OPS Comores 1995 Mémoires de « Bosco »

 

Michel LOISEAU, Bosco ...

Bosco; une autre figure de notre microcosme. Ancien Commando Jaubert; Indochine, Algérie, il servit sous la bannière OPN dans les opérations du Biafra, de l’Angola, du Bénin, des Comores 78 et 95. Extraits de ses mémoires inachevées…

La Der des Ders


 

La nuit est claire et tout dort en ville ou quelques lampadaires anémiques veillent eux aussi. Je regarde la mer au large en tirant sur ma pipe; je fume trop. Il n’y a rien de plus ennuyeux que de faire le quart sur un navire mouillé à quatre cent mètres de terre.

Voila près d’une semaine que nous avons atterri ici, et je n’ai pas encore mis les pieds à terre. Denard est à Kandani avec les gars, le coup à réussit lune fois de plus et on ne sait pas encore comment ça va tourner. Perdu dans mes pensées, j’arpente l’aileron de passerelle quand je prends conscience qu’un flash lumineux éclaire le ciel avec régularité, se reflétant sur une bande nuageuse. Ce doit être sur l’aéroport d’Hahaya.

Je saute à la radio et appelle Kandani, ils l’ont vu également. Je descends réveiller le capitaine  »debout Chef, le bal commence! ». Il me rejoint en haut encore ensommeillé, on ne dort plus beaucoup depuis quelques jours.

Le flash continue à zébrer la nuit de ses éclairs. « Ils ont du larguer une équipe pour baliser ». « Parole de ministre parole de pute! » répond-il en bayant, ceci en allusion à la déclaration dans laquelle la France disait ne pas vouloir intervenir.

Nous descendons nous faire un café. Un bruit continu de moteur assez lointain nous ramène sur la passerelle, ça vient du large et barre vers le nord. J’écoute avec attention, et crois pouvoir identifier des hélicos, puis des gros porteurs, sans doute des Transalls.

« Cette fois, je crois que c’est la guerre mec ! On transmet nos infos à Kandani de nouveau. À la radio, ça commence à s’animer, je sais qu’il y à des gars à nous positionnés sur le terrain d’Iconi face à nous.

Cela se confirme un instant plus tard, un hélico sorti d’on ne sait où, se manifeste et essuie quelques rafales d’armes automatiques. Après cela n’arrête plus. Il semble que des éléments à pied se soient infiltrés, j’éteins tous les feux, je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais d’être dans le noir rassure. Un grondement s’amplifie par notre travers, à travers mes jumelles je scrute la nuit, mais l’hélico qui nous fonce dessus à vite fait de remplir les verres, et son ombre parait toute proche. Une rafale de canon de 20 mm fait gicler l’eau à vingt mètres du bateau , je file à quatre pattes à travers la passerelle, pour me mettre à l’abri, sur l’autre bord, c’est totalement inutile, car ses obus peuvent traverser les deux cloisons comme qui rigole. Il reprend de la hauteur en cabrant et amorce un virage, je me jette dans l’escalier pour descendre à l’étage du dessous. Boby se jette dans mes pattes, je hurle
– « restez en bas, il nous canarde! » .
Je suis plus indigné qu’effrayé, mais quand même, ça secoue merde! Les deux mécanos sont aussi dans la descente  » les salauds nous tirent dessus ».

Ils ne sont pas revenus, ils voulaient sans doute nous intimider. Nous remontons prudemment sur la passerelle. Boby me dit :
– « qu’est ce qui s’est passé ?  »
– « t’es sourds ou quoi ? Je me suis fait allumer, ils m’auraient tué ces enculés »
– « Ben merde ! » fait-il seulement
– « Tu te rends compte, buté par l’armée française, un ancien combattant, j’aurais eu l’air malin »
– « T’aurais surtout été mort! » fait mon pote, sans rire.

En face, ils se la donne avec ardeur, à la radio on entend une voix ordonnant aux européens de dégager et de rallier Kandani. Les comoriens ferraillent encore un moment et ça se calme.

Les coups de feu isolés vont durer toute la matinée, et de vagues bruits explosion nous parviennent du nord de la ville. Nous restons groupés près de la radio, on se sent un peu seuls.

