OPS Congo – Le Groupe COBRA dans la RUZIZI

Formation du groupe COBRA

par JP. SONCK


 

En mai 1965, les officiers de l’assistance technique belge, oeuvrant au QG de la 5e Brigade mécanisée, préparent dans le plus grand secret une opération dans le but d’écraser la 2e brigade de l’Armée Populaire de Libération (APL) commandée par le colonel Makondo. Cet officier rebelle, a été chargé par le président de la république populaire Christophe Gbenye de défendre les dernières localités de la province du Bas Uele aux mains des Simba. Il dispose de nombreuses troupes et il est bien ravitaillé en armes et en munitions par la frontière du Soudan. Depuis son son QG installé à Buta, chef-lieu de la province, le colonel Makondo menace toute la région située au nord-ouest de Paulis. Le 5 mai, le colonel Mulamba, commandant la 5e Brigade mécanisée, signe l’ordre d’opération n° 10, rédigé par son chef d’état major, le lieutenant colonel BEM Noël. Cette opération au nom de code de « Violettes impériales » prévoit la capture de Buta par une offensive en tenaille sur quatre axe de progression à partir de Paulis, de Niangara, de Stanleyville et de Bumba.

Elle met en œuvre le 1er Choc de Bob Denard (Aramis) et le 8e bataillon Commando katangais de Raoul Piret, le 5e bataillon Commando Sud Africain de Mike Hoare (Zorro), le 12e bataillon Commando katangais Diabos du capitaine Topor et des troupes congolaises (voir le magasine RAIDS n° 51). Le chef d’état major du QG de la 5e Brigade mécanisée installé près de l’hôtel Congo Palace transmet ensuite le plan d’opération par estafette au Grand Quartier Général de l’ANC à Léopoldville (Kinshasa). Une copie est adressée au lieutenant colonel Lamouline, commandant le 6e bataillon Commando Européen (6e BCE), et aux chefs des unités participantes de la 5e Brigade mécanisée, au commandement Opérations/Air du GQG/ANC, à l’officier de liaison de l’US Army (Comish) et au colonel de la CIA chargé du Wigmo. Avant le départ de l’offensive, le col Mulamba, le lieutenant colonel BEM Noël et le lieutenant colonel Lamouline se rendent à Paulis en DC-3 de la Fatac pour passer les troupes en revue. Bob Denard est félicité pour la belle tenue de ses hommes.

L’opération est déclenchée le 26 mai avec l’assistance de l’aviation congolaise qui comprend la 21e escadrille de T-6 Texan de la FAC opérant à partir de Bumba, trois détachements aériens du Wigmo composés de monomoteurs T28D Trojan et de bimoteurs B26K, chargés d’effectuer chacun deux sorties par jour, et l’aviation de transport de la Fatac. La base de la Fatac à Stanleyville doit pourvoir au ravitaillement et aux évacuations sanitaires avec ses bimoteurs DC-3 et ses Banane volante H21B, dont l’hélicoptère FG-378 qui opère à partir de Stanleyville et qui disparaitra au cours d’une mission de sauvetage. La colonne « Aramis » du 1er Choc s’empare de Buta le 1er juin 1965, battant de peu les Sud Africains qui ont traversé Titule et Bondo dans le nord du Congo sans s’y attarder. Les Sudafs n’ont pu empêcher le massacre des otages et ne ramènent que quelques rares survivants.

Tandis que la compagnie du 12e bataillon Commando katangais Diabos s’empare de Banalia où elle fait sa jonction avec les Sud Africains venus de Buta, les troupes congolaises du 6e Groupement ANC sont sensées progresser vers Aketi à partir de Bumba, mais elles font demi-tour à la première embuscade. La plaine d’aviation de Buta est remise en état par les hommes de Bob Denard et le 4 juin, un DC-3 de la Fatac y dépose les colonels Mulamba et Lamouline qui sont venus féliciter les principaux acteurs de « Violettes impériales ». Ce bimoteur de transport est suivi par d’autres appareils de la Fatac qui apportent des vivres et des munitions. Des nombreux simba ont pris le maquis aux alentours en emmenant une partie des otages et le 1er Choc doit les débusquer de leur repaire pour les libérer. Au début du mois d’août, Bob Denard reçoit des renforts pour poursuivre sa progression vers Aketi et faire sa jonction avec la garnison ANC de Bumba. Cet objectif est atteint malgré les embuscades dressées par les « vaillants simba » de l’APL. Une grande partie de la province du Bas Uele est libérée, mais Buta demeure sous la menace de la 2e brigade APL du colonel Makondo qui s’est réfugié dans la forêt au nord de la ville.

L’officier rebelle a perdu beaucoup d’hommes, mais il est ravitaillé régulièrement en armes et en munitions et il est chargé par Christophe Gbenye de préparer une contre-offensive pour reprendre Buta. Les simba sous son commandement occupent quelques localités de moindre importance, dont le village de Bondo qui s’étend sur les deux rives de la rivière Uele. Des informations reçues par le Quartier Général de la 5e Brigade mécanisée à Stanleyville et transmises au PC du lieutenant colonel Lamouline, font état de la présence d’otages européens prisonniers à Bondo. Ils sont retenus prisonniers de l’autre côté de la rivière Uele, un cours d’eau important qu’il faut traverser en bac à moteur pour libérer les otages internés dans une habitation transformée en prison. L’état major de la 5e Brigade mécanisée n’a pas prévu l’occupation de cet objectif secondaire situé à l’écart de l’axe de communication Bumba-Aketi-Buta-Paulis et le commandant du 6e BCE songe à une opération aéroportée pour libérer les prisonniers par surprise. Lancer le 1er Choc dans un raid vers Bondo est risqué, car il faut parcourir 203 km de mauvaise route coupée de rivières et les otages seront massacrés avant l’arrivée de la colonne terrestre.

Robert Lamouline projette de créer une unité mixte avec les meilleurs volontaires européens de son bataillon renforcés par des parachutistes congolais brevetés en Israël. Il convoque Pierre Bottu, le commandant en second de son bataillon, dans son bureau et le met au courant du projet. Le commandant Bottu est chargé de dresser une liste des volontaires européens détenteurs du brevet des troupes aéroportées. Il se met au travail et compulse soigneusement les dossiers personnels des hommes du 6e BCE conservés à l’état-major et tenus à jour par le lt Poll, l’officier S1. Quant aux Congolais, le lieutenant colonel Lamouline compte les prélever avec l’accord du général Mobutu au sein du 2e bataillon Parachutiste ANC en garnison à léopoldville. Une bonne moitié des parachutistes européens qu’il a sélectionnés font partie du 1er Choc, une unité du 6e bataillon composée à 90 % d’anciens des troupes aéroportées. Le commandant Bottu remet les dossiers personnels à son chef et un message radio est envoyé aux PC des différents chefs d’unités, dont celui de Bob Denard à Buta. Le chef du 1er Choc n’est pas très chaud pour se séparer de ses gars et il fait venir le lieutenant Bruni à son PC pour lui confier le soin de convoquer les candidats. C’est un excellent officier qui sert au 1er Choc de Bob Denard depuis le début de sa création et il a été distingué à de nombreuses reprises pour son courage.

Ancien sous-officier des troupes aéroportées de la Légion, il a effectué plusieurs raids parachutistes dans le théâtre d’opérations d’outre-mer. Il aurait été normal de lui confier le commandement de cette unité mixte, mais Pierre Bottu obtient l’accord du ltcol Lamouline pour en prendre la tête, bien qu’il n’ait jamais sauté en parachute de sa vie. Une quarantaine de volontaires ont été choisis dans différentes garnisons et il gardera les trente meilleurs après une sévère sélection. Le lendemain, Bob Lamouline profite de l’escale d’un C-130 de l’USAF pour se rendre au GQG/ANC à Léopoldville et y défendre son plan d’opération aéroportée. Le 10 août, une estafette envoyée par le QG de la 5e Brigade remet un message urgent à Pierre Bottu : « De C.O.–BCE pour 2.I.C. 6 BCE, à l’attention du commandant Bottu personnellement-stop-En vue de ce que vous savez, apprêtez-vous sur mon ordre à faire mouvement sur Léopoldville –Full stop ». En attendant le retour de Robert Lamouline, Pierre Bottu remet le commandement du bataillon à un officier choisi parmi ses adjoints et avant son départ, il se rend au QG de la 5e Brigade pour avertir l’officier qui assure l’intérim du lieutenant colonel BEM Noël comme chef d’état-major.

Deux jours après avoir salué le cpn Schoeters, qui assure les fonctions de S1 à l’état-major de la 5e Brigade, il emprunte un DC-3 de la Fatac pour se rendre à Léopoldville et à son arrivée dans la capitale, il rejoint l’hôtel Régina où une chambre à été retenue à son intention. C’est toujours mieux que l’hôtel Transit situé sur l’avenue des Victimes de la Rébellion. Cet hôtel surnommé le « building des mercenaires », sert de base arrière aux mercenaires du 6e BCE. On lui apprend que son chef a réquisitionné un Beechraft Air Brousse pour contacter discrètement les volontaires européens qui participeront au raid parachutiste. Le lendemain à 09h00, le commandant en second du 6e bataillon Commando est convoqué au GQG de l’ANC à Kalina. Il est conduit par un planton dans un bureau de l’Etat-Major congolais où se trouvent réunis le colonel BEM Goossens, le major BEM Noël, conseiller du colonel Mulamba, le colonel Aviateur Bouzin, le major Aviateur Dehlers et le cpn Aviateur Brokken, officiers belges de l’Assistance Technique Militaire Belge (ATMB) et de la Force Aérienne Tactique Congolaise ( Fatac).

Deux officiers de l’assistance technique israélienne, dont le major parachutiste Sasson, participent également à la réunion d’état-major à laquelle a été invité le lieutenant colonel Ikuku, commandant du Centre d’Entraînement Parachutiste de l’ANC. Le projet de raid parachutiste est mis en route et reçoit le nom de code « Opération Arc en ciel », tandis que le groupe parachutiste en formation est baptisé « Cobra ». Pour tromper un éventuel espion ennemi, un faux ordre d’opération est rédigé par l’état-major et diffusé dans les différents bureaux du GQG/ANC. Il a trait à une opération parachutée dans la zone de Fizi-Baraka. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait croire aux hommes qui se sont portés volontaires pour l’opération. En compulsant le dossier préparé par le cdt Bottu, un des officiers de l’état-major se rend compte que certains membres du groupe mixte aéroporté n’ont plus sauté depuis longtemps. Il propose un entraînement au sol préalable à Ndolo, mais le chef du groupe Cobra veut lancer l’opération sans préparation pour agir le plus rapidement possible et empêcher les simba de tuer les otages. La réunion reprend l’après-midi et les conseillers militaires en service au GQG se mettent au travail pour finaliser les détails de l’opération parachutée.

Les noms de code des moyens engagés sont vite trouvés : « Dakota » pour les six DC-3 de la Fatac, « Météo » pour l’avion chargé de vérifier le temps sur la DZ, « Bravo » pour les bombardiers Douglas Invader B26K, « Tembo » pour les avions d’appui-feu North American T-6 basés à Buta et « Rocky » pour l’hélicoptère sanitaire Bell 47 (les bananes volantes ont été retirées du service pour cause d’usure après la disparition du FG-378). Il est prévu qu’une jeep 4X4 Haflinger-Push sans superstructure sera droppée sur la DZ, ainsi que des zodiacs destinés à traverser la rivière Uélé pour récupérer éventuellement le bac. La colonne terrestre du 1er Choc de Bob Denard chargée de les rejoindre après le saut s’appellera « Porthos ». Les effectifs du groupe Cobra s’établissent autour de nonante hommes : un peloton de volontaires brevetés parachutistes et un peloton de parachutistes congolais, divisés chacun en deux sections. Une liste du matériel nécessaire est établie par l’officier G4 du GQG/ANC et le cdt Bottu, qui a obtenu carte blanche du ltcol Lamouline pour équiper son groupe, demande des fusils FN Fal 7,62 mm du modèle parachutiste à crosse repliable, des mitrailleuses FN Mag 7,62 mm, des mortiers de deux pouces, des grenades et des pistolets de signalisation, ainsi que tout le matériel indispensable aux transmissions et aux premiers soins. On lui propose des mortiers de 60 mm et des canons sans recul de 57 et de 75 mm, mais il n’en a que faire.

L’entraînement du groupe Cobra à Baka

Le timing qui lui est communiqué à l’issue de cette réunion d’état major prévoit le rassemblement du personnel à Léopoldville (Kinshasa) le 16 août, un entraînement au sol de quatre jours à Ndolo, le 21 août, départ du groupe au complet pour deux semaines d’entraînement et d’instruction de combat à Baka : du 22 au 25 août, entraînement au sol, du 26 août au 5 septembre, entraînement aux sauts et instruction de combat et du 6 au 9 septembre répétition complète avec leg bags et matériel. Le groupe Cobra aura alors terminé son entraînement et devra rejoindre la zone de départ de l’opération « Arc en ciel » à Stanleyville avec les DC-3 de la Fatac qui seront mis à la disposition du cdt Bottu. Les hommes seront consignés au cantonnement du 6e BCE. Ils dormiront sur des lits de camp et le 11 septembre, ils recevront les ordres définitifs et le raid aéroporté sera déclenché le lendemain ou le surlendemain selon la météo. Avec une jeep, mise à la disposition du cdt Bottu par l’ANC, il se rend à la base de ravitaillement de l’armée congolaise. Le volontaire Guy Devise lui sert de chauffeur et de guide.

