoit comme le messie.

Il est, lui aussi, un peu dans le bleu. Il est heureux de nous voir, il n’arrive pas à obtenir des renseignements crédibles avec les « blacks » qui défilent depuis deux jours. Je lui fais un résumé de notre odyssée, carte à l’appui, la sienne est nettement mieux renseignée que la mienne. Je lui confie que nous sommes censés rejoindre Serpa-Pinto. Il m’y engage, car d’après lui, deux gars de chez nous y seraient déjà. Nous partons munis de rations que Lulu, a fini par leur taper.

Nous entrons dans ses repas Pinto, en fin de soirée. Grosse bourgade, très étalée, coupée en deux par un large vallon où coulent une rivière aux eaux sombres.

Peu de monde. Nous faisons une halte pour nous repérer. On fouille le versant opposé à la jumelle. Le Curé s’exclame :

« Regarde ça, il y a au moins un bataillon en face. »

En effet, ça à l’air de grouiller de mecs vêtus d’un drôle de treillis.

« Sur quoi on est tombé ? »

« On y va en souplesse et méfiants. »

Passé le grand pont qui franchit le vallon, ça grimpe. Large voie bordée d’arbres. Sur les trottoirs ces soldats noirs ont installé leur bivouac. Plus nous montons, plus il y en a. Ils portent ce treillis moucheté que nous n’avons jamais vu, et n’ont pas des têtes du pays.

« Lulu, ralentis, on va se rencarder. »

J’appelle un gars, qui nous regarde sans attention particulière.

« Hé, chef ! Tu sais où il y a des blancs par ici ? »

« En haut patron, vers les maisons blanches. » il m’indique une rue bordée de petites maisons passées à la chaux. Je lui demande qui ils sont.

« Nous sommes des Katangais, les amis de l’Unita. »

Ils sont au moins 500 mecs, un peu dépenaillés, mais bien armés et pas l’air traumatisés pour un rond. Il reprend,

« Tu es Francçais toi ? »

« Bien sûr mon pote »

« Ah, c’est bien ça » me fait-il dans un grand sourire, et il balance la nouvelle aux autres qui nous font des signes amicaux.

Deux cents mètres plus loin, nous tombons sur toute la bande. Max, Lumio, toute la bande de Cachingé Marin, mon pieds noirs « dynamitero » et bien d’autres. Carnot, notre grand chef, et à cheval sur un fût de gas-oil, à poil et se fait bronzer les « galouis ». Vision surréaliste !

Je saute de la voiture, il me accueille comme si on s’était vu hier.

« Ah, bonjour cher camarade. » je vais le flinguer, les autres m’entourent.

« Dis donc, tu nous prends pour des cons ou quoi ? Plus d’un mois sans contact, et tu trouves normal qu’on soit là ? » J’écume et monte en volume, l’assistance attend que je lui colle mon poing dans la gueule. Il glisse de son bidon et balbutie un :

« Je vais vous expliquer » pas très rassuré.

Le Curé, prend le relais des reproches. Il a fini par cacher son anatomie avec une serviette et recule vers une porte ouverte, se sentant un peu nu pour discuter avec des furieux.

Je le plante là, pour voir les copains : Carcasse, Thoman, Cardinal, et deux ou trois autres, qui eux, descendent de l’enclave du Cabinda, pour une autre mission. Ils ont perdu un homme. Il y a même Armand, qui travaille en solitaire depuis un an ou plus avec l’Unita. Il n’est pas très frais, une barbe de missionnaire et les yeux fiévreux. Les gars vont mettre à la masse pour qu’il puisse se tirer sur le Zaïre est rentré en Europe. Chamberny et Ribes sont là aussi, coupés de leur base, ils ont rejoint Silva-Porto au moment où tout le monde se tirait. Toutes les affaires civiles sont restées à la villa. Je pense à mes pompes en daim, toutes neuves et à mon costard. Pour une fois que je m’étais fendu, pour être élégant.

Lulu, file vite rejoindre la bande de voyous, Legrand et Cie. Je trouve une piaule vide avec Marin, qui me raconte ses aventures. Carnot, décide un briefing dans la soirée.

On se retrouve à suer dans une pièce exiguë à la lueur de quinquets bricolés, ça fume plus que cela éclaire. Carcasse loge sa masse près de moi et me demande « qui c’est ce clown ? »

« La dernière recrue de Bob, mi flic, mi stratège de l’école de guerre, tu vas te régaler.

L’autre charlot s’est rhabiller, ses lunettes jettent des éclairs dans la pénombre. Thomas lance : « il a des airs de Himmler », tous les gars se bidonnent. Les surnoms ne lui manqueront pas, les plus jeunes pencheront pour hiro ito à cause de son teint jaune, plus tard ce sera Dédé. Tout ça pour dire qu’il n’inspire pas le respect. Jamais il ne gagnera laura du chef.

Pour l’instant, il pérore, personne ne semble accorder le moindre intérêt à son verbe. Pour faire mieux, il n’a convoqué que les capitaines.

En bref, nous retraitons demain sur Cago-Couthino, le rallye continu, on n’a rien appris de plus. Chacun se tire vers son bivouac improvisé. Ce qui laisse rêveur dans tout cela, c’est qu’à aucun moment, le responsable de cette équipée ne s’est soucié des questions de nourriture des hommes et du reste. Dans un pays où on ne trouve rien, et où nos alliés ne nous ont jamais rien fourni. Ça a l’air très con, mais pour vivre, il faut manger.

Le capitaine Téhodore est encore sur la route, il retraite à pied avec la compagnie d’instruction. Un orage épouvantable éclate dans la nuit, on est obligée de condamner les fenêtres avec ce qu’on trouve pour ne pas être noyés, le tout dans le noir. Il fait presque froid.

Le matin reconstitution des groupes, les ordres, de qui ? Sont changés.

Nous devons partir nous mettre en bouchon sur la route de Cuchi, d’où nous venons. Je prends les mêmes plus Legrand. Carnot nous remet 100 escoudos, et pour ce, nous fait signer. Pour acheter quoi ? Je vais à la voiture prendre la mallette pleine de fric trouvée à l’hôtel, et lui renverse sur la table. « Tiens, il y en a au moins pour 10 briques, et je te fais pas signer, ce mec est vraiment un con fini.

On se barre, nous allons glander à 60 bornes, sans ordre précis, sans radio, et pourquoi ?

En arrivant, nous décidons de prendre la rivière comme point d’arrêt. Une équipe de Sud-Af, là pour miner le pont, un truc tout neuf, en ciment, de 300 mètres environ. Ils ont des problèmes de détonateurs, comme le plus gros est fait, Chamberny et le Curé vont s’en occuper. Les Sud-Af se barrent tout content, après nous avoir filé un peu de bouffe.

On garde le pont en service jusqu’au lendemain. Au cas où il y aurait des attardés, où des intrus, on installe une position à 300 mètre en arrière, avec mitrailleuse et mortiers de 60 millimètres. Interceptions trois fuyards aux allures suspectes, ils ont des uniformes dans leurs sacs, et des armes. On confisque les armes et les virons à coups de lattes.

Au matin, ont fait sauter le pont. Sacré boum ! Les Sud-Af n’avaient pas lésiné sur la dose. On mange de la poussière pendant un quart d’heure.

Tirs d’intimidation à la 30 sur des mouvements suspects de l’autre côté. On s’organise pour une nouvelle nuit, ça vire au camping, on baffre, on roupille. On se demande ce qu’on fait là !

Nuit calme, nous allons traîner dans un village de cases, les gens nous accueillent gentiment, mais n’ont rien. Ils ne sont pas très au courant de ce qui se passe.

En rentrant, une Peugeot qui nous crée des problèmes est bazookée par Lulu, pour couper court à toute réparation. C’est le moment que choisit Carnot-Himmler pour se pointer. Voyant l’engin dans le fossé en train de flamber, il saute de sa voiture et gueule :

 » Qui va là ?  » Planqué derrière sa bagnole. Une bordée d’injures et de rires le ramènent sur terre.

Un peu vexé de s’être laissé surprendre, il engueule Lulu, et menace de nous faire payer les véhicules que nous détruirons. Je l’envoie chier, est lui qui que dorénavant, il nous les fournira, cela nous vous évitera de les voler.

 » Parce que vous les volés ? » il n’en une revient pas cet abruti.

 » Qu’est ce que vous croyez, qu’on est arrivé jusqu’ici sur un nuage ? » c’est Lulu, qui réagit

Je laisse le Curé, lui rendre compte des dernières nouvelles. Il veut que nous restions ici encore quelques jours. Concert de protestations.

.

« Et la bouffe, et l’eau ? » ça, il n’y a pas pensé cette truffe ! Ou transige, on passe la nuit et on rentre. De plus il nous faut trouver de l’essence.

Le bouchon sur la route au Nord et à 20 kilomètres, s’ ils décrochent, on restera complètement isolés et sans liaisons. Il se tire n’ayant rien résolu ni ordonné.

Bruit de moteurs devant le pont coupé, de l’autre côté. Ont fait le mort. Nuit calme et humide.

Retour sur Serpa, pratiquement plus personne, les « katangais » ont disparu et seule une poignée de rôdeurs ou de pillards traînent en ville. Ils se défilent à notre approche. On patrouille sans conviction, cherchant une station d’essence ou ce qui lui ressemble. Lulu, pile devant une banque, grilles ouvertes.

 » On y va, on ne sait jamais ! »

Je sais que ça le travaille depuis un moment, le vieil instinct du pillard !

Le hall est plein de papiers dispersés, les téléphones son partis orner quelques cases. Le coffre, un monstre noir, sommeille derrière des grilles, style  » prison de shériff » du Texas.

La tentation est trop forte, ils vont chercher du matériel à la voiture et commencent à placer des charges.