En ville, quelques véhicules passent rapidement mais peu de piétons circulent. Au jour, nous voyons des militaires fouiller les bâtiments de l’aéroport d’Iconi, face à nous.

Un bateau de guerre est venu mouiller à trois cents mètres de nous, tous canons braqués, ce doit être une frégate, avec hélico sur l’arrière et pas mal de peuple à bord. On est examiné avec attention par vingt paires de jumelles. Au large, notre ancien  » pisteur » fait des ronds devant le port.

Radio Mayotte annonce aux habitants que le terrain est interdit aux civils et que l’armée contrôle tout. Tu parles ! On s’attend à une intervention armée aux Comores ! Ils sont un peu en retard les gars !

Avec Boby nous descendons jeter à la mer le peu d’armement qu’on nous avait remit, à tout hasard  »si ils nous arraisonnent autant pas les exciter » au point où les choses en sont, c’est de la pure sagesse. Nous convenons de faire nos sacs et d’attendre calmement.

Les marins comoriens ne comprennent pas trop ce qui se je les mets au boulot pour les occuper. Nous cassons la croute, tant qu’à faire !

Les mécanos font une drôle de gueule, surtout Criquet. Quand je remonte sur le pont, il y a un bateau de plus qui tourne en rond. Ils ont mit le paquet pour des mecs qui ne devaient pas intervenir.

Notre radio reste muette .en fin de matinée, RFI. Annonce que la rébellion serait matée et que,  »Bob Denard négocierait sa reddition » c’est bien lui ça ! Suit un long exposé sur la célérité et la compétence des troupes qui ont « mené l’assaut ». Il y aurait même un général pour commander tout ça. Plus de mille hommes et tout ce matos, pour une trentaine de gus, ils n’ont pas pris beaucoup de risques. Le pire c’est que les bananes vont fleurir sur les poitrines valeureuses. De mon temps, elles s’accrochaient moins facilement. Le jour où ça va chier pour de bon, ça va leur faire drôle de se faire allumer pour de vrai !

Les zodiacs n’arrêtent pas de faire du va et vient avec la terre, et tourner autour de nous. On s’attend à être arraisonné d’un instant à l’autre, mais la journée se passe et rien ne vient. Le cuissot part à, terre avec le chef mécano pour chercher du poisson, mais personne ne les arrête les hélicos n’arrêtent pas de décoller du Floréal, c’est la frégate qui nous veille.

Tout le trafic maritime est sous surveillance, deux petits bateaux qui arrivent des iles sont fouillés par les commandos-marine basés sur le Floréal, deux bâtiments de commerce sont inviter à dégager la zone, sans commentaires.

On prend notre mal en patience et dégustons notre zérès installés dans les chaises pliantes tirées sur la passerelle. Le chef et Criquet ne sont pas très rassurés, Boby en rajoute en les blaguant,
– « eh Criquet, je crois que pour l’avion tu l’as dans l’os. »
L’autre tire une gueule pas possible, il comptait bien se tirer de là avant que ça merde.
Le chef rit jaune, mais fait face
– « ils vont pas nous bouffer, va, ce n’est pas des Viet. »

La journée s’étire en longueur, plus rien à la radio, Boby colle un coup de hache sur le BLU. Il ne servira plus à personne, le bateau gris est toujours au même endroit avec sa dizaine de guetteurs, nous pêchons à l’arrière. Ils ne doivent plus y comprendre grand chose.

La nuit se passe calmement, au matin le mur blanc de la mosquée est souillé d’inscriptions « Français assassins » la défense des comoriens aux comoriens « France dehors » et un petit « Denard dehors » il semblerait que les avis de la population et l’officiel ne concordent pas. Entre autres exploits les vaillants « libérateurs » ont blessé deux journalistes français.