Il présente au magasinier le bon de réquisition signé par l’officier du G4 et il commence à déchanter, car il n’y a aucun casque parachutiste en stock. Quant aux bottes de saut, le stock en pointures normales est épuisé, car elles ont été monopolisées par les planqués de l’arrière qui les trouvent très confortables. Il demande au magasinier s’il peut lui fournir des casques de motocycliste à la place des casques parachutistes. Une autre désillusion l’attend à l’armurerie, car il n’obtient que deux mortiers de 2 pouces que l’armurier belge, un ancien de Corée, va assembler en triant un lot de pièces disparates provenant de plusieurs engins hors d’usage. Selon ses dires, une seule et unique mitrailleuse FN Mag 7.62 mm est disponible à l’école d’ordonnance. Pierre Bottu parvient à l’obtenir en prétextant l’urgence. Le stock d’armement de l’ANC est fort réduit et il doit marchander pour obtenir les fusils FN Fal 7,62 mm modèle parachutiste. Heureusement que les Congolais sont équipés de leur propre armement, dont des grenades antichar Energa. Aidé par Guy Devise, il se procure des ponchos légers US et il reçoit sans discussion cinq émetteurs-récepteurs PRC 10. On lui promet un TRT, un ANGRC9 et des batteries ainsi qu’une génératrice à manivelle.

Le 15 août, Pierre Bottu réceptionne une grande partie du matériel nécessaire à l’opération parachutée, dont des parachutes et des leg bags, et il attend les volontaires parachutistes qui doivent le rejoindre à Léopoldville par avion. Ils seront logés dans un petit camp près de Ndjili qui servira de cantonnement et de dépôt provisoire. Ils y recevront leur équipement et seront consignés pour éviter les indiscrétions. Le même jour, le chef du groupe Cobra suit un cours accéléré de saut en parachute avec comme instructeur le major Sasson qui lui fait effectuer deux sauts à partir d’un avion. Le 21 août, le cdt Bottu et ses hommes font mouvement vers l’aérodrome de Ndjili dans un camion de l’ANC qui les dépose au hangar « CIA » où un avion-cargo fait chauffer ses moteurs en les attendant. C’est un bimoteur Fairchild C-123 « Provider » du Tactical Air Command, affecté au Comish (Programme d’aide américaine au Congo). Dès que le chargement est terminé, ils s’envolent pour la base de Kamina. Leur matériel est déjà parti en avion de la Fatac. Pendant ce temps, les lieutenants Bruni, Goossens, Clément et Mahauden rejoignent directement la base de Kamina avec les volontaires provenant de Buta et d’Aketi.

Ce n’est pas de gaité de cœur que Bob Denard s’est séparé de ses meilleurs éléments, mais on lui a promis que l’opération serait de courte durée. Il a voulu que ses hommes fassent bonne impression et ils ont touché des tenues neuves de l’ANC dont les boutons dorés représentent un lion. Ils portent le badge réglementaire du 1er Choc (diable baluba), des épaulettes rouges avec comme insigne la grenade dorée et sont coiffés d’un béret rouge avec l’insigne français des TAP. A Baka, les vingt volontaires du 1er Choc qui ont rejoint directement Baka sans passer par Ndolo sont logés de manière très rudimentaire. Le jour suivant, le commandant du groupe Cobra débarque de Ndjili et il demande à un officier du QG de la Force Aérienne Tactique Congolaise basée à Baka le nécessaire pour loger ses hommes de manière convenable. Il obtient des lits de camp et de la literie et le ltcol Van de Poel, qui doit succéder au ltcol Cailleau comme chef de la Fatac, l’autorise à manger avec ses hommes au mess des aviateurs dont la cuisine est renommée.

Le premier soir, les paras congolais se rendent au « Baka bar » et une bagarre éclate. Un excité lance une grenade offensive éclate dans la salle et il y a plusieurs blessés, dont un aviateur de la Fatac. Les paras congolais commandés par l’adjudant Sasa se battent avec les Policiers Militaires, puis se retranchent dans leur cantonnement en menaçant d’ouvrir le feu si on les attaque. Il faut toute la diplomatie du commandant Bottu pour les ramener à la raison. Le premier entraînement au sol du groupe Cobra commence, mais ce n’est pas fameux, les parachutistes congolais manquent totalement de pratique de saut et certains Eurpéens brevetés parachutistes n’ont plus pratiqué de sauts depuis des années. Quelques uns n’ont jamais sauté ! Il demande au lieutenant Bruni de s’occuper des Congolais et de leur donner une instruction accélérée, à coups de pied au cul si c’est nécessaire. Cet ancien légionnaire sait comment les dresser.

Les lieutenants Goossens et Mahauden connaissent la région entourant la base et ils emmènent les hommes jusqu’au lac de retenue de la Kilubi, dont la centrale électrique alimente la base militaire et la ville (lire le livre de Pierre Chassin « Baroud pour une autre vie » paru aux éditions Jean Picollec). L’entraînement au tir s’effectue également aux abords de la base et permet au volontaire Laponterique de tester un des mortiers de deux pouces, le résultat est concluant. Pendant l’instruction au sol, le commandant Bottu confie au lt Roger Bruni qu’il a dix Européens en trop. Il compte retourner à Léopoldville avec eux pour leur faire suivre un entraînement de trois jours à Ndolo et pour éliminer les candidats qu’il juge peu fiables. Ce sera également l’occasion d’améliorer sa technique de saut en parachute. Les instructeurs israéliens du Centre d’Entraînement Parachutiste leur font effectuer de nombreux exercices au sol durant quatre jours et quatre volontaires sont éliminés et renvoyés dans leur unité. Un seul accident sans trop de gravité est à déplorer, un des volontaires plonge la tête la première de la plate forme de saut.

Sur un ordre reçu du lieutenant colonel Lamouline, Pierre Bottu doit se séparer de plusieurs hommes du 1er Choc qui sont indispensables à Bob Denard pour repousser la grande offensive du colonel Makondo. Le chef de la 2e brigade de l’Armée Populaire de Libération a attaqué Buta dans la nuit du 5 au 6 septembre et l’aviation est intervenue pour appuyer les hommes du 1er choc qui ont bien résisté. Les simba du colonel Makondo reprennent leurs attaques le jour suivant sur ordre de Christophe Gbenye, mais ils sont soumis à un déluge de feu qui met finalement un frein à leur entêtement. Pendant ce temps à Ndolo, l’aérodrome militaire de Léopoldville, une grande fête est organisée à l’occasion de la création de la première unité parachutiste congolaise en 1960. L’aviation et le parachutisme tiennent une grande place dans l’esprit du général Mobutu, l’homme fort du Congo. Il est à la place d’honneur dans la tribune avec le premier ministre Moïse Tshombe pour assister à un lâcher de troupes congolaises aéroportées à partir de DC-3. Le commandant en chef de l’ANC s’intéresse aux progrès réalisés par le groupe Cobra, car ce sera la première fois que des Congolais sauteront en opération.

Le soir, la capitale offre plus de possibilité de distraction qu’à Kamina base où il n’y a que le « Baka bar » et ils prennent un verre au « Oui Fifi » et au « Saint Hilaire ». Le 13 septembre, le cdt Bottu reçoit son brevet militaire de parachutiste après avoir effectué sept sauts, dont deux avec matériel, sous la supervision du major Sasson. Il rejoint ses hommes à Baka avec les volontaires qui ont terminé leur instruction au sol et deux instructeurs israéliens du Centre d’Entraînement Parachutiste de Ndolo. Ils les accompagnent pour accélérer le déroulement de l’entraînement qui a pris du retard. Il faut absolument commencer les sauts à partir d’avions et il faut qui seront effectués à partir de deux DC-3. Les officiers de la Fatac font de leur mieux pour apporter leur aide à l’opération « Arc en ciel » à laquelle leurs bimoteurs participeront de manière active.

Les premiers sauts débutent le 16 septembre avec le commandant du groupe Cobra en tête. A 14h00, les quatre sections embarquent pour un premier parachutage groupé dans deux bimoteurs DC-3 de la Fatac en présence du ltcol Ikuku et du major Sasson. Les volontaires sautent sans problème, tout comme les Congolais, mais Armand Traweels se blesse gravement lors de l’atterrissage et il doit être transporté à l’hôpital de la base. Lors du deuxième saut groupé à partir de bimoteurs qui se déroule le lendemain, Emile Laporte se blesse très gravement. Il est évacué vers l’Europe avec Armand Traweels. Après cet entraînement assez dur qui a coûté deux blessés graves, il reste septante parachutistes congolais et européens sur les nonante candidats sélectionnés au départ. Une nouvelle complication vient troubler l’entraînement du groupe, le cdt Bottu reçoit une convocation du col Bangala, commandant de la base, qui se plaint que les volontaires lui auraient « plus ou moins cassé la gueule » lors d’une algarade chez un Grec de Kaminaville pour une histoire de femmes. Il exige des excuses. En fait, le colonel a voulu arrêter une bagarre et a reçu un coup qui ne lui était pas destiné.

Le groupe est prêt à entrer en action lorsque le cdt Bottu reçoit un message du GQG/ANC à Léopoldville, l’opération sur Bondo est annulée. Inutile de décrire la rage des parachutistes européens et congolais, ainsi que la fureur des pilotes de la Fatac, mobilisés pour l’entraînement au saut en parachute et qui n’ont pu ravitailler les garnisons isolées avec les DC-3 pendant cette période. On dit qu’un officier de l’ATMB trouve cette opération trop risquée, que le groupe « Porthos » formé par Bob Bottu n’est pas en mesure de rejoindre par la route, mais on raconte tant de choses. A la place de l’opération « Arc en ciel » pour laquelle ils étaient prêts à risquer leur vie, le Grand Quartier général de l’armée congolaise donne l’ordre au chef du groupe Cobra de se mettre à la disposition du 5e Groupement ANC du Kivu dont les troupes opèrent en coordination avec celles du QG d’Ops Sud à Albertville (Kalemie). Cela n’arrange personne, car ils croyaient participer à une opération limitée et n’ont pris avec eux que le strict minimum. Comment vont-il récupérer leurs affaires laissées à l’unité d’origine ? Mais le QG/ANC n’en a cure car il a besoin de toutes les troupes disponibles pour une opération de grande envergure.

A cette époque, le Groupement Opérationnel « Ops Sud », commandé par le col Kakudji dont le QG est à Albertville dans le Nord du Katanga, commence à imposer sa loi sur le lac Tanganyika. L’objectif d’Ops Sud est de couper les insurgés babembe de leurs sources d’approvisionnement en Tanzanie avec l’appui des vedettes rapides et des avions du Wigmo. L’ancien navire MS « Président Ermens » de l’IRSAC a été munis d’armes lourdes, d’une installation radio à ondes courtes et d’un radar anglais Decca. Il sert de bateau-mère aux vedettes des Sud Africains et son équipage leur signale les échos radars suspects. Cette flottille a été renforcée par le MS « Urundi », cargo du CFL de 120 mètres de long, qui a également été transformé en navire de combat et par le « Luca » piloté par un Allemand du 1er Choc, Gunther Vossler. Ces navires armés permettent le ravitaillement d’Uvira par la voie lacustre et effectuent des patrouilles régulières.

Affecté au 5e Groupement ANC

Le bouclage des côtes bordant le lac Tanganyika a débuté le 27 septembre 1965 par une opération amphibie menée par le 5e bataillon commando sud-africains sur Baraka. Partis de Kabimba, les hommes du col Mike Hoare, appuyés par six T-28 du Wigmo, se sont emparés de ce petit port du le lac Tanganyika après de violents combats et ils ont eu trois morts et six blessés. De leur côté, les guérilleros babembe de l’Armée Populaire de Libération ont eu 90 tués au cours d’attaques suicides. Cette région est peuplée de rebelles qui occupent la région du lac comprise entre Lulimba et Uvira sur une profondeur de 80 km. L’ethnie Babembe, qui compte près de 100.000 individus, a causé beaucoup de problèmes à l’administration belge au temps de la colonie. Elle est connue pour son caractère anarchique et n’a jamais fait preuve d’une grande solidarité tribale. Dès la fin du 18e siècle, les Babembe se sont heurtés aux Warega auxquels ils livrent depuis une lutte sans merci pour la possession de la chaîne montagneuse de l’Itombwe. Sous le couvert du mulélisme, ces luttes tribales ont pris une nouvelle dimension grâce à l’aide chinoise en armes et en munitions et à l’assistance de Cubains commandés par Chè Guevara.

Les combattants des maquis de l’APL/Forces de l’Est sont évalués à 15.000 hommes dotés d’artillerie et de DCA, soit 25 bataillons et une nombreuse milice les aide et les renseigne. Remplacés par deux compagnies de soldats congolais de l’ANC à Baraka, les Sud-Africains occupent Fizi le 9 octobre et tentent une attaque en tenaille contre le centre muléliste de Lubondja avec une seconde colonne de commandos sud africains partie de Bendera. La troisième branche de cette opération en tenaille est représentée par le 9e bataillon commando katangais, renforcé par un peloton de volontaires européens du 6e bataillon commando. Ceux-ci progressent dans les montagnes à partir de Lulimba en évitant la route encombrée d’obstacles (mines, ponts coupés, etc). D’autres unités congolaises dépendant du 5e Gpt/ANC, dont le 7e bataillon commando katangais aux effectifs incomplets, encadré d’Européens du 6e BCE, opèrent dans le Maniéma. Le groupe Cobra doit rejoindre Bukavu via Goma et agir dans la Ruzizi, où les maquis rebelles sont ravitaillés en armes et en munitions par le Burundi voisin.