 » Vous rêvez les mecs, vous ne croyez pas qu’il y a du fric là dedans. »

 » Pour une fois, ça vaut le coup d’essayer, non ! »

Lulu, elle est fébrile comme un cocker à l’ouverture. Le Curé finit son travail est gueule « tous dehors ! »

On se planque derrière un mur dans la rue. Une explosion formidable retentit, je ne sais pas ce que cela va donner sur l’ambiance locale, un champignon de fumée s’élève dans le ciel. Des débris divers volent un peu partout. On rentre dans la banque, le plafond est tombé sur le coffre, le mur du fond est tombé dans la rue adjacente et le coffre et intact. Les deux zigs tournent autour en silence.

 » Heureusement que vous vous êtes plus forts sur les ponts ! »

 » Putain de merde, c’est ce putain de plastic russe  » ils restent incrédules.

 » Allez, assez joué, il faut trouver du coco pour les tires. »

On sort de là blancs, de poussière, Lamothe et Helmut arrivent.

 » Qu’est ce que vous branlez, tout le monde est parti ! »

 » On cherche de l’essence ! »

 » Dans une banque, vous me prenez pour un con ? »

D’après eux, nous pouvons trouver de l’essence à l’aéroport, ils nous indiquent la route.

A l’aéroport c’est le chaos, les Sud-Afs ont labouré les pistes au « scraper » les installations ont pas mal souffert aussi. Ont trouvé une soute pleine d’essence, encore heureux que j’ai eu l’idée de récupérer une pompe « jappy » à la pêcherie. On fait le plein des voitures et du fût de 200 litres qui est dans à la pêcheriel. C’est un coup de pot !

On s’arrache du coin sans traîner, on est vraiment seuls, c’est une sensation étrange.

On ne sait pas si le bouchon du Nord à évacué, c’est Alain qui le tient, mais nous n’avons pas d’indicatif radio pour le toucher. Ca non plus, ce n’est pas prévu ! Quel cirque !

« Allez, on s’arrache ! » je regarde la carte, prochain bled Lunga. Adieu Serpa-Pinto, on reprend le ruban, c’est encore goudronné, les portos ont bossé plus vite que ce qu’indique le « Michelin ». Presque cent bornes à faire.

 

A Lunga, quelques maisons isolées, une bâtisse, genre relais de chasse se dresse sur une colline, dans un bouquet d’arbres, on monte voir, car plusieurs véhicules sont garés près des batiments.

L’endroit a des airs d’auberge de campagne, une bande de blacks est en plein festin, ils n’ont pas l’air de mecs traqués, on nous reçoit et on nous sert comme si c’était naturel, une sorte de ragoût, avec du riz, toute une famille de métisse s’affaire à travers la maison.

Au moment du départ, deux filles en uniforme nous demandent de les embarquer. Le Curé tout émoustillé les charge dans sa voiture. Elles nous serviront de guides et d’interprètes en cas de besoin. Nous partons sans hâte, j’espère voir arriver Alain et ses gars, si toutefois, ils sont derrière nous. On ne voit plus personne passer.

La route de Cuito-Canavale est indiquée comme piste, mais là aussi elle se révèle être une route goudronnée, pas très large, mais carrossable.

Il y a un peu plus de 100 kilomètres à faire, nous roulons plein Est, dans une brousse clairsemée et sans culture, beaucoup de petits ravins et de rivières de moindre importance. A mi-parcours, le sens de la marche s’infléchit vers le Sud-Est.

Lulu, à trouvé le moyen de récupérer un chien, je ne sais où, une sorte de teckel. Dans la région cela doit être rare. Je le colle dans la land-Rover, Legrand me fait remarquer que comme chien de guerre, ont fait mieux.

Au passage d’une rivière importante, Lulu, se réveille et se met à hurler  » des hippos, des hippos « 

« Ils sont pas roses tes hippos, Lulu, ? »

« Je te dis que s’en était »

On arrive à Cuito en fin de soirée, on ne se rend pas compte et traversons tout le village qui s’aligne sur une ligne droite de chaque côté de la route. On stoppe devant un pont de bois, jeté sur une rivière assez large et vive. Tous les gars sont là. On se baigne, ont fait mal, on discute, enfin on glande. Carnot est parti aux nouvelles ou aux ordres. Des femmes viennent puiser de l’eau et se bidonnent en voyant ces blancs à poils dans l’eau.

Une estafette radine et arrête les jeux. On doit remonter au village où on nous indiquera nos quartiers. On s’entasse dans les voitures et retournons sur nos pas. Carnot, est au bord de la route, astiquer comme pour une revue, l’air sinistre, c’est normal, il est sinistre.

Autour, quelques blacks, des papiers plein les mains. Je ne vois pas mon Valentin. Depuis un moment il joue les arlésiennes. D’ailleurs, je ne le reverrai jamais.

Un des noirs, en tenue camouflée, et fait remarquable, sans arme, nous fait un laïus en Francçais.

« Nous nous sommes repliés ici pour des raisons stratégiques, personne n’a démérité, (hum), nous allons mettre à profit ce répit pour regrouper des moyens et donner l’instruction à la troupe. »

Le type a une bonne tête, l’air ouvert, et parle un Français impeccable. On apprendra plus tard que c’est le « ministre » des transports. Les seuls transports que nous connaissons, sont ceux que nous avons chapardé à droite et à gauche, passons

Carnot, est assailli de questions auxquelles il est bien incapables de répondre. Chacun reste avec son équipe, les gars se sont groupés par affinités. Alain, qui a fini par rejoindre, préfère partir pour assurer le commandement du bouchon qui va être établi à une dizaine de kilomètres, sur la route par laquelle nous sommes arrivés. Il échappera à la discipline collective et aux conneries.

Cardinal et quelques autres partent avec quelques véhicules et espèrent trouver des camions pour aller au devant de Théodore, qui doit toujours crapahuter sur la route avec ses gars. Personne ne semble s’en être soucié.

Je me retrouve avec mes gars dans un ancien camp Portugais, qui a servi aux commandos de chasse, durant la guerre d’indépendance. On s’installe dans une maison en dur à l’entrée du camp. Il y a de l’eau mais pas d’électricité. On étale des nattes par terre et organisons notre bivouac.

Lulu, reste dubitatif un devant l’installation, il n’est pas du genre camping. Il réfléchit est dit:

« Je crois qu’ici, on ne va pas nous demander de partir en courant. » il avait raison.

Je médite devant ma carte. Je me demande ce qu’on est venu foutre dans ce coin perdu. Les Portugais appelaient cette région « les terres du bout du monde ».

Le plan qui consistait à rallier Cago-Couthino, dans l’Est, est a priori abandonné. La route la plus courte pour s’y rendre monte vers le Nord-Est, et n’est qu’une piste de terre jusqu’à un bled qui se nomme Cangombé, où la route reprend, ce qui fait 160 kilomètres de piste inconnue et qu’on dit minée depuis l’époque de la guérilla. La piste du Sud est, par Mawinga et Nériquinha, où on retrouve la route qui monte vers le Nord représente plus de 500 kilomètres, en territoire inconnu où nous avons toutes les chances de tomber en rade, faute de carburant.

Les gars on ramené Théo et ses gars, ils avaient atteint Serpa. Belle performance. Les gars sont un peu vannés, mais très fiers. Cette compagnie va être reprise en main pour l’instruction. Si on a le temps, cela fera un fameux outil. Les jeunes vont se charger de ça.

Nous avons hérité de la présence de Carnot à temps complet. Il loge avec le gros Chevalier, et le  » beau frère « , le  » scribe « , un beau trio d’inutiles !

Max, promu au rôle de radio officiel et d’espion à notre service se baguenaude, vêtu d’une tenue camouflée  » Kantangaise  » et d’un stick. Carnot le prend comme chauffeur, alors que ce joyeux drille n’a qu’une vague notion de la conduite, ce qui donne lieu à une suite de gags, que Carnot n’a pas tous saisis. En plus, il lui tombe dessus au moment où il est en train de converser à la radio avec les Sud-Afs, et de faire une commande de bière : notre  » Hiro Hito  » a failli perdre son flegme !

Bandwa, a disparu ! Sans doute dans les fourgons de Valentin. Ce ne sont pas des gars à vivre en brousse si rien ne les y force.

Avec le curé, nous sommes chargés d’apprendre nos techniques aux gradés, avec le concours des francophones, dont le jeune  » ministre « . Ça ne se révèle pas être très prometteur.

La nourriture est le problème principal, pas question de chasse, il faut économiser l’essence. Lulu, est perpétuellement en action de maraude, c’est ce qu’il fait le mieux.

Vito, le second de Bandwa,, est resté dans le coin, il fait de brèves apparitions avec des mecs à tronches de détrousseurs. Je crois qu’il roule pour lui, à chaque fois il apporte quelques vivres.

Cela va faire 15 jours que nous sommes bloqués ici. Je n’arrive pas à comprendre, ni à obtenir des explications valables.

Ce matin, un avion s’est posé, car nous disposons d’un terrain proche du camp. C’est un beau bordel ! Une foule de civils, sortie de on ne sait où, assiège l’appareil. Nous avons toutes les peines du monde à récupérer la bouffe que les Sud-Afs nous ont fait passer. Il repart, chargé à bloc de gradés et leurs familles ont évacué en douce.

 » Ils vont nous refaire le coup de  » Lobito  » fait le curé.

Deux jours plus tard, l’avion nous revient, et Carnot se tire avec max et la radio, plus quelques zozos.  » Il nous ne tiendra au courant ! » … Avec quoi, des pigeons voyageurs ?

Le lendemain, je m’entretiens avec Théo qui vient de partager une boîte de pâte de fruit en 17. La dernière ! Il nous faut décider de quelque chose, on ne va pas rester ici indéfiniment.

On a remarqué que le nombre d’hommes en armes diminuait. Ils doivent se barrer en douce.

On est littéralement livrés à nous-mêmes. Il nous faut contacter les gars qui tiennent le bouchon. Théo qui se sent responsable de « sa » compagnie, il est bien le seul, réunit ses petits gradés et leur expose la situation. Ils vont prendre le maquis, on leur donnera les meilleures armes et des munitions. Pour le reste ils feront des caches. Ainsi ils seront plus mobiles. Qu’ils essaient de gagner les zones du Nord où ils peuvent trouver des sympathisants. Les gars écoutent avec attention, mais font une drôle de gueule, c’est le moment de faire ses preuves et ça les angoisses un peu, ils aimeraient rester avec nous, mais ce n’est vraiment pas possible. Les gars obéiront, mais seulement quand nous des camperons.