La radio répète que les rebelles sont neutralisés et Denard s’est retranché dans Kandani avec ses mercenaires et plusieurs journalistes. Pas fou le vieux ! Au dessus du fouillis végétal qui surplombe la ville, les fumées filtrent doucement, je sais que la haut les gens vivent dans leurs cases modestes, et que se trouve ma maison, modeste elle aussi que je n’aurai même pas eu l’occasion de voir. En plus, ma femme me croit en Nouvelle-Calédonie. Entre la quiétude que j’imagine là-haut et ce déploiement guerrier qui règne ici, il y a une sorte d’irréalité.
Il ne se passe rien de notre côté, la tension monte. Le président Djohar s a été remit aux autorités à ambassade de France, envoyé par un des lieutenants du vieux, et non pas « délivré » comme on le lira plus tard dans les gazettes. Ca sent quand même la fin. .

Demain, vendredi, c’est le jour de la prière, l’équipage ira à la mosquée, et décide de leur donner un sac de riz et un carton de sardines à chacun. Autant qu’ils en profitent avant la curée, qui ne saurait tarder. Le soir tombe de nouveau, nous glandons sur la passerelle avec une philosophie résignée, en buvant ce qui reste de nos stocks et fumaillant. .

Le Bosco rapplique et me fait signe de le suivre, avec un air mystérieux. À l’arrière, je tombe sur le mécano malgache en train de lover une amarre qui à priori vient de servir, tous ont d’air gêné. Sur le coup je crois à une tentative de fuite, mais le Bosco me montre une silhouette qui crawle dans la nuit vers la frégate,
–  » le chef  » dit-il sans rien de plus.
Oh merde! Je grimpe an haut et avertis Bobby.
–  » Appelle les, sinon ils vont lui tirer dessus!  »
Le capitaine saute sur le combiné et appelle sur le 16. On va avoir l’air fin !
–  » Floréal de Karthala (1), nous avons un homme à la mer qui nage vers vous « .
Ils n’accusent même pas réception, mais nous voyons des mecs armés cavaler partout, des projecteurs fouillent la mer. Nous le voyons enfin faire surface près des zodiacs amarrés au pied de l’échelle.
–  » Qu’est ce qui lui a prit bon dieu ?  »
–  » Il a craqué qu’est-ce que tu crois ». .

Il est sortit de l’eau, propulsé sur l’échelle et disparaît dans une horde humaine à peine les pieds sur le pont. Nous apprendrons plus tard que solidement molesté on lui a mit une cagoule et tirer des coups de feu aux oreilles. Drôle d’armée ! .

Je descends à la recherche de son second, qu’il ne nous fasse pas le même coup. Je le trouve à l’étage inférieur, l’air égaré, l’éternelle cigarette au bec. Il m’avouera en être à son quatrième paquet de la journée. Il a l’air complètement dans le c le cirage, je le tire dans une cabine ouverte; Je l’allonge et lui file un comprimé de calmant que le toubib m’avait laissé pour ce genre de cas. Il répond par monosyllabes à mes questions et me parait vraiment pas en forme pour tout dire il me flanque le trac, il ne manquerait plus qu’il me fasse une crise de je ne sais quoi! Je refile dare-dare sur la passerelle et en avise le capitaine.
–  » Je me demande si on ne devrait pas l’évacuer, au point où on en est ! »
Boby ne panique pas, ce n’est pas son genre mais nous sommes sous tension depuis trop longtemps – Il décroche le combiné, et appelle de nouveau la frégate.
Les gars répondent aussitôt, ils envoient un zodiac,
– « comme ça, ils auront la paire » fait il en raccrochant.
– « Si on passe pas pour des charlots après ça! »
Le zodiac arrive, cinq commandos armes braquées sur moi, y compris le mec au moteur, je leur confie Criquet et son sac, leur demandant de le passer à leur toubib; pas un mot n’est échangé. La frégate appelle, et demande d’un ton ironique si c’est terminé pour ce soir, bonne nuit! .

Après cet intermède le calme est retombé, nous ne sommes plus que deux, survivants de l’épopée encore libres. On ne comprend pas très bien pourquoi d’ailleurs. Nous supputons sur la suite des évènements, cela ne peu, maintenant que se précipiter. .

La radio a annoncé que Denard aurait été « capturé » et ses hommes se sont rendus et sont aux mains des forces de l’ordre..

Vendredi six octobre nous sirotons notre pot de café sur la passerelle, hommes sont prêts pour partir a terre, la Koffia sur la tête et vêtu pour les plus vieux de la djellaba blanche le don de riz et de sardines les met de bonne humeur, pour eux, c’est une aubaine. La frégate prend contact et nous enjoint de cesser tout mouvement vers la terre. .