La région bordant la Ruzizi est habitée par trois grandes tribus : les Bafulero et les Balemera qui parlent la même langue et les Bavira. Les Bafulero vivent dans la vallée à partir de Nya Kaziba jusqu’à Lubarika sur la rivière Luvubu, ainsi que dans la région de Luvungi, tandis que les Balemera, dont le siège de la chefferie est à Lemera, habitent en majorité dans les monts Lemera bordant la Ruzizi. Quant aux Bavira, ils occupent la région d’Uvira. Chacune de ces tribus, pas très différentes l’une de l’autre, rêve de s’emparer de la plaine plus florissante. Elles sont hostiles à l’autorité de Léopoldville et se sont unies sous la bandière du Comité National de Libération (CNL). Dès le mois d’août 1963, des camps d’entraînement ont été créés dans la région de la Ruzizi par le major Marandura avec l’aide de la Chine Populaire et près de 600 recrues ont été enrôlées dans les rangs de l’armée populaire sous le commandement du colonel Louis Bidalira, alias Bitotela. Elles se sont baptisées « simba » (lion) et se donnent pour but de combattre l’ANC et les tribus Barundi et Bashi pro-gouvernementales.

Des récits de rebelles faits prisonniers dans la Ruzizi et interrogés à Bukavu, font état de cérémonies mystérieuses au cours desquelles un féticheur tatoue au front de chaque recrue une petite incision dans laquelle il introduit ensuite une potion magique. Il arrose d’eau très froide le dos et le ventre des futurs combattants qui doivent répéter plusieurs fois « Mayi, mayi , mayi» (eau, eau, eau) dans le but d’atteindre l’invulnérabilité. Ces simba sont ensuite drogués par le féticheur et envoyés au combat contre les positions de l’ANC de la Ruzizi. Le 8 mai 1964, les maquisards du colonel Bidalira déclenchent leur révolte et ils capturent Uvira, le port de Kalundu sur le lac Tanganyika et l’usine Sucraf à Kiliba. Une compagnie du 8e bataillon d’infanterie de l’ANC est taillée en pièces et les survivant se réfugie au Burundi voisin. En octobre1964, le ltcol Mulamba ordonne la contre-attaque et Uvira est reprise par les Commando du Kivu et le 53e peloton de commando sud africain. Depuis, elle est défendue par une garnison de l’ANC qui est isolée et doit être ravitaillée par la voie lacustre!

Le siège de la compagnie sucrière Sucraf de Kiliba est réoccupé peu de temps après. Lassés par la guerre, certains Bafulero se rangent du côté du gouvernement et ils se regroupent sous la protection de l’ANC à Kiliba. En juin1965, les simba de la Ruzizi opèrent à partir de leur campement de Lubarika. Ils sont estimés au nombre de 1500, bien entraînés par les barbudos cubains de Chè Guevara venus par la Tanzanie. Ils disposent de canons sans recul, de lance-roquettes et d’armes automatiques chinoises et menacent Bukavu! Avec les Babembe, ils forment l’essentiel des effectifs de l’armée populaire dans le sud-est du Congo. Le 7 septembre 1965, des rumeurs font état d’une attaque de 2000 simba encadrés d’une centaine de Barbudos cubains contre Bukavu. Cette nouvelle jeta la panique dans le chef-lieu du Kivu et la population envisagea un repli vers Cyangugu au Ruanda. Mais ces rumeurs se révèlent sans fondement.

Le 9 septembre 1965, de nouvelles attaques de simba ont lieu dans la plaine Ruzizi, contre les villages de Luvungi, Nzombe et Kavimvira. Ils attaquent également Uvira. Cette localité proche du lac Tanganiyka est faiblement défendue par le 8e bataillon d’Infanterie qui s’y est retranché. Chaque attaque ennemie provoque un énorme gaspillage de munitions. La milice de la Sucraf basée à Kiliba est intervenue à Kavimvira pour repousser les incursions rebelles, mais au QG du 5e Gpt/ANC, le col Kabingwa Benezeth voudrait remplacer le chef de cette milice par une créature à lui pour pouvoir trafiquer à son aise. Cet officier supérieur commandant le 5e Groupement ANC du Kivu est d’une fidélité douteuse et il n’hésiterait pas à se ranger du côté des simba s’ils se montraient les plus forts. La mission qu’il confie aux parachutistes du groupe Cobra est d’opérer au Nord du lac Tanganyika et de nettoyer la plaine de la Ruzizi des rebelles. Pour exécuter cette mission, il leur faudra réouvrir l’axe routier menant à Uvira, bien qu’ils ne soient pas suffisamment armés pour cela, car ils ont peu d’armes lourdes.

Début octobre, deux quadrimoteurs de la Fatac embarquent les septante hommes du groupe Cobra à Baka et les déposent quelques heures plus tard à Goma où un comité d’accueil avec troupes et fanfare croit à l’arrivée d’une huile du gouvernement dont le vol est annoncé. Ils ne sont pas attendus, car c’est dimanche, mais le commandant de la Place de Goma est plein de bonne volonté et leur fournit des véhicules pour rejoindre le port. Entre temps, le commissaire extraordinaire débarque d’un appareil d’Air Congo et la pagaille est complète, car les hommes du peloton d’honneur sont occupés à charger les bagages du groupe dans les camions. Les hommes embarquent sur un navire de l’Otraco pour traverser le lac Kivu, mais personne ne les attend au port de Bukavu. Le commandant Bottu prend le téléphone et forme le numéro 3164 du QG/5eGpt, mais le planton de garde semble complètement abruti et c’est seulement à 22h30 qu’il parvient à contacter le n° 2083 au consulat de Belgique où un diplomate fait le nécessaire pour trouver des camions afin de les conduire à l’athénée prévu comme cantonnement. Les bâtiments scolaires, dont la cour de récréation fait face au lac Kivu, sont installés sur une des presqu’îles. Les salles du rez de chaussée serviront de bar et de mess et les chambres de l’internat situées à l’étage serviront de dortoirs.

Le cpn Thadée Kowalsky accueille les hommes du groupe Cobra à l’athénée. C’est un ancien volontaire du Katanga qui commande le groupe de Commandos du Kivu (Codoki), dont les volontaires européens leur offrent un bon repas et leur fournissent des couvertures en attendant de trouver des matelas. Depuis la rébellion, l’athénée n’accueille plus d’élèves par manque de professeurs et il a servi de caserne aux Sud Africains du 53e peloton de Jack Maiden (5e bataillon commando) qui ont abandonné les lieux en fin de contrat pour rentrer chez eux. Les salles de cours sont sales et remplies d’objets hétéroclites. Les parachutistes congolais du groupe Cobra s’installent à l’étage d’une annexe de l’établissement scolaire et déjà des femmes légères arrivent de la cité pour monnayer leurs charmes. Le lendemain, le commandant Bottu se rend au QG installé dans l’ancien club sportif de la ville à la pointe de la presqu’île en forme de botte dont elle porte le nom.

Il se présente au colonel Kabingwa Benezeth, chef du 5e Groupement ANC, puis il va retrouver le cpn Kowalsky au bar de l’hôtel Tourist. Le chef des Codoki lui décrit la situation dans la plaine de la Ruzizi où ses hommes ont subi plusieurs embuscades sur la route qui conduit à Uvira. Pierre Bottu rapporte à ses hommes la conversation qu’il a eue avec Thadée Kowalsky et ils se mettent à rire, car ce Polonais est la fable des mercenaires. Déjà au Katanga, il avait la poisse et attirait les rebelles comme des mouches ! La principale difficulté du commandant du groupe Cobra est de trouver des véhicules en bon état et des armes lourdes pour effectuer des patrouilles sur la route d’Uvira avec son groupe. L’unique solution est d’échanger le vieux matériel mis à sa disposition avec trois jeeps et trois camions neufs que la garnison congolaise emploie pour son plaisir et auxquels s’ajoutent une Ferret munie d’un butoir et deux jeeps héritées des Codoki. L’instruction recommence et un exercice amphibie est organisé sur le lac Kivu. Il se termine comme il se doit au Cercle Nautique de Bukavu où les volontaires européens pratiquent la natation, se dorent au soleil et draguent les filles des colons.

Afin d’impressionner la population et pour montrer la force de son groupe aux espions rebelles, le commandant du groupe Cobra organise un défilé dans les rues de Bukavu. Les hommes défilent d’un pas martial avec leur fusil FN FAL 7.62 mm à crosse repliable, coiffés d’un béret rouge ou d’une casquette Bigeard. Le groupe perd deux véhicules de son charroi en peu de temps dans des accidents stupides et il se trouve singulièrement réduit: une jeep est perdue par Claude O. et Patrick B. et le cpn Kowalsky roule en état d’ivresse avec la jeep-radio et tombe dans un ravin. Thadée Kowalsky sort miraculeusement indemne de sa chute, mais les PM congolais lui mettent la main au collet et le col Kabingwa Benezeth le met aux arrêts et menace de le faire fusiller. Il faut toute la diplomatie du commandant Bottu pour le tirer de ce mauvais pas. Il obtient une peine plus clémente du commandant du 5e Groupement, le renvoi à la discipline de corps. L’officier congolais fait mine d’accepter, mais il agit en sous-main pour que le cpn Kowalsky soit expulsé du pays après rupture de son contrat.

Peu après, le chef du 5e Groupement est arrêté pour avoir détourné la solde de ses hommes, soit 3 millions de FC. Il passe en jugement devant un tribunal militaire réuni à Bukavu et se voit condamné à huit ans de Servitude Pénale et à la dégradation. Peu après son arrivée à Bukavu, le commandant Bottu est convoqué chez le col Bangala au QG ANC. Cet officier vient d’arriver de Baka pour remplacer l’ex-colonel Kabingwa Benezeth, mais il ne vaut guère mieux. Pro-lumumbiste, il sévissait à Bukavu lors de la dictature de Kashamura en 1961 et avait empêché un coup d’état favorable au gouvernement légal. Le nouveau chef du 5e Gpt/ANC lui remet un ordre d’opération ainsi rédigé : « La mission du groupe Cobra sera d’escorter la 1ère compagnie du 13e Bn d’Infanterie à Uvira, puis il devra s’emparer du port de Kalundu sur le lac Tanganiyka où cette compagnie tiendra garnison . Sur demande radio, il pourra bénéficier de l’appui des quatre T-28 du Wigmo basés à Goma et devra prendre contact avec l’armée burundaise pour s’assurer de sa collaboration lors des opérations de nettoyage ».

L’ouverture de la route d’Uvira

L’ordre d’opération pondu par les officiers de l’état major du 5e Gpt/ANC est un véritable chef d’œuvre. Les renseignements du S2 qui y sont notés sont soit disant récents, mais en réalité, ils datent de plusieurs mois. Au lieu de les comparer, tout est donné en vrac, ce qui fait qu’en additionnant les effectifs rebelles, on arrive à des milliers de Bafulero et Balemera qui occuperaient les sommets bordant la vallée et encercleraient Uvira avec leurs alliés bavira, empêchant le ravitaillement de la garnison. Les ordres du QG sont clairs : tout ce qui vit entre Kamanyola et Uvira est considéré comme rebelle sans distinction, car la population barundi a dû fuir au Burundi. Les femmes bafulero ravitaillent les guérilleros et ce sont souvent des adolescents qui sont placés avec un lance-roquette RPG dans les fossés pour une embuscade suicide ! Les rebelles ne font aucun prisonnier et les militaires congolais tombés entre leurs mains sont massacrés dans d’horribles tortures. Pendant ce temps, des combats acharnés se poursuivent au Sud et à l’Est de la poche de Fizi contre les simba babembe, menés principalement par les commandos sud-africains.

Les simba exercent une forte pression vers le Nord, notamment dans la plaine de la Ruzizi et des incursions de rebelles descendus des montagnes ont lieu quotidiennement près d’Uvira et de Kiliba, ainsi que plus à l’Ouest, le long de la route reliant Kasongo à Bukavu. Le 6 octobre 1965, le commandant Bottu effectue sa première mission opérationnelle : l’ouverture de la route d’Uvira. A minuit, la colonne du groupe Cobra est prête au départ, tandis qu’au camp Saïo, le chef du 13e bataillon fait préparer les véhicules de la compagnie qui doit rejoindre Uvira. Quelques parachutistes congolais du groupe ont fait la nouba et manquent à l’appel. Les volontaires râlent sur leurs pauvres moyens et l’infirmier du groupe, l’adjudant Daniel L. menace de démissionner. Ils n’ont qu’une mitrailleuse FN Mag et les mitrailleuses Browning .30 des jeeps et leur « artillerie » se compose de deux mortiers de 2 pouces, d’un mortier de 60 mm et d’un blindicide. Les Codoki leur ont prêté une partie de leur charroi : un blindé léger Ferret équipé d’un butoir fort utile pour déplacer les obstacles, une vieille jeep armée d’une mitrailleuse et une jeep Mutt équipée de mitrailleuses jumelées Mag et d’un bouclier blindé provenant d’une jeep Minerva Para hors d’usage.

L’ouverture d’une route dans une zone bordée de montagnes nécessite des armes à longue portée, mais l’aide du QG/5eGPT n’est pas à la hauteur de ses besoins. Ce sont encore les Codoki qui viennent au secours des hommes du groupe Cobra en leur permettant de puiser quelques armes lourdes dans leur dépôt de Bukavu. Ils reçoivent en prime une mitrailleuse Browning calibre .30 qu’ils font monter par un savant bricolage sur une des jeeps obtenues de l’ANC. Il leur faudrait des vêtements chauds et des réchauds à alcool, mais tout ce qu’ils obtiennent sont des rations de vivres par la voie du troc. Outre les cinq PRC10 reçus à Kinshasa, dont la portée normale de 20 km est plus limitée en zone montagneuse, il reçoit un poste VHF qui lui permettra d’assurer les liaisons sol-air d’une portée limitée à 2 km. Malheureusement, aucun de ces postes ne permet de contact radio direct avec le QG, il leur faudrait un ANGRC9. La colonne du groupe Cobra traverse Bukavu et arrive au bâtiment des PTT où elle dépasse les véhicules à l’arrêt du 13e bataillon qui se mettent en route à leur tour. Les deux colonnes progressent ensembles et empruntent une série d’escarpements qui dominent la vallée de la Ruzizi.