Nos rapports avec nos alliés, sans être mauvais, sont assez distants; hier, à l’heure du petit noir, un Major qui fait la liaison habituelle arrive la gueule en coin. Il nous balance la dernière.

 » Votre président, Giscard, a reconnu le gouvernement du M.P.L.A.  » silence gêné.

Il ne manquait que ça à notre aventure, quel con ! Est-ce qu’il sait au moins que nous sommes là ? On assure aux mecs qu’on s’en branle, nous, on roule pour l’Unita, et que ça ne change rien pour nous. Je fais voir Theo et lui rapporte la bonne nouvelle. Nous déciderons de préparer un message qu’il tentera de faire passer par nos amis. Avec sa couleur de peau, il passe mieux que nous ! Un émissaire, le Curé, est envoyé prendre contact avec Alain.

Je mets Legrand au boulot sur les voitures, nous avons troqué les V.W. Pour des Land-Rover car avec ce qui nous attend, il vaut mieux prévoir du costaud. Je préviens tout le monde, nous sommes en semi alerte. La Peugeot est chargée de plaques de tôles, de file d’acier et de filins, que nous trainons depuis Lobito.

Nous avons une réponse aux messages :  » en aucun cas ne prendre la route du Sud « . Ben voyons ! Et bien sûr aucun moyen d’authentifier ce message.

A midi, un avion fait un survol et se pose. On fonce au terrain, il y a déjà foule, et rien pour nous. Les blacks embarquent encore dans la pagaille habituelle. Nous regardons ça d’un air désabusé, un des gars de l’avion nous demande si nous comptons partir car d’après lui ce serait l’un des derniers vols, sinon le dernier. Il se pose à Gago-Couthiho où il a vu des gars de chez nous.  » Nous attendons des ordres ! » une réponse qui n’engage que moi pour ne pas perdre la face. Ils demandent si nous avons un message à passer, je me avance et lui dit : un

 » Si vous voyez un connard de gradé à face de rats, avec une moustache à la con, dites lui qu’on n’attendra pas jusqu’à la saint glin glin, OK ? « 

Il opine un peu surpris de la sortie. Ils décollent 10 minutes plus tard. Lulu, a quand même eu le temps de le tirer une caisse de potages déshydratés. C’est lui le meilleur !

En tout ! Hier soir, il nous en a encore fait une belle. Un quarteron de malfrats, enfouraillés jusqu’aux yeux, s’est pointé, des gueules a tourner dans les westerns spaghettis, il y en a même un qui a un feutre de ranger.

 » C’est des potes  » s’est écrié Lulu. Je me demande où il prend le temps de se faire des relations. Les « potes » restent plantés autour de la table.

 » Je suis en affaires » poursuit Lulu, tirant de sa poche un paquet de tissus qu’il déplie avec un excès de précaution sur la table. Il étale des doigts une poignée de verroterie. Les gars se penchent sur les cailloux et examinent en silence.

Je souffle au Curé  » c’est quoi ce cirque, tu es dans le cou ? « 

Il hausse les épaules en signe d’ignorance, Chamberny range ses affaires, un œil en coin. L’ambiance et pour le moins pesante, surtout à la lumière des bougies, la transaction n’a pas l’air d’avancer, le ton monte, Lulu, ce débat comme un vendeur de cravate dans un sabir connu de lui seul. Les gars se tirent, le visage aussi souriant. La porte fermée, tout le monde se précipite vers la table. Lulu, s’affole :

 » Déconnez pas les mecs, ces diam’s sont pas à moi ! « 

 » Des diam’s, d’où t’as tiré ça ? » fait le curé

 » Je t’expliquerai » fait il, pas trop fier.

 » Ca m’étonnerait que celui la tu arrives à le fourguer » répond le Chamb qui examine  » les diam’s ».

Le curé, la loupe à l’œil, se penche et pousse un rugissement;

 » Oh, le con ! Il va nous faire buter » il me montre un des « cailloux », on y lit très nettement le « S » du « sécurit » des pare-brise.

 » T’es con ou quoi ? Ils connaissent les cailloux bon dieu ! Ils sont nés dedans, tu croyais quoi ? « 

Dans un pays producteurs de diamants, faut le faire ! Il se défend mollement, Lulu, est de ses gars qui croient que tous les Africains vivent dans les arbres avec un os dans le nez.

 » En tout cas, un conseil, évite de les revoir, ils risquent de le prendre mal !

Il remballe sa camelote, je suis sûr qu’il va remettre ça, à la première occase. Incurable.

José, un des gars du bouchon arrive, ça remue un peu dans leur secteur, ils ont fait une reco à pied, et ont repéré des engins blindés légers, toutefois ils ont l’air de prendre leur temps. Alain compte faire sauter le pont au dernier moment. Il est prêt.

J’explique à José ce que nous comptons faire. De se tirer en douce; nos alliés risquent de nous entraver, ils nous maintiennent sur place pour des raisons que nous ignorons, et se tireront à la moindre alerte. Autant prendre les devants, d’ailleurs une bonne partie des troupes a déjà disparue, direction le Sud pour Rito, par Baixo-Longa, 300 bornes en gros, d’ici là, on tombera sur les Sud-Afs qui sont plus à même d’aviser pour nous. Théo est d’accord avec moi.

Il repart avec des signes de reconnaissance pour la future liaison. J’espère que les autres vont prendre conscience de la situation. Avec Théo, nous rendons visite à la station radio. Un Major, à l’air venimeux est encore là, et cela n’a pas l’air de lui plaire. Il nous dit qu’il attend quelque chose pour nous. Théo me regarde, on sait compris :

 » Il nous balade si tu veux mon avis ! »

 

Au camp, nous réunissons tout le monde, l’exposé sera bref, car nous en parlons chaque jour. Plus à bouffer, risque de tomber en pénurie de carburant, manque de directives du commandement, et le plus grave, l’ennemi commence à se manifester. Comme je ne vois aucune raison de s’accrocher au terrain et que nos alliés fondent comme neige au soleil, je ne crois pas qu’à dix-sept bonhommes, nous changerons le cours de l’histoire. Chevalier, qui veut montrer qu’il est là, commence un exposé qui ne va pas loin car tous les gars l’envoient aux pelotes. Depuis notre arrivée ici, il n’a manifesté d’aucune manière la volonté de se rendre utile. En plus, il s’est fait piquer à bâfrer en douce avec son beauf, des provisions planquées. Ca n’a pas fait monter sa cote.

« Ce soir, tout le monde aux couleurs, il faut donner le change, on va la jouer « faux-culs »

Legrand et Lulu, s’affairent sur les voitures, ont trie le matériel, l’armement nous pose des problèmes, nous avons des Sam 7, et des Antac qui n’ont jamais servi et qui nous embarrassent.

Théo s’occupe des détails pratiques, j’ai envoyé le curé voire Alain pour mettre tout ça en musique. Il se met à pleuvoir, il ne nous manquait que cela !

On a fait la cérémonie des couleurs en grandes pompes. Toute la compagnie et tous les européens. Quelques civils nous regardent à travers les barbelés.

Le Curé revient, Alain est d’accord pour descendre, après avoir fait péter son pont, au coucher du soleil. Ils ont accroché l’ennemi qui s’est replié, ils sont venus tâter le dispositif ce qui veut dire que le statu quo ne va pas durer. Vito, est avec eux et veut rester encore.

Je fais charger les bardas,  » plus de bruits de moteurs et restez à l’abri. » c’est un vrai déluge qui nous tombe dessus maintenant. Il va faire une nuit de bonne heure. Je renvoie le curé au carrefour pour réceptionner le groupe d’Alain quand il arrivera, à ce moment il nous enverra une estafette, je ne veux pas d’une colonne planquée en attente, ce qui ne manquerait pas d’alerter nos « alliés ». On attend en fumant en silence, je pense qu’on serait mieux au coin du feu avec un bon calva dans la poigne. Theo, est avec ses gars pour leur donner les dernières instructions.

Un bidasse arrive en vélo, tout dégoulinant:  » ils sont là, on nous attend. »

On quitte le camp, en ordre et le plus discrètement possible. Les gars nous regardent sortir en silence. La sentinelle présente les armes. Théo, a fait du bon boulot !

Au carrefour, le Curé en poncho ruisselant fait le jalon. Je vais voir Alain dans sa voiture :

 » Comment c’est là-haut ? »

 » Calme, le pont est en vrac dans la rivière, ça va les occuper, Vito, est resté en  » chouf « , il va ferrailler le temps qu’il pourra et rejoindra après. »

 » OK, je passe devant, pas trop de bruit, l’important est de sortir de ce bled en douce, on prendra la première piste à droite, on fera le point après. « 

C’est parti. La route descend en pente douce, nous défilons comme des fantômes, la pluie redouble, ça arrange tout. On est sur la piste,  » accélère un peu, si non le défilé ne va plus en finir. »

Nous sommes dans le noir le plus complet. Le chien roupille sur le siège arrière.

Nous roulons depuis un quart d’heure quand la voiture semble s’envoler, dans les phares je vois un mur de terre, le chien passe au dessus de ma tête et finit dans le pare-brise, ça sent l’essence. Legrand a eut le réflexe de braquer à gauche et nous dévalons une pente, les arbustes se plient devant nous et disparaissent dessous la land.

Legrand, accroché au volant comme à une bouée gueule :  » sors moi ce putain de chien des pattes. »

Le clébard est dans les pédales, à moitié estourbi, je le croche par une patte et le renvoie sur la banquette. On stoppe. Un bouquet d’arbres plus coriaces nous a stoppés. On souffle. Legrand tape le volant et dit : tu veux que je te dise ? Je n’ai rien compris. »

Je pense aux cent litres d’essence, aux explosifs et aux mines que nous trimballons derrière. Les phares éclairent la brousse, il pleut moins, sur la route, la colonne s’est arrêtée.