« Cette fois c’est la fin » un nouvel appel nous avise que nous allons subir une visite du bord un type restera à la radio, le reste de l’équipage est invité à se grouper à vue sur l’avant.  » Tout personnel trouvé à l’intérieur entraînera une réaction » . C’est clair! .

Je laisse Boby et rassemble mon pauvre et éphémère équipage sur la plage avant. Une armada de zodiacs, portant des commandos et une poignée de gendarmes comoriens, pour la légalité sans doute L’échelle de coupée, descendue le long du bord depuis le début, est gravie en souplesse par des hommes armés au regard farouche. Un groupe se dirige vers nous, et après nous avoir fouillés rapidement et enlevé les couteaux que tout marin possède, nous laisse à la garde d’un des commandos. .

Je repère vite que c’est un polynésien et engage la conversation, faisant état de mon passé dans le pacifique. Il me dit être de Nouméa et nous nous trouvons vite des gens et des lieux connus en commun. Son visage s’éclaire et il se détend. .Je lui demande de quel commando ils sont « Jaubert » me répond il. J’éclate de rire, devant son étonnement Je luis dis que c’était mon commando en Indochine. Il reste muet. .

Un gradé trapu s’amène et demande si tout va bien, le gras lui chuchote à l’oreille. Je vois que l’autre accuse le coup.
–  » Tu étais à Jaubert, quand ça ?  »
–  » Indo 53-54, patron !  »
– « Qu’est ce que tu fous dans ce cirque ? « demande t il. Comme vous, je gagne ma croute! » il hausse les épaules et me fait signe de le suivre. .

Nous rejoignons un quatre galons, qui doit être le patron. Il lui parle en aparté, le type se retourne et me toise sévèrement. Il consent à me demander si le bateau est clair. Je le rassure, les cabines sont vides et ouvertes, je ne vois pas ce qu’on pourrait cacher. .

Ils ont quand même trouvé une ou deux portes fermées, l’équipage allant à terre a crut que bon de fermer celles qu’ils occupent. Des coups violents nous parviennent, accompagnés de cris. .

Je lui fais remarquer que la, porte du chef est ouverte et toutes les clés du bord sont au tableau. Il pousse une gueulante il a. l’air d’avoir du mal à. régler son ballet. .

On m’oublie, j’en profite pour ramasser quelque affaires déjà sorties de mon sac préparé à. cette éventualité. Je monte à la cabine de Boby, devenue le bureau des gendarmes comoriens le poste de radio de Boby est déjà dans un sac de plastique, l’adjudant est à tu et à toi avec le Capitaine. Ils sont censés nous interroger. Un Jeune lieutenant fait la gueule en me voyant c’est un ami d’enfance de ma femme, et il est venu vingt fois chez moi quand je vivais ici.
Très embarrassé, il fait semblant de ne pas me connaitre, quelques mots en comorien achèvent de le désarçonné et il se retire.

Ca tourne au gag, en bas ça brasse de l’air, ils ont trouvé une boite ce munitions de 9 mm dans l’ex cabine de Garcia. .

Les comoriens font leur marché. .

Mon sac, vidé de son contenu est à l’épaule d’un commando, je tente de le récupérer, mais il me demande autre chose pour ramasser les objets suspects, je pars à la recherche d’un sac. .

Je ne reverrai jamais ce fichu sac et son contenu; Ca se calme un peu, on sort sur le pont.

Nous allons être transférés sur la frégate. Je demande à saluer notre équipage, les gars sont consternés, ils n’auront pas eu leur boulot longtemps. Le bosco m’embrasse, et les autres se pressent pour me serrer les mains. Les commandos ont l’air un peu gênés. Un grand me lie les mains derrière le dos en s’excusant, puis nous sommes jetés dans les zodiacs comme des sacs de patates; nous arrivons le long du bord de la frégate, le bastingage est plein de marins avides du spectacle. On ne capture plus beaucoup de pirates de nos jours, j’imagine la relation de l’aventure dans les familles au retour.