Le commandant Pierre Bottu est assis dans la vieille jeep héritée des Codoki conduite par Guy Devise. Elle est surchargée et son moteur à bout de souffle peine dans les montées. Devant lui, la Ferret conduite par Daniel L. ouvre la route avec « Chinetoque » à la mitrailleuse .30 de la tourelle. C’est un métis de père français et de mère tonkinoise, ancien parachutiste en Indochine et en Algérie. Le paysage de la vallée de la Ruzizi, bordée d’une chaîne de montagne peuplée de maquisards bafulero rappelle au commandant le conflit de Corée où il a combattu : le moindre mouvement est facilement détecté à des kilomètres de distance par les guetteurs ennemis planqués dans les hauteurs. Nettoyer cette vallée ne sera pas une partie de plaisir. En cas d’embuscade, les soldats du 13e bataillon doivent débarquer de leurs véhicules et couvrir les flancs de la colonne, mais il sera difficile de coordonner cette action avec les officiers congolais qui manquent d’autorité sur leurs hommes. Les volontaires n’ont aucune confiance en eux.Ces vaillants soldats de l’ANC ne sont pas très chauds pour participer à l’opération, car ils devront rester en garnison à Kalundu. Hors ce port a été miné par l’ANC avant sa retraite et aucun officier n’a dressé de carte du champ de mine.

La progression vers le col est longue à cause de la lenteur des véhicules et le froid est vif dans ces hauteurs. Ils atteignent enfin le territoire ruandais dont le poste frontière est bien défendu, puis Kamanyola, avant-poste de l’ANC avant la traversée du no man’s land et l’entrée dans la zone rebelle. Cette position stratégique avec son unique hôtel-restaurant au nom évocateur : « Bambou » est défendue par des gendarmes congolais Le commandant arrête la colonne pour attendre les T-28 et le chef de la petite garnison lui raconte qu’ils ont subi une attaque des rebelles et qu’ils ont riposté de toutes leurs armes. Evidemment, ils n’ont pas lancé de contre offensive. Parmi les hommes de garde, il reconnaît un sergent-chef qui a servi sous ses ordres dans le peloton de gendarmerie de Fizi avant l’indépendance, quand il était sous-lieutenant à la Force Publique. Le sous-officier lui raconte qu’il a combattu la gendarmerie katangaise à Kongolo et qu’ils se sont peut-être tirés dessus à la frontière, Pierre Bottu s’était engagé chez Moïse Tshombe en 1960 !

Profitant de la halte, le commandant Bottu s’entretient avec les officiers congolais du 13e Bn et il leur explique qu’ils devront se méfier à certains endroits de la route, notamment au pont de Kamanyola et à Luvungi où le 1er juillet dernier, deux camions venant de la Sucraf à Kiliba sont tombés dans une embuscade rebelle. Les villages de Lubarika, Kabona et Sange sont également des endroits dangereux. Une frousse salutaire gagne le cadre congolais qui se montre très coopératif. Les avions d’appui débouchent dans le ciel et survolent la colonne à l’arrêt. Immédiatement, Bottu contacte par radio le Belge Léon Libert, un pilote de la 21e escadrille ATA passé avec Roger Bracco au service du Wigmo : «Tango de Cobra, nous démarrons maintenant. Faites une passe sur le pont de Kamanyola et sur la maison isolée perchée sur la colline à droite de la route – Over ». Les T-28 Trojan s’éloignent rapidement puis on entend le bruit des leurs armes. Les pilotes rendent compte par radio : « Cobra from Tango flight, rien de suspect, mais quelques taches claires, cadavres ou hommes cachés dans la forêt, Over ». Le commandant demande de faire un petit straffing sur l’endroit et les deux monomoteurs font une passe et mitraillent de leurs .50.

Dans la tourelle de la Ferret, « Chinetoque » tire à son tour des courtes rafales sur les endroits dangereux, tandis que les fantassins du 13e Bn d’Inf progressent à pieds. Une section d’infanterie congolaise est envoyée prendre position de l’autre côté de l’ouvrage et ils serrent les fesses de trouille lors de la traversée du pont sur la rivière Luvimbi. C’est un véritable coupe gorge entouré de forêts et dominé par une colline. L’avance se poursuit à du vingt à l’heure et Bottu envoie les avions plus loin devant la colonne pour survoler Kiliba. A leur retour, un des pilotes du Wigmo lui apprend qu’il y a un barrage à cinq kilomètres et le commandant du groupe Cobra demande de le traiter avec leurs mitrailleuses de bord. Pendant ce temps, la colonne poursuit sa progression, précédée par la Ferret qui lâche quelques balles sur chaque endroit supposé dangereux. Le barrage apparaît, c’est un vieil arbre abattu que le blindé pousse sur le côté avec son butoir. La route est jonchée de douilles et on aperçoit des squelettes desséchés. C’est ici que Kowalsky et ses Codoki sont tombés dans une grosse embuscade.

A 500 mètres sur la droite, une fumée sort d’une bananeraie. Le commandant stoppe la colonne et fait tirer quelques coups de mortier qui atteignent leur but. Poursuivant leur vol de reconnaissance, les pilotes signalent par radio sept barrages sur la route menant à Uvira et des feux de camp à Luvungi, siège d’une usine abandonnée de la Cotonco. « Méfiez-vous » leur dit Léon Libert, puis les deux monomoteurs Trojan reviennent sur la colonne et s’éloignent vers le nord car leur réservoir se vide. La colonne contourne un vieux camion Bedford qui gêne le passage et plus loin, l’épave d’un monomoteur de l’ONU qui a fait un atterrissage forcé en avril 1964. Après dix kilomètres de route, les premiers véhicules approchent de Luvungi et le chef du groupe Cobra fait débarquer ses hommes pour progresser en marchant. Soudain, Claude Ghillardy se prend les pieds dans un « bobby trap ». Le fil rouillé se rompt sans que la grenade explose, son mécanisme est sans doute bloqué. Il ramasse la Mills et la lance au loin où elle éclate. L’Espagnol Roberto jure et dit que c’est sûrement un engin posé par l’ANC lors des combats de l’année précédente. Ces trouillards ont sans doute miné le coin avant de retraiter. De nombreux squelettes gisent à moitié enterrés et à certains endroits, le sol est couvert de douille. Partout des étuis vides d’obus de 57 et de 75 mm traînent et une pancarte posée récemment par les simba avertit : « Mort aux mercenaires américains ».

A droite de Luvungi, une route monte vers la localité de Lemera, aux pieds des montagnes et à gauche s’étend une petite piste d’aviation mise hors d’état par les rebelles. Des champs de coton abandonnés s’étalent aux alentours. Le commandant fait ratisser les installations de la Cotonco où traînent du matériel hors d’usage. Les rebelles ont campé ici récemment et des traces d’occupation sont visibles: des foyers éteints et des restes de repas. Les hommes remontent dans les véhicules et la colonne quitte le poste cotonnier. Les barrages signalés par Léon Libert sont franchis sans problème à part quelques courtes fusillades rebelles auxquels répliquent les hommes de la colonne. Ils effectuent l’autre moitié du trajet et parviennent à un endroit idéal pour une embuscade, la route est bordée de talus et surmontée d’une colline. Les véhicules de la colonne passent en crachant de toutes leurs armes, mais aucun rebelle ne se montre.

Au kilomètre 107, ils approchent du pont route-rail et découvrent un étrange barrage : des sorciers rebelles ont placé des rangées de cailloux et des calebasses contenant des produits magiques sur la route. Les soldats congolais en ont une frousse bleue et le commandant doit faire déverser de l’essence pour l’incendier et conjurer le mauvais sort des dawa (charme). Au croisement, les hommes empruntent la piste qui se dirige vers la Sucraf à Kiliba. La colonne y est accueillie par les volontaires du 60e peloton détaché du 6e Codo dont le plus connu est Van Oost, dit « La pieuvre » parce qu’il s’est fait tatoué ce céphalopode sur la poitrine. Monsieur F. Ramu, directeur de la Sucraf, informe le commandant que son usine est au centre d’une plantation de cannes à sucre de 4000 hectares, dont 400 ha ont été incendiés par les rebelles qui se sont emparés du port de Kalundu au mois d’août dernier. Le baron Kronaker, important homme politique et industriel belge, a obtenu la protection d’un groupe de volontaires européens pour défendre sa plantation.

Les installations sont entourées de barbelés sur un périmètre de 2 km et elles sont défendues par des miradors avec mitrailleuses et des champs de mines. Une garde armée assure la sécurité des ouvriers agricoles dans les champs et le personnel vit dans un perpétuel état d’alerte. La garnison de cette plantation se compose de volontaires européens et d’une centaine de Congolais chargés de la défense des installations sucrières. Après une courte halte, les hommes de Bottu reprennent la route vers Uvira, d’où partira l’opération vers Kalundu, future garnison de la compagnie du 13e Bn d’Inf. Ils ne risquent pas grand chose, car la colonne est puissamment armée, mais peu auparavant, un camion du 8e Bn d’Inf venant d’Uvira a été détruit à la roquette par les rebelles. Les Européens du 60e peloton se sont rendus sur les lieux de l’embuscade, mais les soldats congolais avaient déjà été dépecés à coups de machettes par les assaillants et leur camion réduit à l’état d’épave.

Nettoyage du port de Kalundu

A Uvira, le major Ndele, commandant de la Place et les soldats congolais du 8e bataillon d’Infanterie leur font un accueil triomphal. L’officier se met au garde à vous et se présente au chef du groupe parachutiste en lui disant : « Je suis très content, mon commandant », puis il l’entraîne vers la plus belle des villas qu’il a réquisitionné pour son usage personnel. Dans la soirée, de longues rafales d’armes automatiques pleuvent sur la localité. Ce sont les rebelles qui leur souhaitent la bienvenue. A cette fusillade répond celle de la garnison, toute aussi fournie et le commandant Bottu demande à l’officier congolais pourquoi il ne fait pas sortir ses hommes de leurs positions pour contre attaquer. « C’est tous les jours comme ça », lui répond le major Ndele. L’officier européen propose de lui montrer comment faire cesser ce feu d’enfer. Il donne l’ordre à Daniel de bombarder la colline avec quelques coups de mortier bien alignés et la fusillade s’arrête au grand étonnement des Congolais. Le groupe Cobra retourne à la Sucraf et le radio de la plantation envoie un message à Bukavu pour signaler que la première partie de la mission a été remplie.

Le commandant du groupe espère faire sortir la garnison d’Uvira de ses positions pour s’emparer ensemble du port de Kalundu, indispensable pour assurer le ravitaillement régulier de la région. Il est invité par le directeur de la Sucraf qui le met au courant de la situation. L’effectif de la garnison de Kiliba est insuffisant, des coups de canons sans recul ont été tirés récemment pas les simba de l’APL sur les installations pendant que la majorité des volontaires étaient en patrouille et cinq obus ont fait but, un ouvrier congolais à été tué et deux autres blessés. Les rebelles se sont regroupés à Katobo, un village perché dans la montagne et ils ont fait sauter la route qui y conduit à travers les escarpements. Ils descendent souvent des montagnes la durant la nuit pour chaparder de la nourriture ou du matériel. Pierre Bottu promet de sécuriser la région et dès le lendemain, quand le groupe reprend la route d’Uvira, il fait dégager les abords du pont métallique où se terrent parfois les rebelles en embuscade. La brousse aux alentours est brûlée avec des grenades incendiaires et les huttes pouvant servir de caches sont détruites.

Pierre Bottu retrouve le major Ndele qui a reçu par radio l’ordre formel du QG de Bukavu de reprendre le port de Kalundu dont les installations et les dépôts ont été pillés par les deux parties. Il est situé à près de quatre kilomètres d’Uvira dans un endroit difficile à défendre, une cuvette encerclée de montagnes dont les maquisards de l’APL tiennent les hauteurs. Avant de quitter les lieux, l’Armée Nationale Congolaise a miné le terrain et aucun plan n’a été dressé ! Le major Ndele informe le commandant que le sous officier chargé du minage a été tué. Il sait néanmoins qu’une série de mines a été posée dans la brousse bordant la route et qu’un champ de mines protégeait les anciennes positions défensives de l’ANC autour du port. L’attaque est prévue pour le lendemain et le commandant du bataillon d’Infanterie accepte sans hésitation que le groupe Cobra se mette en tête. En retournant à Kiliba, un mouvement suspect est détecté dans le clocher de l’église d’Uvira et le commandant y effectue une patrouille, appuyée au mortier par Daniel et à la mitrailleuse par «Chinetoque». Le principal danger vient des mines et un volontaire précède la patrouille pour les détecter.