 » Regarde ce que tu peux faire, je grimpe là-haut avant que quelqu’un nous arrive dessus. »

Sur la route, je découvre un trou énorme, la piste est partie sous l’effet de la pluie. Je vois Lulu, qui s’amène:

 » Putain, j’ai cru que le terre vous avait avalés. »

 » Balise moi ce trou avant qu’un autre suive le même chemin. »

Legrand, habile conducteur, ramène la voiture sur la route sans aide. C’est quand même une sacrée voiture. On continue jusqu’à ce que nous arrivions devant une coupure, dans le noir je ne peux voir exactement ce que c’est. Je propose d’attendre le jour ici. On a du faire une quinzaine de kilomètres.

Au jour, nous sortons des voitures tout ankylosés, la nuit a été pour le moins, inconfortable.

Il pleuvasse. Le ciel est bas, un temps à aller à l’usine. Nous sommes au bord d’une rivière. Au milieu, deux piles de pont, un ouvrage commencé et jamais terminé. On ne peut se servir de ces piles, les rives sont trop loin et écroulées. Les gars, groupés, ont tous un avis sur la question.

J’avise un énorme chevalet de bois sur la rive d’en face, vestige des travaux passés. Une idée me vient. Je demande aux gars de le faire passer par ici. Il me faut des troncs d’arbres. José, en bon broussard – c’est un colonial – a deux tronçonneuses, il part avec deux gars.

Je fais mettre le chevalet dans le lit de la rivière; à l’endroit le plus étroit, les troncs coupés seront alignés dessus. Je ligote tout ça avec du filin de nylon, un tablier est fait avec les tôles embarquées.

C’est évidemment les mêmes qui bossent. Théo a cuisiné une énorme bassine de riz au chocolat sur un feu de bois. On s’empiffre entre les pauses.

Je fais poser des pierres et des petits troncs sous le tablier. Le temps s’est un peu levé, il ne pleut plus. Théo, fait les gros yeux pour qu’on finisse le riz, on n’a plus l’habitude de se bourrer le ventre de cette façon.

C’est terminé, je m’offre une pipe, assis devant « l’ouvrage ». Mes gars qui ont fait le plus gros, sont assez fiers et snobent un peu le reste de l’équipe des « guerriers ».

Une discussion part, sur l’opportunité de vider les voitures. Je coupe court:

 » Débarquez tout, on ne va pas passer noel ici. « 

Honneur au meilleur, Legrand passe le premier avec la land, c’est un test.

C’est un châssis long et le fut de 200 litres est resté dedans. Le moteur ronfle, il s’engage lentement, ça craque, de la terre tombe quatre mètres plus bas, mais ça passe. Hourra ! Tous les gars se congratulent. Une chaîne s’établit pour faire traverser le matériel, les véhicules se retrouvent sur l’autre bord sans problème. Pendant la manœuvre un avion de transport a survolé Cuito, mais ne s’est pas posé. On a observé en silence sans bouger.

La piste sablonneuse grimpe jusqu’à une crête où nous nous regroupons. Nous prenons Raymond, Thomas ,avec nous, sa voiture ne veut rien savoir et le temps nous presse.

Je redescends récupérer mes filins, si nous sommes suivis, il n’y a aucune raison de leur faciliter la tâche. Pendant tout cela, des coups sourds nous parviennent, qui ressemblent fort à du mortier.

L’heure des décisions des arrivée, par où partons nous ? Alain et Noel, sont déjà partis devant, plein Sud. D’après ma carte la piste est à droite, donc Sud Ouest. Celle qui file devant nous n’est même pas sur la carte. Le temps que je cogite avec le Curé, le charroi a emboîté le pas aux éclaireurs. Je suis presque sur qu’on fait une connerie.

La journée va se passer en marches et contre marches, à contourner des marigots qui coupent la piste, et désensabler certains. En plus Alain, tombe en panne isolé devant et il faut envoyer un véhicule le récupérer. Le soir, nous prend arrêtés dans une tranchée sableuse, la nuit tombe, les gars sont fatigués et s’énervent.

Je suis le seul à posséder carte et boussole, et je suis de plus en plus persuadé que nous faisons fausse route. De plus, la perte de temps mise à part, le problème du carburant va finir par se poser à force de rouler comme des aveugles.

Alain, se pointe avec un black qui dit connaître la région. Il est temps ! On l’interroge, mais il a l’air d’être aussi paumés que nous. Un mot en amenant un autre je me prends de gueule avec Alain et lui reproche de courir n’importe où. Le ton monte, nous en venons presque aux mains. Théo, nous calme et propose de casser une croute et de réfléchir. Il se trouve qu’un village est caché à 200 mètre, les gars y vont et rapportent quelques volatils et des fruits qu’ils ont échangés contre des couvertures et autres bricoles.

Les naturels du village sont un peu inquiets de voir des soldats blancs aussi loin est pas très causants. On n’obtiendra rien de bien utile comme renseignements, si ce n’est que Baîxo-Longa est loin dans l’Ouest. Je ne m’étais donc pas trompé. Theo envoyé en ambassadeur auprès d’Alain, revient et me dit que ce dernier se rend à mes arguments. Il est d’accord pour qu’on retourne au pont et faire le point.

On fait griller les poulets sous les yeux de la population qui s’est amassée sur le bord de la piste et n’en croit pas ses yeux. On va en parler longtemps aux veillées !

Après ces agapes, nous remettons en route dans la nuit, il ne pleut pas et le ciel est clair. Arrivée dans la nuit en haut de la crête, les gars de tête viennent me dire qu’ils ont entendu parler au pont, des éclats de voix très nets. Noel, se porte volontaire avec deux blacks pour aller voir.

Tout le monde à l’arme à la main. 1/4 d’heure plus tard, il remonte accompagné de Vito, qui est tombé dans le piège du pont. Ils se sont fait bousculer par une avant-garde ennemie, mortiers et canons, sans l’obstacle du pont, ils étaient cuits. Ils ont préféré nous suivre.

Le lendemain, je redescends au pont avec mes ficelles et reprends le brêlage, ils ont une A.M.L. à cheval sur le pont, on arrive à la sortir à l’aide d’une des lands. Nous grossissons notre colonne de l’A.M.L. d’un 4×4 avec 106 et de quelques lands, dont un Major de l’Unita et sa famille, les MATE la sur le toit. Tout ça commence à ressembler au cirque « Pinder ».

Je récupère une nouvelle fois mes cordes et nous repartons. Après, une période d’inquiétude, nous trouvons la piste, des carcasses de camions confirment sa réalité.

Toute la journée va être prise à courir plein Ouest, dans une savane inégale et sableuse où les véhicules s’enlisent après le passage des premiers. Les pannes commencent et nous laissons, nous aussi, des épaves derrière nous. Nous héritons d’un camion « marmon » avec des mitrailleuses Russes de 14,5 en position AA, l’équipage a fait la malle. C’est leur problème.

Le soir nous trouve, sur un plateau à la végétation clairsemée et d’herbes assez hautes. Bivouac dispersé en fonction des bouquets d’arbres. Casse croute improvisé. Bonne nuit calme sous un ciel clair, la fatigue commence à faire son œuvre. Tôt, une sonnerie de réveil, tout à fait incongrue dans cet endroit, réveille tout le monde, gueulante générale. C’est Hugues qui trimbale cette quincaillerie. Petit déjeuner succinct, les imprévoyants quémandent ici et là.

Je fais le point, il me semble que nous sommes trop Nord, on devrait infléchir la route sur le Sud. Théo me fait remarquer que si nous trouvons le passage sur la rivière, nous serons à l’aplomb de Baîxo-Longa. Il nous faut donc trouver ce gué, où un passage quelconque.

On se met en route, Alain et Noël sont déjà partis devant comme d’habitude. Nous roulons à plusieurs voitures de front, il y a de la place, au loin une crête boisée. C’est un de ses magnifiques matin clair et encore frais. Arrêt, pour un coup de jumelles, la pente se précise, dans le creux, on voit la rivière, sur la pente opposée, des maisons peintes en blanc, au milieu des arbres. Bingo ! On y est. Je fais passer le mot,  » faire les pleins d’eau en passant. »

On s’apprête à repartir, quand, une fusillade nourrie se déclenche, en face, de la fumée et montée à travers les arbres. Les Portos qui sont devant, envoient une volée de 106 SR en un temps record. On a bien du mal à les faire cesser.

 » On descend au fleuve et on grimpe à pied  » les autres attendront à la rivière.Je trouve Carcasse, en train de remplir son bidon, je l’imite.

 » C’est Alain, qui s’est fait accrocher  » me dit- il.

On commence à monter, la pente est rude et je suis chargé, la mitrailleuse de 30 et ses bandes pèsent. Noël surgit des herbes, haletant le pétard à la main ;

« Je crois qu’ils ont eu Alain. « 

Il est en sueur et choqué. On n’a pas le temps de le questionner, Lumio arrive au volant du Marmon rugissant, on embarque en voltige. Bonne initiative, c’est le seul qui a réagi.

Je m’appuie à la 14,5 la 30 à la hanche, Carcasse couvre l’autre bord de son « launcher ».

Arrivé en haut de la pente, croisement de pistes, un panneau de bois pend à un poteau « Baixo-Longa», sous les arbres des maisons basses en dur, personne ! Je gueule au chauffeur  » fonce et baisse la tête «, je crible les cases de longues rafales, Carcasse, arrose les herbes de son arme. Pas de réaction, on a traversé en trombe et retrouvé la piste. La Toyota d’Alain est plantée au milieu, criblé d’impacts de projectiles. Lumio pile net. Nous sautons à terre, Carcasse passe devant, le flingue en batterie, silence lourd et chaleur !

Alain, est sur le ventre près de sa voiture, je me penche, il me fait un coup d’oeil.

 » Bouge pas, Théo arrive »

On fait 20 mètres, je balance deux grenades pour me rassurer, mais rien ne bouge. Carcasse, le fusil haut, regarde vers la piste qui file dans les herbes:

 » Ils sont barrées trop vite, c’est pas clair.