J’ai du mal à grimper l’échelle qui bouge avec les mains dans le dos et la casquette dans les dents. J’entends une voix indignée dire
–  » mettez lui sa casquette bordel !  » Un humaniste ?

Sur le pont nous sommes escamotés par une porte et conduit dans un local, je hume l’odeur si caractéristique du bateau de guerre. Boby est emmené, on nous délie les mains, deux gars me gardent en devisant dans la coursive, pas d’animosité dans les regards, plutôt de la curiosité.

Je passe ensuite dans un bureau exigu, déjà bien encombré de classeurs métalliques et de petites tables. Un petit rouquin à l’air chafouin, qui porte des galons de capitaine me jette un coup l’œil de flic, mais c’est un grand lieutenant-colonel, au physique de garçon boucher qui me prend en main.

Nous sommes aux mains du COS, commandement des opérations spéciales, une des nombreuses innovations dont les militaires ont le secret en temps de paix. Ses membres ne portent que des insignes de grade, mais celui là sent sont gendarme à dix pieds.

Ma vieille valise traine là, baillant des suites des fouilles successives. Le pire est que je l’avais abandonné, et je me demande ce qu’il peut y avoir dedans. Un carnet d’adresses et de téléphones, maintes fois raturé semble être la prise majeure, la grande feuillette avec un air rageur, zébrant de crayon rouge. Il y a de tout là dedans, même des mecs morts. Je suis du genre conservateur. Il va nettoyer ce nid de vermine, me dit-il, l’interrogatoire est incohérent il de me montre une photo d’un des gars. À peine reconnaissable, dont je ne vois pas l’intérêt.

L’autre fouille dans des listes dactylographiées et souligne selon mes réponses. Il tombe sur un livre trouvé dans la valise  » un anglais au Brésil  » et le jette en disant d’un air supérieur,
–  » et mytho en plus « 

Cet imbécile ne connait ni Fleming ni l’ouvrage connut pour être un classique de la littérature d’aventure anglo-saxonne.
D’après ce que je peux comprendre, il ne croit pas que nous soyons venus ici en faisant le tour de l’Afrique. Il persuadé que nous disposons de moyens beaucoup plus puissants.

On vire au plus personnel,
– « t’es marié ? »
– « Oui, avec une fille du pays » ils lèvent la tête ensemble
– « ah oui, je vois, vous aimez le boudin noir vous autres, vous êtes des bourreurs »
– « où elle est ? » fait le rouquemoute à gueule de fouine
– « en France, elle bosse » je d’éclanche des petits rires gras,
– « elle fait la pute ! » Il commence à me courir ce con, je riposte
– « si vous connaissiez le pays, je vous expliquerais » il écrase,
–  » qu’est ce que t’es venu foutre ici ? »
– « Je navigue, et ici je suis chez moi : tout le monde peut pas en dire autant. »
L’allusion ne lui plait pas, il change de ton.
– « Ferme là et joue pas au dur, sinon on te refile aux commandos, ils vont te ramollir ! »
– « Ca, ça m’étonnerait, j’ai porté le béret avant eux, et ils le savent déjà  » ils se regardent et ne disent rien.
– « Alors, tu n’as rien à nous dire ? »
– « Vous en savez plus que moi, et si je vous disais ce que je pense, ça vous plairait pas »
– « Tu es un ancien à Bob, tu ne vas pas nous dire que tu ne sais rien ! »
– « Vous l’avez Denard, allez l’interroger ! » un capitaine est entré, beau brun, à gueule de maquereau, il me lance:
– « de toutes façons vous allez tous prendre trente ans de taule, vous aurez le temps de penser  »
– « vous savez, j’ai pris mes soixante piges, je finirai aux cuisines, ou à la plonge »
–  » monsieur fait de l’humour, on verra ça plus tard ! »
– « Vous voulez que je tremble ? Les Viets y sont pas arrivés, alors arrêtez votre cinéma »
Ils ferment leurs gueules, je doute que l’un d’entre eux ait f ait une vraie guerre, et ce genre d’argument les emmerde.