Une fusée verte signale aux tireurs en protection que la patrouille est parvenue à la tour de l’église, mais «Chinetoque» reprend son tir, car il a aperçu des rebelles qui s’enfuyaient. Sans doute des guetteurs qui espionnaient les faits et gestes de la garnison. Quelques bombes de mortier les font fuir plus vite et un des simba tombe sous le tir. De retour à la Sucraf, les hommes du groupe préparent les armes et les véhicules pour l’opération du lendemain. Le réveil est prévu pour 03h30 et le départ aura lieu une heure plus tard. A partir d’Uvira, la progression se fera à pieds car il n’y a que quatre kilomètres jusqu’à Kalundu. Le lendemain, après un copieux déjeuner au mess, les moteurs des véhicules sont mis en marche et des essais sont effectués pour régler les canaux radio des PRC10 de chaque section. Un des opérateurs articule dans le micro : « Cobra one to Cobra two, me recevez-vous ? Over ». A 04h30, le commandant Bottu prend place dans sa jeep. La Ferret démarre après le « Go » d’usage et la colonne s’ébranle lentement derrière elle, tous feux éteints. A Uvira, aucune troupe n’est prête et il doit tirer le major congolais de son lit. Il n’est pas très chaud pour quitter la sécurité de ses positions et annonce que l’opération est retardée, car il a demandé des détecteurs de mine au QG/5eGpt. Le chef du groupe Cobra n’est pas du tout d’accord et lui déclare que s’il ne veut pas occuper Kalundu aujourd’hui, il devra le faire plus tard mais sans son aide et ajoute : « Pour moi, mon major, cela équivaut à un refus d’ordre collectif, c’est à dire une rébellion. Vos hommes doivent savoir ce que cela signifie ! ».

L’officier congolais, brusquement mis au pied du mur, s’adresse dans son dialecte à ses officiers, puis s’adresse au commandant et lui annonce que son bataillon sera prêt dans un quart d’heure. Il prend place dans la jeep de l’officier européen et la progression des troupes commence à pieds et de part et d’autre des véhicules. Au bord de la route se dressent des cases qu’il faudra incendier après la capture du port. Des coups de feu éclatent alors que les éclaireurs s’approchent du petit pont qui enjambe la Mulongwe. La Ferret et les jeeps foncent et une bataille s’engage avec les rebelles en fuite. Ils tentent de retarder l’ANC en retraitant vers les montagnes, mais leur tir est imprécis. Le mortier fait pleuvoir ses projectiles sur les fuyards et le canon réquisitionné à Kiliba avec quelques volontaires du 60e peloton vise les groupes de simba. Les véhicules du groupe Cobra atteignent la périphérie du port et l’infanterie se met en position près des entrepôts. Kalundu est entre leurs mains et la fusillade s’arrête. Il n’y a aucun blessé dans leurs rangs et les soldats congolais regagnent leurs anciennes positions, construites en dépit du bon sens avec les matériaux les plus divers. Alors qu’une estafette avertit le major qu’il a un contact radio avec Bukavu, l’enfer se déclenche. Deux soldats congolais qui se sont aventurés entre les positions sautent sur une mine à quelques minutes d’intervalle et perdent leurs jambes dans l’explosion.

Il faut immédiatement se porter à leur secours en tâtant le terrain pour éviter d’autres accidents et obtient du QG qu’il envoie un hélicoptère sanitaire, mais il faudra deux heures pour qu’il rejoigne Kiliba. Des Européens ramènent les deux blessés en zone sûre, mais leurs blessures sont trop graves. Ils sont embarqués dans un camion qui file vers Kiliba sous la protection de deux jeeps. Les soldats congolais sont mis en ligne pour fouiller les accès aux positions avec leur baïonnette, mais ils craignent que l’endroit ne soit ensorcelé et menacent de se révolter. Sur ordre du QG/5eGpt, les hommes de la compagnie amenée de Bukavu doivent rester en garnison à Kalundu malgré leur mauvaise volonté. Le commandant du groupe Cobra donne quelques conseils au lieutenant congolais qui les commande et lui demande de rester en contact radio avec la Kiliba et de l’avertir en cas d’attaque, promettant de venir le secourir. Dix minutes plus tard, la colonne est reformée et les troupes regagnent leur cantonnement respectif. Peu après, un hélicoptère Bell 47 se pose à Kiliba sous la protection de deux T-28 et embarque les deux blessés vers Bukavu. Deux jours plus tard, les hommes apprennent par la radio la mort de ces malheureux.

Attaque du camp rebelle de Lubarika

Pour ne pas laisser le groupe inactif, le commandant prévoit une opération vers Katobo pour le lendemain. De nombreux rebelles sont signalés dans les environs de ce village et Van Oost, alias « La pieuvre » raconte qu’un camion de la Sucraf y a été abandonné. La nuit tombe et de nombreux foyers s’allument dans les montagnes. Daniel demande l’autorisation de tirer quelques coups de mortiers et peu après, les lueurs s’éteignent comme par magie. Les maquisards n’ont pas l’habitude d’être bombardés de nuit par la garnison congolaise ! Peu après, Van Oost et quelques volontaires partent pour une partie de chasse afin d’améliorer l’ordinaire et ils reviennent avec … trois prisonniers simba. Ils faisaient partie d’un groupe plus nombreux surpris avec des armes automatiques, des lances, des arcs et des flèches empoisonnées, mais les autres ont pu s’enfuir en laissant deux morts sur le terrain. Le lendemain, le groupe est renforcé par une partie du 60e peloton du 6e BCE et emprunte la piste qui conduit à Katobo. Un premier pont est réparé avec les moyens du bord et une patrouille se dirige vers le deuxième pont.

Le volontaire Van Oost les avertit que le coin devient dangereux, soudain des coups de feu éclatent. Des rebelles les ont vu venir et tirent dans leur direction pour couvrir leur retraite. Certains sont touchés par le tir posé des volontaires, mais les maquisards ont subi un bon entraînement, car ils font demi-tour pour récupérer les armes et les blessés. Le commandant ordonne un tir de barrage pour les empêcher d’agir. Une fusillade éclate et il fait tirer au mortier de 2 pouces sur les alentours du deuxième pont. Ensuite, ils rejoignent l’ouvrage et constatent qu’il est défendu par des positions de défense très bien ordonnées qui prennent le pont en enfilade. Plus loin, d’autres casemates sont couvertes d’un toit de paille et permettent d’y cantonner une petite garnison. De la nourriture cuit sur un foyer et des réserves y sont entreposées. Si Van Oost ne les avait pas mis en garde, de nombreux volontaires risquaient d’y passer. Les simba ont perdu au moins une trentaine d’hommes dans leurs rangs, mais ils ont emporté leurs armes.

Le butin se réduit à un vieux Mauser et à des munitions d’origine chinoises. Sur une des cases abandonnée, un parachutiste congolais écrit : « Ici sont passés les paras de Cobra » et un autre dépose un petit mot sur un cadavre rebelle : «Les parachutistes vous saluent, vous y passerez tous, Cobra ». Le camion abandonné à l’air en bon état, mais c’est à la Sucraf de déterminer si la récupération du véhicule vaut la peine de réparer le pont. Ils sont de retour pour dîner, puis se mettent au nettoyage des armes et à l’entretien du charroi, car le jour suivant une liaison routière est prévue vers Bukavu, via Kamanyola. Van Oost réussit à obtenir sa mutation pour le groupe Cobra dont il apprécie la combativité. Le lendemain, ils retrouvent Bukavu où les volontaires des Codoki leur ont préparé un plantureux repas. Le commandant fait régler les cinq postes PRC10 du groupe par un technicien de l’ATMB du QG de la Botte et obtient une radio à grande portée qu’il fait monter dans sa jeep. Il reçoit également un mortier de 81 mm avec un stock de bombes au phosphore, un blindicide, une mitrailleuse .50 et deux FN Mag 7,62 mm supplémentaires.Le jour suivant, le cdt Bottu est l’hôte du col Bangala dans son QG bordant le lac Kivu. Le chef du 5e Groupement se montre très impressionné par le premier bilan du groupe para Cobra.

Après ce bref repos, les parachutistes reçoivent la mission de patrouiller dans la Ruzizi, car l’ANC a obtenu l’accord de l’armée Royale du Burundi pour lutter conjointement contre les rebelles de l’APL. C’est du boulot sérieux et à partir de Kamanyola, le groupe Cobra bénéficiera d’une protection aérienne. Il attaquera d’abord Lubarika, où les Bafulero se sentent en sécurité car ils y organisent chaque mercredi et samedi un marché pour permettre aux paysans d’écouler leurs produits. Cette localité serait défendue par une brigade de 1500 hommes. Vers quatre heures du matin, la colonne est prête au départ et le commandant rassemble les chefs de sections pour leur donner les ordres. L’armée burundaise mènera une opération de ratissage de l’autre côté de la Ruzizi et refouleront les rebelles vers le Congo. Les deux mitrailleuses de tête flanqueront à gauche et les mitrailleurs de queue à droite.

La mitrailleuse .50 et les mortiers tireront au delà pour couper la retraite des simba et les chauffeurs et leur convoyeur assureront la sécurité de leur véhicule. Les autres fonceront en tirailleur et élimineront toute résistance. A sept heure, le groupe parvient à Kamanyola, mais les avions ne sont pas au rendez-vous par la faute d’un officier congolais du QG qui a oublié de commander le support aérien. Malgré l’opposition de quelques volontaires, le commandant décide d’y aller car les Burundais les attendent. Après quelques kilomètres, la colonne quitte la route et emprunte la piste bordée de hautes herbes qui conduit à leur objectif. Cinq éclaireurs sont envoyés en reconnaissance vers un pont. Des tranchées et des abris précaires y sont découverts, mais les rebelles n’y ont posté aucune garde. La route continue, rectiligne, mais se perd dans un bois. La colonne s’arrête et la Ferret passe en avant, tandis que les hommes avancent d’arbre en arbre. Daniel met son mortier en batterie pour bombarder le bois, mais ils le traversent sans subir d’embuscade. Cinquante mètres plus loin, un trou barre la route. Ils y entassent des branches et des pierrailles et poursuivent leur chemin.

Alors qu’ils approchent d’une zone cultivée, des coups de feu éclatent, puis s’amplifie. Les mortiers et le canon de 75 mm SR bombardent et les parachutistes répondent aux tirs ennemis. Le commandant fait avancer les sections qui progressent comme à l’exercice et soudain, ils atteignent le camp des maquisards. Ceux-ci sont occupés à fuir en emportant le plus de matériel possible sous la protection d’autres simba armés qui se sont mis en position sur une colline. Ils dominent les lieux et tirent sans distinction avec une mitrailleuse sur les parachutistes et sur leurs camarades.

Automatiquement, les chef de section prennent leurs hommes en main et nettoient le terrain, tandis que la mitrailleuse ennemie est mise hors de combat. « Cobra » réclame par radio un appui aérien à « Groupement » et lui demande s’il est en contact avec les pilotes. « Négatif à votre question, Cobra leader, avez-vous des blessés, Over ». Le commandant lui répond qu’il n’a aucune perte jusqu’à présent, qu’ils dominent la situation et que les rebelles sont en fuite.

L’opérateur du QG lui annonce que le col Bangala (Sunray) est à côté de lui et qu’il veut rejoindre Kamanyola pour le féliciter. Réponse de Cobra leader : « C’est gentil de sa part, mais il risque de devoir attendre, nous n’avons pas encore fini ». Cobra leader insiste pour obtenir un appui aérien, ne fut-ce pour observer la direction de fuite des rebelles, car le camp est entre leurs mains et ses hommes ratissent systématiquement l’endroit et chaque case est visitée. Un groupe de volontaires poursuit les maquisards, mais il est bloqué par une rivière dont le pont est détruit. Quelques coups de feu sont tirés de manière sporadique dans leur direction pour les retarder. Cobra leader les rappelle, car cela les entraînerait dans la forêt où ils risqueraient une embuscade. Daniel reçoit l’ordre de tirer quelques bombes de mortier sur les simba en fuite, puis ils retournent au camp rebelle qu’il a fait entourer de véhicules armés placés en position défensive. Les cases sont en feu et un important butin s’entasse dans les camions : des armes, des caisses de munitions, des tambour-chargeur de pistolets-mitrailleurs et des bombes de mortier. Les réserves de vivres sont détruites et ils récupèrent des toques de peaux de civette, typiques des simba, des armes coutumières et des documents d’état-major. En ratissant le terrain aux alentour, ils découvrent des cases camouflées dans une bananeraie et ramènent une nouvelle moissons de munitions et de documents.

Une explosion les jette au sol, c’est un abri d’explosif bien camouflé qui vient de sauter. L’incendie gagne du terrain et d’autres explosions suivent, car les hommes ont mis le feu trop vite et des munitions sont cachées dans chaque recoin. La situation devient dangereuse et ils doivent se retirer. Il n’y a plus rien à récupérer et Cobra leader donne l’ordre de la retraite. La colonne se reforme sur la piste et un homme du dernier camion est chargé de lancer une grenade incendiaire tous les cinquante mètres pour incendier la savane derrière eux. Ils rejoignent la route macadamisée d’Uvira et descendent des véhicules pour progresser à pieds à travers la savane et ratisser le terrain vers la Ruzizi marquant la frontière du Burundi, où des incendies sont également visibles.

La savane est brûlée sur des kilomètres pour dégager de toute végétation la zone fréquentée par les rebelles à la recherche de ravitaillement. Il leur sera difficile de passer inaperçus. Les parachutistes retournent ensuite à Kamanyola où le col Bangala les attend. Cobra leader fait déposer le butin aux pieds de l’officier qui est ravi et demande à Pierre Bottu s’il a des blessés. « Négatif, mon colonel » répond-il. Les Français du groupe ne sont pas content, car au 1er Choc, il était de règle de conserver le butin. Le commandant leur répond : « Les ordres sont de tout remettre. Et puis que ferions-nous des armes ? Un petit musée privé ? ». Après avoir fait son rapport, il se plaint du manque d’appui aérien qui lui aurait permis de poursuivre l’opération de l’autre côté de la Ruzizi. Il n’est plus question d’ordres et de plan de bataille avec le col Bangala. L’officier congolais laisse le chef du groupe Cobra décider de sa prochaine opération. Celui-ci veut retourner à Lubarika et traverser la rivière à gué, car il y a une plantation un peu plus loin et il voudrait y faire une reconnaissance et les rebelles vont sans doute revenir pour récupérer leurs morts.