Je m’essuie la sueur qui ne coule dans les yeux ;

 » Ce n’est pas des Cub’s ça, ils auraient accroché. « 

 

Les gars arrivent, à la voiture d’Alain un de leurs black est mort, l’autre a pris une rafale dans le bide. Théo s’occupe d’Alain, c’est en plus notre toubib.

Les gars commentent bruyamment, je fouille les herbes avec quelques gars, quelques étuis et des emplacements, prouvent que c’était une embuscade. Carcasse, est parti devant avec une patrouille improvisée. Les véhicules sont massés en une longue colonne, un beau coup pour un avion en chasse. Je pousse un coup de gueule :

 » Dispersez les bagnoles, bordel ! Ça ne vous suffit pas ? « 

Théo, s’amène les mains pleines de sang :

 » Alain est mort, j’ai rien pu faire. « 

Putain de merde ! Il faut se secouer, c’est en train de mal virer, tout le monde fait ce qu’il veut, personne ne commande, et on marche la tête dans le sac.

J’ai un coup de barre et me verse mon bidon sur la tête. Je suis sûr que la moitié de l’effectif n’a pas pensé à remplir son bidon. Ils se trimballent à travers l’Afrique, comme si ils allaient trouver un bistro au coin du bois et des stations services.

José s’amène avec quelques gars, il a l’air décidé:

 » Bosco, faut arrêter ce bordel, on a décidé que quelqu’un devait prendre le manche, c’est à toi que ça revient, alors commande ! Je te jure qu’on va t’aider. »

Je ne suis pas trop surpris que tout me revienne dans les pattes, il leur a fallu un mort pour qu’ils pigent que ce n’était pas une excursion. Les jeunes accusent le coup, personne ne la ramène.

 » OK, je prends, mais plus d’initiatives, je veux bien discuter, je ne suis pas Dieu le père, mais ne m’emmerdez pas, sinon, vous vous démerdez tout seul, moi la brousse, je connais. »

Théo s’occupe du blessé et fait charger le corps de notre camarade dans le combi VW, que conduit Hugues.

 » José, à moi ! l’A.M.L. en tête, dedans Vito, le chauffeur et Lumio, derrière le 4×4 avec les Portos et deux véhicules allégés et 4 types par voiture. Au milieu, le Marmon, tu me colles six blacks dessus, vérifiez la 14,5 ! Le reste à deux cents mètres, c’est vu ? »

Carcasse revient, ils n’ont trouvé que des traces de pas assez nombreuses. En tout cas, on sait que nous sommes sur la bonne piste, Baîxo-Longa est devant.

On se tire de là ! La brousse est épaisse, sur la droite des herbes hautes comme des cannes à sucre. Les moteurs ronflent, le paysage est vallonné et le soleil tape dur. On est stoppé en haut d’une crête, à nos pieds, un village, la route le traverse départ en part.

L’A.M.L.est en chouf, on débarque :

 » On va faire à pied; Chamb à droite, le Curé à gauche, je prends la route avec Carcasse, si ça se met à camphrer, vous allumez au canon, Vito, ! « 

Tout le monde se met en place, une vraie manoeuvre d’école.

 » Fais gaffe à tes pieds, grand, avec leur histoire de mines, on ne sait jamais ! « 

Il grogne et vérifie son launcher, arme redoutable qui tire des petits obus, bons pour le dur comme pour le mou. On arrive sans encombres au milieu du village, sur une maison, un panneau;  » Baîxo-Longa «. Ce n’est pas trop tôt ! Les gars débordent en fouillant les cases, Théo trouve une grenade piégée derrière une porte, dans une autre, des conserves Sud-Afs ouvertes, la cuillère dedans.

 » C’est devant que ça se passe, fait le Curé, ils ont l’air drôlement pressés « 

Je commence à piger, nous n’avons pas à faire aux gars du M.P.L.A., mais à un commando avancé de Sud-Afs, pourtant ce n’est pas dans les manières de blancs de carapater comme ça.

Je rafle un paquet de papiers dans un bureau, archives ? Sous un auvent, des fûts, essence et gas-oil, une aubaine, je dis aux gars de faire leur plein. Je me baigne tout habillé dans le ruisseau qui coule au bas du village, en bouffant une boite de betteraves rouges récupérée, jamais trouvé ça aussi bon qu’aujourd’hui.

On repart, ça grimpe dur, une partie des gars est à pied, les bagnoles suivent avec des fortunes diverses. Brousse plus épaisse, sol sablonneux, on commence à tirer la pate. Une crête succède à une autre, cette fois une jeep, abandonnée à mi-pente, en panne ou à sec. On continue, les gars verront ça, je veux qu’on talonne ces mecs. En haut de la crête, cachés dans les taillis, un mortier de 60 et ses obus, tout prêts, petit matériel, une mitrailleuse de 30 et ses bandes, des conserves prêtes à consommer.

Ils ont vraiment la trouille.  » Je crois qu’on se rapproche, fais gaffe

Au soir, nous sommes réunis sur un petit plateau, seul endroit plat de la journée, on décide de passer la nuit ici. Hugues, me prévient qu’on ne pourra pas garder le corps d’Alain longtemps.

On prépare son enterrement, c’est moi qui fait la croix avec un solide brêlage marin, les blacks sont très bien, ils confectionnent des torches et font la haie, les gars ont rectifié leur tenue, les blacks chantent une mélodie, belle mais triste, on le descend, enveloppé dans une solide bâche. Il est mort en soldat, il a une tombe de soldat. Le Curé, grave une rune de vie sur l’arbre qui se trouve à la tête de sa tombe, au cas où …?

Nuit sans incident, les gardes se sont succédés. Un café avalé rapidement, les feux ont couvé toute la nuit. La colonne reprend sont aspect d’errance, une heure après, nous sommes bloqués par un marécage, qui semble immense, on en suit le bord vers l’Ouest pour retrouver la brousse, ça n’en finit pas, grosse chaleur. /p>

Le marmon tombe en panne, on l’abandonne après avoir démonté la culasse de la 14,5, les gars qui étaient dessus suivront à pied. Les histoires d’essence vont nous compliquer la vie. C’est l’A.M.L. qui bouffe le plus, chaque véhicule lui cède du carburant à tour de rôle. On a décidé qu’elle ferait des bonds d’une dizaine de km et qu’elle nous attendrait. Pour éviter de nouvelles méprises, nous avons mis dessus un drapeau Français et un de l’Unita.

A quinze heures, nous sommes enlisés dans un marigot, un passage de cinquante mètres nous sépare de la terre, plusieurs voitures sont dans la béchamel, dont le combi VW. Quelques voitures ont réussit à passer, l’A.M.L. cavale à l’avant.

Legrand, nous sort de là et en sort un autre avec son treuil, tout le monde est plein de boue, les gars sont fatigués, peu ou pas de nourriture, la chaleur, ça commence à arquer. Hugues a une jambe HS, Théo pense à une phlébite. Ca gueule derrière, Chevalier qui voyage dans le combi fait de grands signes, j’y vais avec Raymond, de la vase jusqu’aux genoux.

 » qu’est ce qu’il y a encore ? « 

 » c’est l’A.M.L. me fait il « 

Je prends le bigo,  » oui, Bosco j’écoute «, ça grésille,

 » Bosco, ici Lumio, on est chez les amis  » ça passe mal, un silence puis quelqu’un qui parle en anglais, je passe le truc à Raymond, il est plus doué que moi.

 » Colonne Unita, j’écoute  » ça débite en British, il traduit à mesure.

 » Ils veuillent qu’on rallie sans armes, les blancs devant, les portos et les blacks après, ils ont l’équipage de l’A.M.L. en otage, pas de conneries ! « 

 » Qu’est ce que c’est que cette connerie ?  » Les gars sont attroupés autour du combi, silence, Raymond attend, son visage plissé;

 » Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. « 

Il reprend le micro ;

 » OK, on arrive , le type veut quelqu’un qui parle portugais, on en trouve un, à son tour il part dans un discours rapide, on a l’impression qu’ils s’engueulent. Autour du combi, ça bouchonne, les gars se sont rendus compte qu’il se passait quelque chose d’insolite.

L’autre explique le coup à ses potes, ça gueule, pourquoi les blancs d’abord ? On veut les abandonner etc… Je suis obligé de pousser un coup de gueule pour ramener le calme.

Je vais aller voir ce qui se passe, qu’ils continuent à faire passer les voitures, l’heure tourne, on ne va pas passer la nuit ici. Pour montrer ma bonne foi, on va leur laisser quelques otages.

 » Tiens, Chevalier et son beauf «, il proteste, Hugues se marre

 » Pourquoi moi ? Il n’y a pas de raisons « 

 » si, il y en a une, c’est la première fois que vous allez servi à quelque chose ! »

Je pars là dessus en faisant signe à Raymond, de me suivre. Un quart d’heure plus tard nous sommes au pied d’une colline boisée, en haut de la piste, on aperçoit Théo et l’équipe carcasse, groupés autour de l’A.M.L. qui a son canon tourné vers nous. Dans la tourelle, un gus en tenue camouflée. Il gueule des ordres, mais on ne comprend pas trop.

Dans la voiture, Legrand, Raymond et moi, ont est perplexes, ont enlèvent nos brelages, mais glissons le P.A. dans la ceinture et une paire de grenades dans les poches.

Là haut, le mec s’énerve, il nous délègue Théo;

 » Ca va aller les gars, mais calmos, ils sont tendus. « 

Lui, est fidèle à son image, calme et efficace. On y va, Carcasse essaie de détendre l’atmosphère en parlant de l’équipe Sud-af de rugby. A première vue, l’autre à d’autres soucis. Le gus est mal rasé, l’air décidé, une gueule à la « Antony Quynn » dans « Zorba le grec ». Sa façon de nous parler ne me plait pas, en plus, je vois un de ses sbires avec le béret rouge de Lumio et celui de Vito, à la main.

Je lui fais dire, que je donnerai l’ordre de rallier au reste de ma troupe, quand j’aurai vu les deux gars. Il tique et échange quelques mots avec un des soldats noirs, le reste est composé de jeunes blancs, à l’air pas très rassurés

Lumio et Vito, nous sont rendus, pas très fiers mais intacts. On se met d’accord, personne ne bougera si ce n’est pas moi qui donne l’ordre personnellement. J’ajoute que les gars, passé un certain délai, passeront à l’attaque, c’est la consigne !