Ils sortent, un militaire me colle des menottes et conduit dans un réduit proche. On doit être sur l’avant, ça sent la peinture et l’huile chaude, je suis amarrer à un tuyau, très serré et le plancher est en pente, je suis obligé de me caller les pieds dans une cornière pour ne pas glisser. De la porte ouverte, je vois l’enfilade d’une coursive. Je n’ai plus une bonne notion du temps et je crève de soif.

Une équipe de commandos se pointe, l’air curieux, on me tend une bière, du menton je montre mes poignets entravés, l’un d’eux me libère, « tiens l’ancien, bois un coup ! » j’avale la boite en deux longues gorgées. Les questions fusent, est-ce que j’ai connu un tel, mon grade, mon nom, où j’étais en Indo etc. Je connais ça, les jeunes sont toujours avides de souvenirs avec les anciens, et avec moi, ils ont une pièce rare sous 1a main. Leurs anciens ont du les saouler des exploits passés. Pas un mot de travers, tous déférents, et amicaux, le traitement que je subis n’a pas l’air de leur plaire. L’un d’eux est revenu avec deux antivol de vélo, et me bricole les menottes pour que Je puisse bouger, il me les boucle au ras du sol en s’excusant et me laisse une autre bière, un second me dit « si tu as besoin de quelque chose appelle, l’infirmier est de chez nous, au bout de la coursive » ils s’en vont
-« merci les gars ! ».

Je reste le cul sur la tôle, à téter ma bière. Une tête de lutin apparaît au bas de la porte :
– « Boby, qu’est ce que tu fous ? »
–  » Ca gaze boss, il me montre ses mains libres, ils m’ont filé un casse-croute, je crois qu’ils vont nous débarquer  » il a du sang séché sur la nuque.
– « Ils t’ont tabassé ? »
– « C’est rien je te raconterai  » et il se taille.

C’est le grand « garçon boucher » qui lui a tapé la tête dans la cloison, en lui disant
– « les petits, |je les écrase ! »
Manque de pot, les cloisons sont hérissées de tête de boulons.

Un deux galons marine se pointe, un toubib à lunettes, bonne tête.
– « Alors l’ancien, pas de bobos ? «
Je deviens célèbre sur ce navire, il me tâte le front, me prend le pouls, j’ai chaud,
– « tu fais du palu ?  »
– « Comme tout le monde dans le pays  »
Il me donne deux cachets et me laisse une bouteille l’eau.

Je commence à somnoler, quand un civil en veste reporter et un marin se pointent, amicaux, une raison de plus pour se méfier. Ils me posent quelques questions sans intérêt et se tirent les guindeaux se mettent en marche, puis les moteurs, ça dure une demi-heure, on a du changer de mouillage.

Des mecs, me séparent de mon tuyau et nous montons sur le pont. Je me retrouve avec Boby, le chef et Criquet. Ces deux derniers n’ont pas l’air très frais. On nous enlève les pinces, pour descendre une échelle, c’est plus pratique. Nous prenons place dans un zodiac, les marins sont moins tendus, l’un d’eux me tape sur l’épaule en rigolant et me dit
– « ça va Bosco ! »
Je suis plus connu qu’Alain Delon ici.

En définitive, le bateau est toujours â la même place, avec le fond le fond qu’il y a ici, il devait chasser sur ses amarres. Nous filons sur notre bateau, j’ai l’espoir fugitif, qu’ils nous y ramènent.

Mais nous débarquons le chef, car ils ont l’air d’avoir des problèmes pour mettre quoi que ce soit en route. Je fixe Boby, qui ne bronche pas. Je suis sur qu’il a switcher sur un contact général et foutu le truc à la mer, ils ne sont pas sortis de l’auberge.

Il y a toute une armada de canots au pied de la coupée, et ça fourmille de monde. L’équipage à du être débarqué, car je ne vois pas de têtes connues, si ce n’est Fantômas accoudé à la lisse qui s’évertue à ne pas nous voir. faut-cul !