Ce qu’il veut surtout, c’est un appui aérien, car ils devront progresser à pieds et sans armes lourdes. Il demande aussi un camion supplémentaire, car ils ont dû détruire des tonnes de vivres qui auraient permis de ravitailler à bon compte la garnison d’Uvira. Bangala lui répond : « A votre prochain passage à Bukavu, vous aurez ce camion, commandant. Je retourne maintenant à mon QG, mais je reviendrai vous voir demain. L’aviation sera au rendez-vous, je m’en occupe personnellement ». Il fait charger le butin dans son véhicule et dans celui de son escorte, tout heureux de pouvoir se pavaner en héros à Bukavu. C’est la première fois depuis longtemps qu’il y a autant de matériel ennemi. Les hommes du groupes Cobra installent leur campement en retrait derrière les positions ANC de Kamanyola et prépare leur repas. Des enfants noirs se proposent de les aider en échange de nourriture, cigarettes et friandises. Un tour de garde est organisé, car ils sont sous la protection des soldats congolais, mais ils ne dorment qu’un d’un œil, les armes à portée de la main. Le crépuscule sur la Ruzizi est un spectacle magnifique, le ciel est embrasé de couleurs rouges. A l’aube, le bivouac se réveille et les parachutistes avalent un café brûlant et dégustent les papayes que leur apportent les petits congolais. Un ronronnement d’avions leur fait lever la tête et deux T-28 les survolent.

Cobra leader se précipite sur le poste VHF et entame un dialogue avec le pilote Léon Libert : « Survolez Lubarika Tango. Vous verrez bien, cela a dû brûler. Voyez s’il n’y a rien de suspect. Nous démarrons à l’instant. Rendez-vous au champ de bataille, vous verrez le pont détruit. De là nous comptons progresser à pied vers une plantation qui se trouve au delà, Over ». La colonne se met en route à vive allure et rejoint le camp rebelle par la piste. Tout a été détruit par le feu et quelques troncs calcinés fument encore. Du haut du ciel, le spectacle vu par les pilotes est encore plus impressionnant, la brousse a brûlé sur des kilomètres, tout est noirci sauf les thalweg et la forêt. Cobra leader leur demande de survoler la forêt pendant qu’ils longent le camp des maquisards bien plus étendu qu’il n’y paraissait. Outre les cases fouillées la veilles, il comprenait de nombreuses casemates camouflées, dont les poteaux calcinés et les tôles noircies trahissent l’emplacement. C’est une importante infrastructure rebelle qui a été rasée. Alors que les sections s’approchent du pont, des coups de feu éclatent. Les rebelles sont retranchés de l’autre côté et Cobra leader fait appel à l’aviation. Les T-28 piquent du haut du ciel et tirent de toutes leurs armes. « Cobra de Tango, les rebelles foutent le camp, Over ».

Le chef du groupe Cobra demande aux pilotes de les pourchasser à coups de mitrailleuses, tandis qu’ils traversent le cours d’eau. Une section reste en protection du charroi et les autres progressent, précédées par des éclaireurs. Une odeur de poudre envahit les narines et sur la piste, ils distinguent l’impact des balles de 12,7 mm des avions. Il n’y a pas âme qui vive, mais des traces de sang les conduisent dans la forêt. Un des maquisards a eu son compte et une fouille rapide de ses vêtements ne révèle rien d’intéressant. Pendant la progression, les monomoteurs rugissent au-dessus de leur tête, survolant au plus près la cime des arbres. Après avoir traversés une petite clairière, les parachutistes pénètrent à nouveau dans la forêt et atteignent un petit poste cotonnier abandonné. Les appareils reviennent et Libert annonce que les simba filent comme des lapins et sont déjà à trois ou quatre kilomètres de leurs lignes.

« Nous devons rentrer Cobra, fuel à la limite, Over ». D’après les pilotes, il n’y a pas plus d’un kilomètre jusqu’à la plantation. Ils traversent une grande étendue plantée de caféiers et arrivent aux bâtiments. Tout est à l’abandon et des tonnes de graines de café pourrissent dans un hangar, un groupe électrogène et des tracteurs dans un autre. Quelle catastrophe ! Inutile de poursuivre les rebelles. Cobra leader songe à revenir avec du génie pour réparer le pont et récupérer du matériel. Il faudrait installer des réfugiés dans la plantation et les mettre au boulot. Ils rejoignent leurs véhicules et l’un des volontaires indique une colline qu’il voudrait inspecter. Tout semble calme et ils abordent les pentes lorsque soudain, un tir nourri se déclenche. Des rebelles s’étaient cachés dans une petite vallée couverte de végétation et ils se sont crus découvert. Les parachutistes congolais vident leurs chargeurs sur l’ennemi, mais leur tir immobilise la patrouille. « Cessez le feu, bande d’imbéciles » hurle Cobra leader, tandis que quelques volontaires distribuent des coups de pieds « Halte au feu, ne tirez plus, nos hommes sont là bas ».

Au tir désordonné des Congolais s’ajoute celui des simba qui passe au-dessus des hommes de la patrouille pour aboutir parmi le groupe. Les mortiers et le canon sont mis en batterie et soudain, un engin explose dans les rangs congolais. L’un d’eux a paniqué et a pressé la gâchette de son Fal muni d’une grenade Energa. Elle est montée vers le ciel et est retombée parmi eux. Heureusement, c’est une charge creuse et seuls les éclats sont dangereux. Il y a plusieurs blessés dont quatre Congolais. Daniel s’occupe de les soigner et un appel radio prévient Bukavu où l’hôpital se tiendra prêt à les accueillir. Entre temps, Chinetoque délogent les maquisards à coups de canon de 75 SR et hurle « Hourra, ils décampent ». Roberto encadre avec les mitrailleuses jumelées les fuyards qui sont poursuivis par la patrouille de Guy. Son avance est appuyée par les armes lourdes et Daniel règle son mortier de 81 mm et tire derrière la crête où l’ennemi a disparu.

Le commandant Bottu ordonne de cessez le feu dès le retour de la patrouille et ils embarquent dans les véhicules pour regagner Kamanyola. Aucune ambulance ne les attend et Pierre Bottu doit faire vider un camion pour y placer les blessés. Il ordonne à son chauffeur de filer plein gaz vers Bukavu où il fera une entrée très remarquée. Tout Bukavu parle des parachutistes de Cobra qui ont détruit la menace rebelle qui pesait sur la ville. Le colonel Bangala arrive plein gaz et semble consterné par les blessés. « Vous me ferez un rapport écrit, commandant ? ». Cobra leader lui promet et demande que l’aviation harcèle les maquisards pour qu’ils sentent que les choses ont changé et qu’ils se terrent dans les montagnes.

Le chef du 5e Groupement embarque dans son véhicule avec un nouveau butin qui lui permettra de plastronner dans les rues de Bukavu. Quant aux hommes du groupe Cobra, ils vont se baigner dans la Ruzizi sous la protection de la Garde Nationale du Ruanda qui leur fait des signes d’amitié. Grâce à eux, ils pourront dormir tranquille, car les simba viennent les ennuyer chaque nuit. Vers 15h00, les avions sont de retour. Ils les survolent en battant des ailes et disparaissent vers Lubarika. Un bruit sourd indique qu’ils sont occupés à straffer l’ennemi et lorsqu’ils repassent sur Kamanyola, Cobra leader se met à l’écoute « Merci, Cobra, vous avez eu du flair. Avons déniché une grosse concentration près de la montagne. Leur dernière conférence. Si un jour vous allez jusque là, il faudra vous pincer le nez. Over ». Cobra leader leur demande de revenir le lendemain et précise qu’il sera en stand by vers midi. Ils bivouaquent à nouveau sur place et un indigène venu se réfugier dans les positions congolaises signale l’existence d’un PC rebelle à Kabona, entre la route et la rivière. Il y aurait également un troupeau de vaches à récupérer.

Un autre PC est signalé à Bwegera. Les blessés d’hier n’ont pas entamé le moral des parachutistes de Cobra. Pour plus de sûreté, le commandant Bottu fait enlever les tromblons lance-grenade Energa sur les Fal des Congolais. Il n’a pas raconté la vérité dans son rapport et a mis les blessés sur le compte d’un tir de blindicide ennemi. Inutile de froisser leur orgueil. Une nouvelle journée de combat commence et au bout de quelques kilomètres, la colline de Kabona apparaît, solitaire au milieu de la plaine. Les hommes descendent et les sections progressent, encadrés par les mitrailleurs. Elle n’est pas fort haute, mais est constituée de rochers escarpés qu’il faut gravir avec le poids des armes et des munitions. Le sommet de la colline laisse apparaître des positions de soutien pour une embuscade et des douilles traînent sur le sol. D’ici, les rebelles avaient une vue splendide sur la route où le cpn Kowalsky est tombé dans une embuscade avec ses Codoki il y a deux mois. Ils ont eu beaucoup de dégâts et ont failli y rester.

Du haut de la colline où ils se tiennent allongés, la plaine est fouillée à la jumelle et dans la végétation qui borde la Ruzizi, Cobra leader aperçoit des toits de chaumes. Il fait installer les armes lourdes sur l’emplacement et redescend l’autre versant pour encercler le village. Pierre Bottu cède le commandement au lt Bruni qui fait occuper le village, mais ils n’y découvrent aucune présence humaine. Les huttes sont incendiées et les hommes regagnent la route. C’est la dernière opération de l’officier français, car il part en Europe pou un congé fin de terme. Deux gros camions de la Sucraf arrivent de Bukavu escortés par des volontaires du 60e Codo armés de deux mitrailleuses. Ils ont appris la présence du groupe Cobra et préfèrent regagner Kiliba sous leur protection plutôt que d’emprunter la voie qui passe par le Burundi. Ils devront attendre que les parachutistes nettoient Bwegera, mais cela ne les dérange pas. L’adjudant Norbiato est prêt à leur prêter main forte avec ses hommes. Alors que le village de Kabona se trouvait à gauche de la route vers la rivière Ruzizi, Bwegera se situe à droite, au bout d’une mauvaise piste qui conduit à une série de collines.

Un arbre mort est déplacé par le butoir de la Ferret, mais au bout d’une longue ligne droite, d’autres obstacles du même genre barrent leur chemin et il leur faut deux heures d’efforts pour faire un kilomètre. Au loin, ils aperçoivent des fumées, signes d’une présence rebelle, puis un coup de feu éclate. « En avant, sans quoi les rebelles auront mis les voiles » hurle le commandant. La colonne est reformée et fonce vers le camp rebelle. Deux paillotes formant un avant-poste viennent d’être abandonnées par leurs occupants car un feu de camp y brûle encore. Une fusillade éclate, mais elle est désordonnée et sporadique. Les parachutistes répondent par un feu d’enfer et Cobra leader fait appeler l’aviation qui doit être en stand by. Guy revient en courant et annonce « Ils demandent quarante minute, mon commandant ». Ils atteignent le camp des simba où règne la panique et un feu d’armes automatique les prend à revers. Il provient d’un petit monticule situé à gauche de la piste qui est immédiatement la cible des parachutistes. Des rebelles s’écroulent et le tir diminue d’intensité, puis s’arrête.

Cobra leader ordonne de nettoyer le village et fait placer les véhicules en carré défensif. Ici aussi, le village est bordé d’une rivière dont le pont est détruit. Impossible de le traverser à gué. Le cours d’eau est bondé de Bafulero qui s’enfuyent. D’autres sont déjà loin dans la plaine et filent vers les collines, contreforts de montagnes peu éloignées. La fouille des huttes livrent le butin habituel : munitions, armes coutumières, peaux de civettes, documents et cours de tactique guérilla.

Autant de preuves irréfutables de l’activité subversive de leurs habitants. Un gué est découvert à cent mètre du village, il permet le passage de véhicules légers et « La Pieuvre » pense pouvoir traverser avec la Ferret. Le commandant lui recommande de bien étendre les panneaux de tissus rouges, signes de reconnaissance pour l’aviation. Deux sections traversent également la rivière à gué et gagnent l’autre rive pour participer à la poursuite et les hommes restés sur place se livrent à la chasse aux animaux domestiques. Une jeune femme bafulero est découverte, grise de peur. Ils l’interrogent et elle leur raconte que les rebelles les contraignent à les aider et à ravitailler les maquis de la montagne.

De sa main, elle indique plusieurs endroits où se situeraient des camps rebelles. Le cdt Bottu observe le massif montagneux à la jumelle et il semble en effet y avoir de l’activité aux endroits indiqués. Au delà du cours d’eau, les sections sont au contact de l’ennemi et on perçoit une fusillade lointaine. Les T-28 surviennent soudain au-dessus du village, mais ils se dirigent dans une mauvaise direction et Cobra leader les appelle « Tango de Cobra, nous vous voyons à deux kilomètres. Piquez plein sud, vous verrez une grande croix rouge au milieu d’un village, Over ».

L’émission radio est assez faible et dans un grésillement, il entend « Compris, Cobra ». Cette fois, ils passent trop à droite et il faut les ramener vers le village. Finalement, les pilotes font une passe et battent des ailes au-dessus des cases. Cobra leader leur demande de repérer la patrouille grâce à ses panneaux rouges et les monomoteurs s’éloignent vers les montagnes. « Cobra de Tango, avons repéré votre patrouille, elle est arrêtée, Over ». Le commandant leur demande de les survoler en rase-mottes et de faire attention aux balles rebelles.