Tout ça est bien sur du bluff, mais je veux lui rabattre un peu sa morgue. Il réfléchit et consent d’un geste. Je passe l’ordre de rallier en ordres.

Les voitures arrivent, une à une, devant tous les mecs qui débarquent, sales et pas désarmés, je sens que les choses le dépassent, il ne nous croyait pas aussi nombreux. Le 4×4 avec son 106 braqué et les types à leur poste le bluff un peu.

Il nous demande de rembarquer et de le suivre, le plus gros est fait.

Nous roulons une demie heure dans des bois épais et arrivons à leur camp, sur le sommet d’une colline, autour, des cases et divers bâtiments en dur. C’est encore un ancien camp des forces portugaises. On apprendra que nous sommes à Villa-Nova de Armada.

Des militaires Sud-Afs nous regardent ranger nos véhicules au carré. L’ambiance est détendu, un officier arrive et demande en Français qui commande ? Chevalier, mut par un vieil instinct s’avance. Il est hué par les gars et ramené dans le rand sans ménagements. Un instant de gêne. Il y en a qui n’ont aucune pudeur !

Théo me présente, je pars avec le gars vers la salle des transmissions. Il me tend un emballage de « Gitanes » sur lequel est griffonné  » suivez le porteur de ce message «, signé Vincent.

Je me souviens que c’est le second du Vieux qui commandait l’équipe du Cabinda. Je ne le connais, que de réputation. L’officier me confie qu’ils nous cherchent depuis plusieurs jours. Tout le reste des  » conseillers » est à Gago-Couthino. Il ajoute que pour des amateurs, on a fait fort, personne ne nous attendait sur un tel parcours.

 » Je pense qu’on va vous récupérer rapidement. « 

Je sors de là, soulagé de la conclusion de cette affaire. Je lui signale le coup de l’embuscade et comment cela s’est passé. Il m’écoute avec attention.

Nous rejoignons le groupe qui est en train de passer à la douche et bâfre sans pudeur grâce aux rations distribuées. Les blacks ont été regroupés et bouclés dans un bâtiment, ils ne comprennent pas, et nous adressent des signes désespérés. Seul Vito, et quelques  » clairs  » sont restés avec nous.

Drôle d’ambiance autour des voitures, un attroupement, nos gars ont les armes à la main face à un groupe de noirs excités. Vito, arrive, écoute, et se met à distribuer des claques, braillant en portos. Un major Sud-Af, se pointe et s’en mêle, le calme précaire s’installe, on m’explique que les armes récupérées sur la piste sont aux « clowns » qui la ramènent.

 » Zorba  » s’amène et commence un speech en idiome local, tout le monde s’écrase, on fait passer les voitures dans le quartier  » des blancs » pour la nuit. Le problème sera réglé demain.

Les jeunes soldats Sud-Afs nous traitent comme des héros, je ne suis pas très sûr que tout le monde le mérite. Ils nous pillent pratiquement nos insignes para Français. Pour une fois, nous dormirons en sécurité, mais par terre.

Hughes, a de la fièvre et la jambe gonflée, le blessé est mort cette nuit. Nous découvrons des vivres planquées dans les voitures de nos  » alliés « , belle mentalité ! Ils sont toujours bloqués.

Je demande au Major les raisons de leur internement, il m’explique que nous sommes dans un fief du M.P.L.A., autre faction opposée au F.N.L.A., rapidement supplanté dans la région, il s’est établit dans le Nord. Des tensions subsistent toujours et il est préférable de ne pas les mélanger.

Ils se servent, eux, des derniers partisans de ce parti, comme commandos de reconnaissance à l’intérieur de l’Angola. Nous sommes tombés sur un de ces commandos qui nous a pris pour une avant garde ennemi.

Le chef, un petit Portugais à barbe fin et noire de traitre d’opérette. Il n’a pas l’air très fier de la prestation de ses hommes.  » Quynn Zorba  » redistribue les armes, que nous avons ramassé et les renvoient sur leur terrain de chasse, après un discours peu amène, autant que nous puissions nous en rendre compte.

 

Il est confirmé qu’un avion va venir nous arracher d’ici, avec Vincent en personne. Nous filons notre bordel aux Sud-Afs, voitures compris, nous avons vraiment trop d’armes.

 » Zorba  » vient nous voir, je pense qu’il apparatient aux services spéciaux, il n’a pas la dégaine des autres, et tout le monde cavale, quand il donne un ordre.

Il admet volontiers que nous avons bien fait de ne pas nous opposer, vu le volume d’armement que nous avions avec nous. Malgré tout, il est évident qu’il ne déborde pas de considération envers nous. Bien plus tard, il donnera dans un livre, une version des faits très personnelle, où il se taille le beau rôle. Il nous aurait fait  » prisonniers «, pas moins !

J’ai demandé aux gars de mettre un treillis propre et de ne pas avoir l’air trop  » folklos  » pour recevoir Vincent.

Nous admirons le paysage, c’est fabuleux, une vraie carte postale. Le camp domine et les méandres de la rivière s’étalent dans la plaine vallonnée et boisée. Les fumées des premiers feux se fondent dans les restes de brouillard du matin, dans l’Est, le ciel est cuivré, avec des trainées de bleu azur intenses.

Un avion nous survole, dans la matinée et se pose quelque part par là. Une voiture nous amène le « Grand Chef » . Vincent en débarque, l’air rogue et la moustache noire de cosaque, lui donnent un air farouche. La démarche est celle du plantigrade mais du genre qui n’a pas déjeuné. Pour l’heure, il passe pour le dauphin du  » Vieux « .

Les gars sont alignés sur 2 rangs, il nous félicite pour notre allure et me prend à part, pour un bref compte rendu. Nous faisons nos adieux aux Sud-Afs, Vito, ne peut venir avec nous, on embraque direction le terrain.

Vol court, nous nous posons à Rundu, juste à la frontière, mais du bon côté !

Des camions nous escamotent aussitôt pour un endroit isolé. Ici, ça sent la guerre; avions, hélicos, camions, troupes en déplacement, camp de toile immense et bâtiments en dur.

Un sergent-major énergique – ils le sont tous – nous est affecté. Tout doit passer par lui. C’est au poil, il ne parle pas un mot de Français, et aboie à la moindre question.

 » Il a du être élevé au « Canigou « ! émet Lulu, qui lui arrive à la taille.

Conduits vers un bâtiment, nous sommes invités à nous doucher, nous raser, désinfecter, et, vêtus de leur uniforme, on se retrouve au soleil comme des bleus sortant de l’incorporation.

Les malades sont à l’hosto, les  » mal aux dents  » dirigés vers le dentiste. Interdit de se balader.

 » Ils n’ont plus qu’à nous vacciner  » fait le Curé, tout heureux de se trouver dans une vraie armée.

Vincent a disparu, le sergent-major, ne nous quitte pas des yeux. Il a du être berger dans le civil.

Une roulante arrive pour la bouffe, c’est du pays pour les menus, mais ça nous va très bien, bière et cigarettes sont incluses. Les gars mettent de l’ordre dans leurs affaires. Pour ma part, c’est vite réglé, il me reste mon sac de combat, mes affaires de toilette et un survêtement. Je me vois débarquer à Paris comme ça !

On vient me chercher pour rendre compte de notre odyssée, depuis Lobito, et comment ça se passait là bas. Le Major qui m’interroge est jeune, le regard incisif, et froid. Pas le genre de mec à qui on raconte des blagues. Vincent, est présent. Je suis bombardé de questions pendant une heure. Des officiers prennent des notes, tout ce petit monde parle assez bien Français.

On me félicite pour ma mémoire et je dois être reçu à l’examen, car j’ai droit à une bonne rasade de scotch avec ces messieurs. On me ramène sous ma tente.

Les gars m’entourent pour savoir le motif de mon absence, je leur raconte mon interrogatoire.

Deux jours plus tard, on nous recolle dans un avion, et retour chez les dingues !

Le sergent, nous a bourré les musettes, certains font une drôle de tronche, ça ne pouvait pas durer, c’était trop beau. En un sens, je préfère ça, on commençait à se ramollir.

On nous pose à Gago-Couthino, les copains sont là, Max et quelques autres. Les véhicules sont encore des épaves rafistolées. Petite ville sans intérêt, noyée dans la verdure, nous n’en verrons pas grand chose. Le Président Savimbi serait là.

On est logé dans une sorte d’auberge à la sortie Nord de la ville. Le premier sur qui on tombe est ce connard de Carnot. Il a déjà occupé une petite pièce et aligné ses crayons et tout son petit matériel de rond de cuir, sur une table. Je le menace et Raymond qui est aussi remonté que moi veut lui coller une bastos dans la gueule. Vincent, s’interpose de justesse et lui sauve la mise. Il est tellement con que je ne suis pas certain qu’il se soit rendu compte. Ca fait 2 fois qu’il m’abandonne sur un coup. Je le préviens que si je le vois sur une position, je le flingue. Tous les mecs se plient de rire, de toute façon, il n’a plus une parcelle d’autorité.

Vincent organise un briefing, le patron va arriver et décidera ce que nous ferons. Pour l’instant, nous allons faire des patrouilles autour de la ville, et essayer de voir si on est aussi près de l’ennemi que la situation semble le laisser croire.

Comme d’habitude, on n’a rien, et vu l’endroit ou nous sommes tombés, on ne va pas trouver grand chose. L’intendance bien sûr, n’est pas prévue. Même Lulu, est désemparé.

Dès le lendemain, nous partons en reconnaissance vers le Nord, sur des pistes inconnues, on ne trouve que des villages déserts et des cultures abandonnées, peu d’habitants.

Après une de ces patrouilles, nous avons failli nous perdre et rester en carafe avec une tire pourrie. Je décide d’arrêter les frais. Tout le monde tombe d’accord là dessus.

Vincent, décide de verrouiller le grand axe, à hauteur d’une rivière avant un bled marqué Lutembo. La route est bonne et ce n’est qu’à une cinquantaine de bornes. Quelques gars y sont déjà avec un poste Antac. On y restera 2 jours par roulement.