Les avions piquent, puis remontent et après une deuxième passe, Libert hurle dans le micro à l’intention de son équipier cubain « Tango two, Tango two, tacataco na macaco ». L’ordre est compris par son ailier hispanique et les deux appareils mitraillent les groupes de rebelles en fuite. « Chinetoque » a trouvé un nouvel objectif à la jumelle et le montre à son chef. Il a remarqué beaucoup d’agitation dans un des villages perchés sur la montagne. Les avions sont contactés par radio et une flèche est formée avec les panneaux rouges pour indiquer aux pilotes la direction de la position rebelle. Ils survolent l’endroit avec leur appareil et y découvrent une énorme agitation. Les avions, pris à partie par les armes automatiques des maquisards, piquent en rugissant et font entendre le bruit de leurs mitrailleuses .50, suivi de l’explosion de leurs roquettes. Les pilotes sont heureux, car ils n’ont pas tous les jours l’occasion de prouver leur habileté.

A la jumelle, Cobra leader observe leurs attaques dont la témérité l’impressionne. Ils semblent frôler la montagne. Dans le camp ennemi, des silhouettes s’égaillent et des cases se mettent à flamber. « Cobra de Tango, straffing terminé, ils sont trop éparpillés maintenant. Avons fait du beau boulot grâce à vous ». Le commandant répond « Merci Tango, nous allons achever le boulot au mortier, retournez vers la patrouille, Over ». « Chinetoque » prépare son mortier, mais il doit mettre le maximum de charge, car l’objectif est fort éloigné. Un petit vieux tout tremblant est découvert, impossible de lui tirer un mot. Il est embarqué par les parachutistes congolais dans un camion avec le butin, les poules et les cochons.

Nouveaux combats dans la Ruzizi

Les T-28 volent au ras du sol, protégeant la patrouille qui rentre. Les volontaires sont contents, ils brandissent leurs trophées, peaux de civettes et armes de jets. Les jeeps repassent le gué, mais la dernière reste embourbée. Dix hommes la poussent sur la terre ferme. « Tout le monde est présent ? » demande Cobra leader. Non, il manque l’adjudant Norbiato qui est resté en arrière pour incendier les cases dont ils aperçoivent l’incendie dans le lointain. Le commandant appelle l’aviation et demande aux pilotes de survoler l’itinéraire emprunté, car un volontaire isolé dans la Ruzizi a peu de chance de s’en tirer. « Cobra de Tango, avons repéré votre homme, il suit la piste et va vers vous. Je vois des jeeps. Sont-elles à vous, Over » ». Cobra leader leur répond « Affirmatif » et leur demande d’observer leur itinéraire de retour pour vérifier qu’il soit sûr. Les pilotes ne voient rien d’anormal et demandent à rentrer. Léon Libert demande quel est le programme pour le lendemain. Il semble déçu car Cobra leader prévoit seulement le nettoyage et l’entretien des véhicules. Les avions du Wigmo saluent en balançant des ailes, puis s’éloignent dans le lointain et les volontaires leur font des signes d’adieu.

Des coups de feu troublent le silence, les volontaires s’élancent et reviennent avec un prisonnier légèrement blessé. Manque de chance, il cherchait à se rendre et tenait un chiffon blanc, mais il était resté cacher dans les hautes herbes au lieu de se montrer. Il est installé à l’arrière d’un véhicule et on lui donne une cigarette. Le feu est bouté au village et aux vivres qu’il est impossible d’emporter et le groupe Cobra se rend à Kiliba. Alors que la colonne approche de Sange, des coups de feu l’accueillent au croisement et les hommes aperçoivent deux hommes qui s’enfuient. Les mitrailleuses entrent en action et Norbiato se précipite avec ses hommes. Il ramène une prisonnière et annonce que les deux rebelles sont morts. Au loin, une colonne de fumée est aperçue près d’une bananeraie. Cobra leader interroge la femme bafulero, « C’est de là que tu viens ? ». Elle ne répond pas. « Feu de mortier sur cet objectif » ordonne-t-il à Daniel. Trois coups partent au but et deux sections sont envoyées pour voir les résultats. Elles reviennent dix minutes plus tard et le chef de patrouille rend compte qu’ils ont trouvé cinq rebelles tués et un mourant. Les trophées qu’ils ramènent sont des preuves suffisantes et ils poursuivent leur chemin vers la Sucraf.

Par la radio, les hommes du poste ont suivi le déroulement de l’opération et les félicitent. L’adjudant Norbiato raconte ses aventures à ses camarades du 60e peloton avec son inimitable accent italien. C’est un combattant aguerri qui a fait son service dans les plongeurs de combat de la Marine italienne. Cobra leader prend le micro et fait son rapport au QG de Bukavu par télégramme : « De Cobra au Groupement : Kabona chou blanc stop Bwegera détruit stop Avons tués guerriers et vaches rebelles et fait prisonnier quatre rebelles, tas de volailles et nombre de chèvres stop Aucune perte amie Full stop». L’opérateur radio du QG répond « Acheminez les prisonniers au Groupement. Tordez le cou à la volaille et bon appétit ». A son humour, c’est certainement un Belge de l’assistance technique. La chaleur de la nuit empêche les hommes de s’endormir et la fièvre agite le cdt Bottu, fatigué par une année de combats. Il a renoncé deux fois à prendre une permission en Belgique pour seconder le ltcol Lamouline au commandement du bataillon.

La tension nerveuse est très forte, pas seulement à cause des rebelles, mais aussi à cause des intrigues incessantes. A Léopoldville, les politiciens congolais de l’opposition manoeuvrent pour éliminer Moïse Tshombe et il est question d’un complot pour enlever au ltcol Lamouline le commandement du 6e Codo. On raconte que le major Bob Denard est soutenu par le SDECE et qu’il s’agite dans l’ombre. On parle de l’attaché militaire d’un pays européen qui manœuvrerait auprès du général Mobutu pour supplanter les officiers belges de l’assistance technique. Le lendemain après midi, Pierre Bottu choisit de faire une randonnée à Uvira où ils sont accueillis par les soldats congolais. Puis, le groupe Cobra continue sa route jusqu’au port de Kalundu. Tout se déroule sans anicroche et le chef de la compagnie en garnison montre au commandant les améliorations qu’il a apporté à la défense des installations. Tous les abords ont été dégagés de la végétation et ses soldats n’ont plus peur des mines. Les décombres ont été fouillés et la protection des positions est améliorée et les objets les plus divers s’accumulent dans les abris des militaires, allant de la machine à coudre au portrait du roi Baudouin.

Des racines de manioc sèchent au soleil, tandis que des femmes trottinent aux alentours. Tout semble aller pour le mieux dans le secteur ! Au retour, « Chinetoque» surprend tout le monde en ouvrant le feu à l’improviste avec la .30 de la Ferret. Ils bondissent prêts au combat, mais il leur montre des pintades étendues raides mortes au milieu de la route. D’autres volontaires s’y mettent aussi, mais le résultat n’est pas fameux car les balles de 7,62 mm ne laissent pas beaucoup de chair sur les os ! Pierre Chassin et les autres Français du groupe proposent au commandant de partir en opération de nuit dans les montagnes. Dans les Aurès, il effectuaient souvent des commandos de chasse et ramenaient régulièrement des prisonniers. Ils ont horreur de rester inactifs et sont d’accord d’y aller seuls. Pierre Bottu promet de réfléchir à la question. Le18 octobre, le commandant réunit les hommes du groupe et leur annonce le programme, « Cet après-midi, les gars, prêts à 14h00. Nous nous installerons à Kabukambo près de Sange, cette localité est bordée par la rivière du même nom qui se jette dans la Ruzizi.

Nous y resterons en embuscade de nuit sur la route et demain matin, nous foncerons de là vers la Ruzizi où des villages rebelles m’ont été signalés ». Un des volontaires français reparle des commandos de chasse, mais Pierre Bottu lui dit qu’il faudrait d’abord trouver un bon objectif, un PC rebelle par exemple, car il a horreur de chasser des fantômes. Renforcés par des hommes du 60e Codo, ils rejoignent l’ancien poste de l’Etat et y occupent des maisons européennes abandonnées pour y établir un bivouac. Ces habitations ont dû servir d’objectif aux avions T-28 qui ont fréquemment attaqué les rebelles dans le secteur en 1964 et il faut déblayer les gravats. La position est idéale pour une embuscade, car elle est légèrement en hauteur. Les gradés établissent un rôle de garde et la patrouille d’embuscade est désignée. Le repas du soir est préparé à la boy scout et ils bavardent jusque tard dans la nuit. L’embuscade n’a rien donné et Cobra leader décide de lever le camp avant l’aube. Il étudie la carte et décide de patrouiller vers trois localités peu éloignées de la Ruzizi : Mamijembo, Dunda et Kimoka.

Les volontaires progressent dans la brume matinale que perce à peine les premiers rayons du soleil. La piste disparaît sous un tapis d’herbe drue et au loin, la Ruzizi fait de grandes boucles dans la savane. Un premier village apparaît et il semble plein de vie. Cobra leader l’étudie à la jumelle, mais des guetteurs ennemis les aperçoivent et quelques coups de feu éclatent. Le commandant fait mettre les armes lourdes en batterie et ordonne aux jeeps de foncer « Les camions déchargeront les hommes aux abords immédiats du village, vu ? ». Ils répondent aux tirs rebelles par une fusillade plus nourrie et des explosions de mortier sèment la panique dans la localité, dont les cases se vident en un clin d’œil. Une masse de fuyards tente de rejoindre la Ruzizi pour passer au Burundi et deux jeeps foncent pour leur couper la route. Un groupe de simba escalade un monticule, peut être pour s ‘y mettre en position et Cobra leader crie « Ennemi à droite ». De la Ferret, « La Pieuvre» répond qu’il s’en occupe et la fusillade devient générale.

Un camion chargé de paras congolais se détache à la poursuite d’une bande de fugitifs et d’autres militaires s’occupent de fouiller les cases. Les jeeps armées atteignent la rivière après avoir traversé le village sans s’arrêter et les rafales de mitrailleuses ne font pas de quartier. « Stoppez le feu, vous tirez en territoire burundais, nous risquons un incident diplomatique ! ». Cet avertissement n’arrête pas les assaillants qui invoquent le droit de poursuite. « Nous irons chercher les cadavres et puis, l’armée du Burundi est sensée travailler avec nous dans une opération combinée». La Ferret rejoint le village avec des prisonniers agrippés à la tourelle sous la menace du revolver de Van Oost dit « la Pieuvre ». D’autres véhicules reviennent de la rivière, car elle est assez encaissée. Des volontaires descendent à pieds pour la traverser, mais Desbles tentent une manœuvre acrobatique et sa jeep glisse dans le ravin. Il faudra des muscles pour le sortir de là. Les prisonniers profitent de l’incident pour tenter de s’évader et les paras congolais ouvrent le feu. Il n’y a aucun survivant. Au village le tir devient sporadique et les Congolais poursuivent la fouille systématique des cahutes. Les habitants qui n’ont pu s’enfuir sont rassemblés sous bonne garde.

Une vieille qui se cache derrière une case échappe par miracle à la mort. Soudain, un rebelle habillé comme un ministre sort d’une des dernières habitations en levant les mains. C’est sûrement une bonne prise. « Incendiez tout ! Aucune maison ne doit rester debout, car les rebelles pourraient revenir ». Pendant que les parachutistes incendient le village, les volontaires du 60e Codo ont filé à l’anglaise avec leur camion pour attaquer Dunda. Il est seulement 09h00 du matin et dans le village qui brûle, les munitions cachées dans les cases explosent à répétition. Cobra leader envoie la Ferret et les jeeps mitrailleuses pour appuyer le 60e Codo. Un de ses hommes lui montre un document trouvé sur un rebelle tutsi. Il est signé « colonel » Mudia, commandant du 5e Groupement de l’APL. Ils remontent dans leurs véhicules et se dirigent vers Dunda. Des salves de trois coups de feu sont tirées par les hommes du 60e Codo pour signaler leur position. Les parachutistes répondent de la même manière pour annoncer leur arrivée et une fusée rouge est envoyée dans le ciel.

Les deux groupes se rencontrent et Cobra leader demande s’il y a des blessés, puis il ajoute « Qui vous a dit d’aller tout seul à Dunda. Vous vous rendez compte s’il y avait eu un os ? ». Ils répondent qu’ils ont aperçu le village alors qu’ils poursuivaient les rebelles et qu’ils ont foncé avec leur véhicule. Là aussi, les rebelles ont été chassés et le village incendié. Le commandant réplique « Bon pour une fois adjudant, mais faites gaffe la prochaine fois, plus de frasque de ce genre. Go pour le dernier village, il doit être quelque part sur la gauche ». Il est plus difficile à trouver car il est bien caché par un rideau d’arbres et des bananeraies. Il est découvert grâce à un rebelle qui leur tire dessus et il est immédiatement pris d’assaut. Assis dans la jeep-radio, Cobra leader laisse ses chefs de section se charger de l’attaque, car il vient de capter un message surprenant envoyé par la Sucraf à Bukavu, tard dans la nuit, des troupes burundaises se sont mutinées et ont attaqué le palais du mwami Mwambutsa IV à Bujumbura. Sugar, nom de code de la Sucraf, réclame de l’aide au QG du Groupement, car le mwami s’est réfugié à Kiliba et ils craignent d’être attaqués par les mutins du Burundi.