J’hérite du premier tour. Raymond vient avec moi, et je charge Legrand, de nous trouver une voiture digne de ce nom. Il se ramène avec une petite Land, qu’il faut pousser pour démarrer. Ca commence !

On arrive et trouvons les gars heureux de nous voir, c’est Cendrars et un autre dont le nom m’échappe, qui sont là. Le coin à l’air calme. Il y a un gros pont de bois et une rivière dolente qui transforme l’endroit en marigot. C’est toujours ça de gagné. Nous décidons de  » préparer  » le pont, inutile de le garder intact. Le poste Antac est posé dans un vague fossé, sans protection ni camouflage. Nous héritons d’une recrue un peu spéciale. C’est un Américain, que les gars ont trouvé, seul dans un bled, avec son équipement. Il a l’air de tomber du ciel. Ce qui est peut être le cas, on n’en saura pas plus. Jimmy, si c’est Jimmy ? Est un petit italo bronzé et râblé, le pays lui plait et il a l’air d’aimer ce genre de boulot. A le voir fonctionner, on voit tout de suite que ce n’est pas un bleu !

Carcasse, qui nous a rejoint, propose d’aller faire une petite virée de l’autre côté du pont.

On installe un bivouac avec quelques gardes de l’Unita, qui glandent dans le secteur. Jimmy a déjà fait son trou et installé une position avec une mitrailleuse de 50, dans un abri de troncs d’arbres, à cent mètres de la route, il a deux blacks avec lui qui ne le quittent pas.

Deux heures plus tard, Carcasse revient avec ses patrouilleurs. Ils ont fait quatre ou cinq kilometres, des traces de chenilles de blindés légers, c’est tout ce qu’il a pu relever. Une grenade à fusil tirée par accident par un de ses gars, a écourté la promenade.

On passe le reste de la journée à établir une ligne de défense, en plaçant des types dans des trous, à la lisière des bois qui bordent le marigot. Si le pont est détruit, ils ne pourront pas passer ici. Mais je commence à douter de la capacité de résistance de nos amis.

Je m’aperçois qu’ils quittent les positions à la nuit tombée, pour se replier derrière la crête, 500 mètres en arrière. Ils reviennent le jour, sans entrain.

Je reste avec l’Américain, à tirer des plans sur la comète. C’est sûr que si nous en avions cinq cents comme lui, et du matériel, on pourrait tenir un moment.

José est monté avec nous, il ne tient pas à rester à la  » villa «, Carcasse, Raymond, Cardinal ont décidé d’attendre que le « Vieux » arrive. Ils ont un litige de fric sur le contrat Cabinda. Ils ne monteront sur le terrain qu’en cas de force majeure. Drôle d’ambiance !

On a fait sauter notre dernier pont. Maintenant on a 300 mètres de billard à faire pour aller se décrasser à la rivière. José, en bon sous-off se rase chaque matin, aussi nous nous couvrons mutuellement, pendant nos ablutions.

 » Je veux bien faire un cadavre, dit il, mais un cadavre propre. « 

Jimmy nous suit avec un  » launcher « . Il trouve que les piles de bois qui tenaient le pont sont encore utilisables et nous montons un coup de nuit pour les finir, et dans la foulée, nous passons sur la rive opposée poser des mines « encriers » sur les talus de la piste.

On revient en se marrant, comme des mômes qui ont fait un bon tour.

Les passages d’avions se font de plus en plus, des Migs qui survolent assez bas, mais qui pour l’instant ne manifestent pas d’agressivité. José, à l’instar de Jimmy, a creusé un trou dans le fossé qui rentre sous le bitume de la route, c’est moi qui le finirai.

Ce matin, visite d’une huile de l’Unita, un grand noir à l’air méchant, le fond de l’œil jaune.Entouré d’une bande de  » colonels  » bien propres avec des flingues plein les poches. Je leur explique rapidement mon plan de défense et demande des moyens en hommes et en matériel. C’est un Zaïrois qui fait l’interprète, le grand à gueule de tueur demande pourquoi je veux un 106 S.R. – je sais qu’ils en ont – j’explique que nous avons fait une reconnaissance et que nous avons repéré des blindés. Il me regarde de travers, ça les emmerdes toujours quand on prend des initiatives. J’appelle Carcasse qui est là, et lui fait raconter son excursion. Il le fait en Anglais et en rajoute, car l’autre change de tronche. La visite se finit là-dessus.

José, torse nu, assis sur le bas côté, a laissé sa pelle un moment pour écouter. Il se cure les dents, crache et dit d’un air sentencieux :

 » Je les sens vraiment pas ces mecs. « 

Le lendemain, on nous envoie un camion de munitions diverses, un beau camion orange d’une société commerciale dépossédée sans doute. Jimmy, me fait remarquer que cette couleur est peut etre un peu voyante. je le fais garer sous les arbres et couvrir de banches.

Ca bouge en face, camions, blindés, les bruits de moteurs sont très nets. Rien ne se passe. A la nuit, je descends avec Legrand. A la Villa, l’ambiance n’est pas terrible. Les gars glandent. Chevalier et son beauf, ont élu tanière derrière le bar, sur des matelas et n’en bougent que pour aller aux chiottes. Carnot écrit Dieu sait quoi, on attend le Vieux.

Les gars sont plus ou moins confiné ici, Vincent, compte tenu de l’ambiance qui règne, préfère qu’ils se montrent le moins possible. Nos  » alliés  » semblent nous reprocher le résultat de leurs savantes manœuvres. Un comble ! Je préfère repartir, Legrand n’est pas très chaud.

On arrive en pleine panade. Cendrars, animé par on ne sait quel instinct, a tiré un Antac sur un BTR apparut en haut de la pente, les gars d’accompagnement ont sauté sur les bas-côtés et son arrivés à pieds joints dans les mines encriers. Ils n’ont pas aimé. Résultat: tir de mortier nourri sur nos positions. Les mecs sont partis en cavalant, laissant tout derrière.

Jimmy à allumé à la 50, mais personne n’a cru bon d’imiter son exemple. En face, ils s’excitent méchamment. Je quitte la position de Jimmy, quand de violents tirs de  » katioucha  » nous arrivent dessus. Très impressionnant ! Je reste debout derrière un arbre, le black qui porte le ma radio est à mes pieds, les yeux affolés, et ne me lâche pas du regard. Ce n’est pas le moment de perdre la face, ça dure 10 minutes… Peut-être, mais ça semble très long. Heureusement, ils tirent long et entre les arbres et le sol sablonneux, c’est peu efficace. Ils sont vraiment en colère !

Une heures après, une patrouille de Migs se pointe, et  » roquette  » à priori. Ils ont sans doute vu le camion de munitions, qui ne le verrait pas ? Et le pulvérisent dans une explosion assourdissante. Je reste sourd 1/4 d’heure. Il ne reste rien. Le chauffeur est plié en deux dans la fourche d’un arbre à 50 mètres. On dirait un vieux pardessus oublié là. Comme il y avait des mecs sous le camion, il ne reste qu’un beau tas de barbaque. Faut- y penser, se planquer sous cinq tonnes d’explosifs !

Le reste de la journée sera calme. On fait le bilan : une dizaine de morts recensés. On essaie de se réorganiser, mais maintenant ils doivent nous avoir à l’œil. Je renvoie Cendrars et son acolyte à la villa. D’ailleurs ils sont tellement choqués, qu’ils sont inutilisables.

Je creuse mon abri sous la route un peu plus, le coup des avions me donne de l’énergie.

Nuit dégueulasse, j’ai deux pieds d’eau dans mon trou, il pleut, j’ai entassé tout ce que j’ai sur moi, et je grelotte. Ça commence à ressembler à Verdun. A la fin, je passe de l’autre côté et vais rejoindre Jimmy dans son trou. Il a fermé avec une toile et allumé une bougie, c’est un petit malin. Il fait presque chaud. On se concocte une soupe en sachet.

On sort de la au matin, pas très frais, est un peu raide. Le ciel est bas, il pleuvasse. Nous sommes deux, face à Dieu sait quoi. Lumio et deux autres ce pointent, ils s’emmerdaient en bas.

Un peu plus tard, deux Migs arrivent presque en rase-mottes, plongée dans les trous, mais ils filent. Lumio qui est du genre teigneux, prépare un Sam7. On ne s’en est encore pas servi. Les avions repassent en rugissant, il lâche son coup, le missile par vers l’avion et se met à cabriolet dans le ciel. L’autre l’a vu et part en chandelle.

 » Putain, on va morfler, planquez vous ! « 

Lumio prend un autre tube et fixe la poignée de tir. Les avions, peut-être curieux, se ramènent. Re-tir, il est debout sur la route, tout seul, on doit le voir comme une mouche sur le lait. En haut, les mecs se méfiaient, ils partent en virant chacun d’un bord. Le missile au lieu de suivre une cible explose comme une vulgaire fusée de 14 juillet. On a l’air fin.

 » Jacques, arrête des conneries, ils vont finir par se fâcher. « 

Nous épiloguons sur le fonctionnement de ces engins. Lumio ne décolère pas:

 » Ils nous ont encore refilé des merdes. « 

Les blacks qui sont restés avec nous commencent à nous regarder d’un drôle d’air. Ils doivent nous prendre pour des dingues.

De nouveaux tirs de mortiers nous ramènent sur terre. Du lourd cette fois, mais trop long de nouveau, ils doivent croire que nos vraies positions sont plus loin. Ca ne viendrait à l’idée de personne qu’une poignée de zigotos, seuls et sans moyens, restent à faire les zouaves à 500 mètres.

 

Je me demande à nouveau quand ce numéro de cirque va s’arrêter ? Nous sommes à 76 km de la frontière Zambienne, je ne crois pas que tout cela dure encore longtemps.