Il demande de contacter Cobra qui est en opération. Cobra leader n’hésite pas une seconde et lance un message à tous les postes de radio. « Priorité opération, silence radio, silence radio. Groupement et Sugar de Cobra, j’ai suivi vos derniers messages, avez-vous des ordres pour moi ? Over ». L’opérateur radio de la Sucraf lui répond qu’il est heureux de l’entendre et lui demande de rentrer au plus vite à Kiliba, car la situation est explosive. Le commandant lui répond qu’il rompt le combat le plus rapidement possible et qu’il sera dans deux heures à la Sucraf. Il appelle Daniel et « Chinetoque » et leur dit d’allez voir au village « Dites aux gars de liquider tout au plus vite ». A ce moment, il capte un message provenant du QG : « Cobra, Cobra, ici Sunray Groupement, le col Bangala vous parle. Ordre formel de ne pas franchir la frontière. Je répète, interdiction formelle de franchir la frontière, c’est un ordre personnel du commandant en chef le général Mobutu. Avez-vous compris Cobra ? ».

Troubles au Burundi

Malgré l’ordre formel donné par le général Mobutu, le commandant Bottu décide de franchir le Rubicon et son dernier message à Sugar est on ne peut plus clair « Mes gars sont gonflés, nous allons reconquérir Bujumbura pour le mwami, à tout à l’heure ». Il croit que la mutinerie de l’armée royale pourrait dégénérer en massacre d’Européens et voudrait les rassurer. Quelques coups de mortiers sont tirés sur les rebelles qui fuient au Burundi, puis la colonne se reforme et fonce vers Kiliba. Cela discute ferme et si certains se voient déjà entrer en vainqueur dans la capitale du Burundi, d’autres se demandent vers quelles catastrophe ils se dirigent. Pour Cobra leader aucun doute n’est possible, ce sont les rebelles du CNL et leurs commanditaires qui profitaient du Burundi comme refuge qui ont provoqué la mutinerie, car le mwami devenait gênant, surtout depuis qu’il avait ordonné à son armée de chasser les maquisards.

Pendant la progression de la colonne vers Kiliba, la radio capte de nouveaux messages où il est question des mutins, ils ont fermé l’aérodrome de Bujumbura et ont occupé le dépôt d’armement et de munitions. Un chargement d’armes destiné aux rebelles congolais qui venait d’être saisis par les autorités du Burundi serait en cours de récupération par les simba alliés aux troupes mutinées. Vers midi, la colonne de Cobra fait son arrivée à la Sucraf et Cobra leader s’enquiert immédiatement des mesures de défense prises autour des installations. Il apprend que la garnison est en alerte, que des avions sont attendus pour un vol d’observation le long de la frontière et que le poste de douane a reçu des renforts. Cobra leader demande une heure de délai pour lancer un raid sur la capitale burundaise et espère se mettre en route vers 13h00. Monsieur Ramu, directeur de la Sucraf, invite le mwami Mwambutsa et sa suite dans sa villa et une sorte de conseil de guerre se déroule. Outre des membres de la Sucraf et les adjudants de l’ATMB, il y a le grand maréchal de la cour, son conseiller juridique, mademoiselle Vellecourt, la maîtresse du mwami, des officiers de la garde du palais et le cpn Jean-Marie Claessens de l’assistance technique auprès de l’armée royale du Burundi, par ailleurs aide de camp du mwami.

C’est lui qui prend la parole pour raconter brièvement les événements de la nuit. Peu après la fin de son témoignage, un sergent de l’ANC demande à parler à un des adjudants belges de l’assistance technique. Il lui annonce ce que les gardes du postes frontière lui ont appris : les mutins et les rebelles de l’APL vont réunir leurs forces. Il faut réagir immédiatement car nous risquons d’être encerclés par les mutins du Burundi et les rebelles de la Ruzizi. Les communistes chinois n’ont jamais pardonné au mwami de les avoir expulsés et d’avoir saisi le convoi de camions chargés de 80 tonnes d’armement qui transitait de la Tanzanie pour armer les maquisards. Il y avait de quoi armer un millier de rebelles ! Le cdt Bottu veut attaquer préventivement, écraser la mutinerie, peut-être empêcher le massacre des Européens, mais un adjudant de l’ATMB intervient « Mon commandant, c’est impossible, les ordres sont formels, l’ANC ne peut sous aucun prétexte franchir la frontière. Ce sont les ordres du général Mobutu transmis par le col Bangala. Le chef du groupe Cobra fait l’innocent « Je n’ai jamais accusé réception d’un tel ordre », dit-il. Mais sa conviction est faite, il faut intervenir avec ou sans l’accord du QG. Ce pays risque de tomber aux mains des communistes et la rébellion regagnera le terrain perdu, « Souvenez-vous des massacres de Stanleyville » ajoute-t-il. Un nouveau message du col Bangala lui transmet l’ordre personnel du général Mobutu : « Interdiction de pénétrer au Burundi ».

Le commandant lui demande carte blanche, car la situation risque d’évoluer de façon imprévisible. Le col Bangala lui répond qu’il rappelle le GQG à Léopoldville, mais qu’il ne doit rien faire sans son accord. Mais Pierre Bottu a déjà décidé d’agir. Il demande néanmoins conseil au lieutenant B., chef du 60e Codo et à l’adjudant de l’ATMB. Bien que ce dernier soit d’accord avec sa décision, il doit se conformer aux ordres. En tant qu’unité faisant partie du 6e Codo, le chef du 60e peloton est sous les ordres du commandant qui en est toujours l’officier en second et il est d’accord de l’accompagner avec ses volontaires, mais les Congolais resteront sur place pour assurer la défense de la Sucraf. A 14h00, toujours aucune nouvelle du col Bangala et le cdt Bottu se demande s’il a osé contacter le général Mobutu qui ne badine pas avec la discipline.

C’est décidé, il faut gagner le Burundi avec ou sans autorisation, mais le cpn Claessens et les officiers burundais prendront la tête de la colonne et la conduiront jusqu’au Quartier Général de l’armée à Bujumbura. Si la ville est à feu et à sang, le cdt Bottu reprendra le commandement. Les volontaires sont joyeux et si certains pensent aux banques de la capitale du Burundi, d’autres songent aux femmes burundaises, bien plus belles que les congolaises. Après que les officiers burundais aient parlementé avec leurs compatriotes et montré le laissez passer du mwami, la colonne passe le poste frontière, mais le commandant fait stopper le camion des parachutistes congolais qui doit rester sur place et les attendre. Plusieurs villages sont traversés, dont les habitants brandissent des armes, mais « La Pieuvre » reste imperturbable dans la Ferret et la colonne poursuit sa route. A Bujumbura, un Européen croit à une intervention belge ! Il est interrogé et leur apprend que le QG est occupé par des troupes fidèles et que le chef de l’assistance technique belge y est aussi.

Le groupe Cobra s’y rend immédiatement et son chef se présente au colonel Verwijn et lui apprend que le mwami l’a chargé d’escorter le cpn Claessens et ses officiers à Bujumbura avec l’intention de faire passer un message royal à la radio. L’officier trouve l’idée très bonne et après un court entretien, il retourne à ses cartes d’état major. Ses adjoints sont très contents de l’arrivée du groupe Cobra, car bien qu’ils ont repris la base aux mutins, ceux-ci ont pu charger plusieurs camions d’armes et sont partis dans les montagnes. Les troupes loyales contrôlent la radio, le palais et patrouillent en ville et ils demandent au cdt Bottu de faire le tour de la capitale avec ses véhicules pour calmer les esprits.Tragique accident. Le chef du groupe Cobra demande à son radio de contacter Kiliba pour les rassurer et demande qu’un T-28 survole la frontière pour connaître la direction de fuite des mutins. Les avions de Goma doivent les attaquer s’ils franchissent la Ruzizi. Les véhicules se mettent à deux de front et parcourent les avenues de Bujumbura. Les volontaires sont bien accueillis par les Européens qui leur offrent à boire

Cette promenade militaire à Bujumbura les conduit devant un grand bâtiment arborant le drapeau rouge, c’est l’ambassade soviétique. Les Français du groupe voudraient y pénétrer pour tout casser. A la jumelle, le commandant observe les fenêtres et aperçoit une jolie rousse qui les photographie au téléobjectif et il ordonne : « Vos mitrailleuses dans une autre direction, nom de Dieu ». Après un dernier tour dans les rues, ils retournent au QG de l’armée burundaise avant de rejoindre la frontière et les fidèles du mwami rembarquent dans leurs véhicules. Au poste frontière, ils retrouvent les champs de canne à sucre de la Sucraf et déposent leurs passagers chez le mwami. Les parachutistes congolais ne sont pas content, car ils auraient voulu participer à l’expédition et le commandant Bottu doit leur expliquer qu’il ne pouvait les mêler à cette affaire, car il a agit sans autorisation.

Le message royal est enregistré sur bande magnétique et Pierre Bottu fournit deux jeeps d’escorte pour le porter à Bujumbura. Elles filent sous la pluie, mais doivent ralentir car la route devient glissante. Le mwami songe à une alliance militaire entre le Congo et son pays et voudrait rencontrer le colonel qui commande à Bukavu. Vers 20h00, l’escorte revient après avoir accompli sa mission, mais un volontaire vient l’avertir d’une catastrophe : Van Oost a voulu les accompagner avec la Ferret et au retour, le chauffeur congolais a dérapé dans la boue. Le véhicule blindé s’est retourné roue en l’air et gît dans les marais à quelques centaines de mètres du poste frontière. Ils foncent en jeep pour tenter de sauver les deux occupants bloqués à l’intérieur, mais l’autoblindée est trop lourde et il est impossible de la remorquer sur la terre ferme. Norbiato propose de mettre une charge de dynamite pour redresser le Ferret, mais les munitions et le réservoir exploseraient certainement. Après une longue attente dans la nuit noire, un bulldozer de la Sucraf est amené sur place avec une équipe de mécaniciens et un câble est attaché à la Ferret.

Le véhicule chenillé n’est pas assez puissant pour sortir le blindé des marais, mais une partie de la tourelle apparaît hors de l’eau et Mueller explore l’intérieur avec une lampe. La fouille ramène le béret rouge de « La pieuvre » reconnaissable à la cartouche attachée au ruban arrière. Pour les occupants de la Ferret, il n’y a plus rien à faire. Norbiato suggère d’arranger le certificat de décès pour que sa veuve ait droit à une pension et Guy Deville propose au commandant de déclarer que Van Oost est mort en mission commandée. Un camion muni d’un palan arrive en renfort et à 5h00 du matin, le blindé sort finalement du marais. Les deux corps sont dégagés et transportés à l’hôpital pour la toilette mortuaire. Des volontaires reviennent ensuite sur les lieux du drame pour remorquer la Ferret accidentée et essayer de le remettre en état.

Le major Ndele arrive d’Uvira et il demande au commandant pourquoi il n’a pas été consulté avant le raid sur Bujumbura, Cobra leader lui répond « Je n’ai vraiment pas eu le temps de vous faire avertir. Tout a été trop vite », bien content de ne pas avoir eu ce casse-pieds dans les jambes. Pierre Bottu reçoit l’ordre du Groupement de rejoindre Bukavu pour escorter le col Bangala à Kiliba en vue d’un entretien avec Mwambutsa. Son groupe l’attend à Kamanyola et Cobra leader continue avec quelques hommes vers Bukavu avec sa jeep et le camion de ravitaillement contenant les cercueils. Il fait une entrée remarquée à l’hôtel où logent le chef du 5e Groupement et de nombreux colons le pressent de questions. Les deux morts sont déposés chez les Codoki. Ils seront enterrés à après une courte cérémonie.

Le col Bangala survient pendant son repas et lui demande de faire son rapport, puis le commandant lui parle du projet d’accord militaire proposé par le mwami. « Le succès de l’affaire est entre vos mains, mon Colonel ». Celui-ci lui annonce qu’il compte l’accompagner le lendemain à 8h00 avec deux ministres provinciaux, le consul US et un colonel de l’auditoriat militaire, « Nous verrons sa majesté à Kiliba et je profiterai de l’occasion pour faire une tournée d’inspection ». La colonne officielle est prête à l’heure dite et le groupe assure son escorte vers Kiliba, tandis que deux T-28 survolent le cortège. Une conférence se déroule à la Sucraf et le major Ndele en profite pour se plaindre du comportement de Cobra leader : « Je suis commandant de secteur et le cdt Bottu ne me consulte jamais » dit-il. Celui-ci lui se défend en rappelant qu’en quinze jours de combat, il a réouvert la route d’Uvira et dégagé cette localité.

Pierre Bottu lui cloue le bec en lui rappelant sa situation avant son arrivée : « Il y a peu, vous vous faisiez tirer dessus dans votre propre cantonnement ». Tard dans la soirée, une rixe éclate entre les volontaires Deville et Van Asche après une nouba trop copieuse à la bière. Ce dernier est gravement blessé et meurt malgré les soins qui lui sont apportés à l’hôpital. C’est la prison assurée pour Guy Deville. Mais c’est également la prison pour le cdt Bottu qui est convoqué à Léopoldville sur ordre du général Mobutu. Il est arrêté pour avoir désobéi aux ordres en traversant la frontière. Déchu du commandement du groupe Cobra, il est emmené par les MP et emprisonné avant de comparaître devant le conseil de guerre qui ordonne sa dégradation et le condamne à une lourde peine de prison, six mois de servitude pénale dont il fera une grande partie avant d’être expulsé vers la Belgique.

FIN

Sources :
– « Les mercenaires de Moïse Tshombe» Livre manuscrit écrit par Pierre Bottu »
– « Le Roi de fortune » écrit par Robert Denard »
– « Baroud pour une autre vie » de Pierre Chassin paru aux éditions Jean Picollec »


A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

OPS