Nous redescendons rendre compte. Cette putain de land fume comme une locomotive. A la villa, peu de changement, les avions sont venus straffer l’aéroport, les jeunes, le Curé, Chamb, Ribes et Théo sont partis à Nindau, un bled à 60 bornes plus au Sud, pour faire de l’instruction. Je rêve ! C’est vraiment le moment ! Vincent à décidé de faire évacuer Chevalier et le Beauf sur Rundu, ça fera des bouches en moins à nourrir. Il n’a pas encore vu Savimbi, pourtant l’Unita est bien là, avec ses soldats clodos, ses dirigeants politico-militaires bavards et préssés.

Leur truc, c’est la chasse aux espions, je me demande où ils les trouvent ? Ils nous ont collé un quarteron de pauvres types déjà bosselés dans une pièce de la villa, que l’on sort pour un oui ou pour un non et qui ne reviennent pas toujours de leur promenade.

Nous remontons sur les positions avec deux Portos métissés, mon équipe de Lobito a disparu de l’environnement. On tourne la voiture dans le sens du retour, derrière la crête. J’en ai marre de pousser, et c’est une sécurité en cas de cavalcade surprise.

On commence à prendre les mœurs du pays. Jimmy me dit que le Lt-Gle Chivalé, venu avec sa clique – c’est le grand teigneux qui est passé l’autre jour – il était furieux de trouver personne. Le secteur a repris son calme. Jimmy me demande ce qu’on va faire, je suis bien emmerdé pour lui répondre.

J’installe une position avec une 50 que j’ai récupérée, on construit un bunker de troncs à l’opposé de celui de Jimmy, ça fera un beau tir croisé.

Je reste avec mes deux portos, Legrand se met à ausculter cette salope de bagnole. Helmut vient faire un tour avec Raymond, il vient aux nouvelles pour Vincent, il avait qu’à écouter quand je lui ai rendu compte. C’est un comble !

Il se remet à flotter, ils repartent, je regarde la voiture qui s’éloigne, Jimmy à l’air d’un nain avec son poncho et son chapeau de brousse informe et dégoulinant. Qu’est ce que je fous ici ?

Je refile dans mon trou et somnole, le cul sur une caisse de munitions, les pieds dans dix centimètres d’eau boueuse. Mes deux portos ont du gagner un bivouac moins précaire, avec les boubous.

Je ne croyais pas qu’on puisse avoir si froid en plein milieu de l’Afrique. Le jour a fini par arriver. Jimmy sort à moitié de sa bauge et me hèle par dessus la route. Il a mijoté un café au lait, nous grignottons des biscuits en buvant, c’est chaud, ça requinque.

Le temps semble se requinquer lui aussi, le soleil fait une apparition timide, comme honteux de s’être défilé sans prévenir. Je me remets à agrandir mon trou et mettre des rondins dans le fond. Un bruit de moteur me fait sortir de là, c’est sur l’arrière, je vois toute une smalah qui se radine, je monte sur la route, la pelle à la main.

Thoman, la caméra à l’épaule, film pour la postérité. Bob, la casquette  » Bigeard  » sur les yeux, le FAL à lunette tenu par le canon, se ramène en claudiquant, style « Mac Hartur sur le front de Corée. « 

Il porte des épaulettes rouges, il se marre devant ma dégaine et me lance:

 » Alors, Bosco, ça marche ? « 

Il me charrie ou quoi ? Je lui renvoie, désignant ses épaulettes:

 » Vous êtes passé dans le corps médical, Patron ? « 

Son visage change d’expression, il n’a pas l’air d’apprécier, mon humour ne sied pas à l’endroit, on passe à un autre sujet.

Je lui fais un rapide exposé des derniers jours, Vincent discute avec Jimmy. Le Vieux, parle de reprendre le maquis, je rigole:

 » Avec qui ? Dès que ça chie ils se tirent, on a passé la nuit à deux !

 » On va se reformer plus bas que Gago « 

 » Avec des Viets ou des Arabes, je vous dirais oui, mais avec des mecs qui se planquent pour bouffer, vous rêvez ! Je pense qu’il est un peu tard pour faire quoi que ce soit, Patron. « 

Mon analyse n’a pas l’air de le satisfaire. On peut toujours en discuter, mais on a trop laissé passer d’occasions, et maintenant que nous sommes le dos à la frontière, les gars dispersés et le matériel abandonné, ils vont vous faire croire qu’ils veulent en découdre ? Je vois que mes arguments portent. Je n’ai pas de mérite, un aveugle seul peut ignorer tout ce bordel.

Ca discute encore, je vais redescendre, Raymond prend ma place, je lui montre mon trou et il se démerdera avec Jimmy, il a travaillé avec les ricains au Viêt-Nam, il les connait. Bonne chance les gars !

Retour à la villa qui parait en état de siège. J’apprends qu’il y a eu une salade entre les pilotes d’avions et les blacks, du sérieux, puisque les premiers sont venus se mettre en sûreté avec nous. Il règne une ambiance de défaite ici.

Le Vieux et Vincent, vont voir Savimbi. Marin est parti avec Hugues dont la jambe ne s’arrange pas et quelques blessés. L’aéroport a subi plusieurs attaques aériennes et envoyé deux pilotes à l’hosto. L’étau se resserre.

Je prends une douche… froide dans un local infect, mais c’était nécessaire, je n’ai pas enlevé mes bottes depuis une semaine. Le soir, le Vieux m’annonce que je rentre à Rundu, on verra après. Je ne proteste pas car j’ai le sentiment qu’ils ne vont pas faire long-feu ici. Mon sac est vite fait, Noel me confie la valise d’Alain.

Un fokker m’arrache de là dans la matinée, il est bourré de blacks, on vole bas, les pilotes sont aux aguets. On arrive sans encombre. Je suis pris en charge et conduit dans une tente où je retrouve Chevalier, son beauf et Marin qui ont repris du poil de la bête. Hugues est à l’hosto. Douche chaude, treillis propre, je suis revenu de la lune ! Le Major Du-plessis vient me chercher en jeep, c’est mon interrogateur de la dernière fois. Il me demande de lui parler de ce qui se passe de l’autre côté. Son mobile home est confortable et j’ai droit à la bière et au cigare. Je lui dresse un topo sur la carte détaillée qui est sur la cloison. Ses deux aides ont le crayon dressé et le carnet ouvert. Il leur parle en afrikaner, j’en suis pour mes frais.

Le soir, Marin et moi sommes conviés au mess des officiers ou nous sommes chaleureusement accueillis. Énormes steaks et ils ont trouvé du vin, Sud-af, mais il n’est pas mauvais. L’ambiance aidant, on se quitte sur une vibrante  » Marseillaise  » , ils nous étonnerons toujours ces Boers. Nous avons un peu de mal à retrouver notre palace de toile.

Je suis de nouveau alpagué par le Major Du-plessis qui m’emmène voir un Général, merde !

Le gars est jeune, genre jouer de basket, son mobile home est un vrai appartement. Je refais mon numéro devant la carte, mais ce qui l’intéresse, c’est ce que j’en pense  » moi « . Je regarde le Major qui m’encourage de la tête, alors là, je mets le paquet, et pas de cadeau pour personne. Il se marre et me tape sur l’épaule. Pendant que j’y suis, je leur confie que nous sommes un certain nombre volontaires pour rester avec eux et repasser de l’autre côté, mais dans d’autres conditions, et travailler à notre manière. Ils ne sont pas contre, mais ils veulent en parler avec Bob.

Je vais voir Hugues sur son lit de douleurs, ça va mieux, mais il n’est pas près de cavaler, il y a avec lui les deux pilotes blessés à Gago. Ils ont eu du pot, ce n’est pas trop grave. D’après eux, Gago est le dernier terrain, si nos gars s’arrachent pas rapidement, ils vont rentrer à pied.

Dans la matinée, le sergent se pointe avec quelques bières et me dit :

 » Your team is back home captain ! « 

Devant ma tête, il m’explique qu’un appareil les a posés ce matin, par discrétion, ils sont en bout de piste, il y a des blessés.

Bob se pointe dans la matinée et m’annonce que c’est fini. Quelques blessés dont Thoman qui a pris un éclat de roquette dans la cuisse. Les Migs ont straffé Ninda, le centre d’instruction n’est plus qu’un souvenir.

Les gars vont être remis dans la tente du premier séjour, je les rejoins car je n’ai aucune affinité avec Chevalier. Les jours vont se trainer, apportant un bobard quelconque chaque jour. Notre proposition de volontariat est étouffée dans l’œuf par le Vieux. Cette idée ne rejoint pas les projets qu’il dit avoir pour notre avenir. Nous nous contentons d’observer l’activité guerrière des Sud-afs, au milieu desquels nous vivons.

Méchoui d’adieu, je ne sais pas d’ou vient l’idée, du Curé probablement, il est assez fort pour ça ! Ils ont même trouvé le mouton. Agapes joyeuses, toasts portés aux uns et aux autres. Carcasse, moi-même et quelques autres parlons encore de rester ici, mais on nous ramène à la réalité, en nous annonçant notre prochain départ. Dès lors, cette idée monopolise toutes les attentions.

Je pars dans les premiers, après deux fouilles sévères par la police militaire, des pas rigolos !

Noel me file le costard et la gabardine d’Alain, car je n’ai plus rien, un autre une paire de pompe.

Un matin, on se retrouve dans un gros porteur, l’avion est pour les blessés, tous des jeunes. Ca barde aussi en Namibie. Bob est avec nous, disert comme un sac de plâtre. On débarque à Prétoria, enfournés dans des voitures et conduits à l’aéroport international, à une vitesse que pour ma part j’estime excessive. Nos billets nous sont remis au dernier moment, nos protecteurs nous font passer au contrôle en coup de vent et ne nous lâchent qu’au pied de l’appareil. Marin qui est avec moi me dit :

 » Ils ont vraiment envie de nous voir partir. « 

On grimpe l’échelle, nous sommes deux putains de passagers comme les autres. L’hôtesse nous place avec un sourire commercial. On se carre dans les sièges, je porte le costard d’un mort, et je crois bien que je n’ai tué personne, si non le temps. Tu parles d’un guerrier !

Au dessus de l’atlantique, Marin tient à sabler le champagne, une façon comme une autre de fermer la page.

 » Kwacha Unita  » tu parles !

 


A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

OPS