On nous rend le chef, et nous fonçons vers la terre, nous beachons sur la petite plage d’Itsandra les marins nous débarquent avec ce qui reste de nos bagages, et nous remettent aux bérets rouges ceux là croient encore faire la guerre. Nous grimpons devant l’hôtel (2) et embarquons dans un 4×4 les civils européens regardent, massés devant l’entrée. Un barbu s’avance et de demande en anglais si nous sommes des mercenaires. Je réponds que sous sommes des marins. Un des paras le vire sans ménagement. Nous roulons vers le nord, un para a. chaque coin du bahut, nous au milieu, si un mec pète, est tous morts, le long de la route les civils comoriens nous font des signes.

Arrivée à Voidjou, le petit camp, qu’ils appellent l’École de la Gendarmerie, tu parles! Ca grouille de militaires français. Re-fouille, je ne sais même pas ce que j’ai dans cette sacrée valise. On me confisque mon petit opinel. Un grand commandant semble être le patron, nous passons derrière des tentes, il y a au moins deux compagnies, et entrons par l’arrière d’un bâtiment. On se le partage avec les paras. Une grande salle ou nos infortunés « guerriers » sont rassemblés. Nous sommes accueillis par une ovation, les plaisanteries fusent, c’est con, mais ça remonte le moral. Nous sommes entourés, congratulés, interrogés, je réponds que j’ai fait, et Pierre, le belge se met aussitôt à me faire chauffer une des boites du menu militaire. Ils bouffent comme les soldats. On essaie de se trouver une place.

Le chef nous confie que le bateau est sans dessus dessous et est pillé par tout le monde je ne lui demanderai jamais ce qui lui a prit le soir de sa « baignade », Boby lui assure qu’il à eu du pot, la nuit les requins chassent devant le port.

Première nuit de prisonnier, passée sur un carton, il n’y a pas assez de châlits, en plus, il fait frais, on échappe au moins aux moustiques, je trouve une place près de richard et de l’indien, Boby est juché sur un châlit dans un coin et se livre a des facéties peu dignes de son état, moral inattaquable ! Nos biens matériels sont réduits à leur plus simple expression, nous avons été totalement pillés. Les autres avaient leurs bagages en sureté, et après la fouille ont à peu près tout sauvé. Je traine d’un groupe à l’autre dans mon bermuda crasseux avec mon seul tee-shirt. Nous apprenons les détails de l’opération. Chacun en à une bien bonne à raconter.

Malko et le surfeur se sont bien tenus de l’avis général, J. Pierre s’est blessé tout seul avec un lance-roquette et se ballade avec un énorme pansement a la main. Un des gars est l’hosto la tête en compote et troué de quelques balles, il s’est fait allumer à la roquette. Le grand Dan a perdu un peu de son flegme, on l’a déshabillé à coups de poignard; on l’a regréé comme on a pu. Pépette fait grise mine et ne tient pas la grande forme.

Je suis appelé plusieurs fois, un colonel avisé de mon ancienneté est persuadé que je détiens tous les secrets du Vieux. Ils cherchent le fameux téléphone satellite, moi qui ne l’ai jamais approché, je lui suggère de voir du côté des marins.

Les gendarmes comoriens doivent nous auditionner, comme ils ne maitrisent pas leur machine à écrire, et que les subtilités de l’orthographe semblent embryonnaires, un simple relevé d’identité dure une demi-heure. À ce train, on est là pour six mois. On se demande à quoi sert la coopération militaire qui coute si cher aux contribuables. .

On a aussi droit à la séance de photos, avec caméscope, pour la voix, chacun y va de son numéro noir de muet ou de clown.

Nous disposons d’un espace ceint de barrières sous les arbres, devant notre geôle, une garde des paras, le fusil automatique à, la saignée du bras rôtit au soleil, essayant de garder des visages de marbre. On va aux douches et aux chiottes par convoi de quatre ou cinq, toujours encadrés de gardes.

Nous apprenons qu’un groupe de « rebelles » a prit le maquis avec armes et bagages et comme certains d’entre nous connaissent les lieux et les gens, ils se méfient un peu, on ne prête qu’aux riches! En plus, un de nos gars a son frère sous-off chez les paras. .le commandant lui accorde une entrevue et nous demande de rester discrets. On en saura pas plus.

Malko nous fait la meilleures, ce redoutable homme de l’ombre, est en réalité soudeur dans une usine, et a profité de ses congés annuels pour se faufiler dans ce mauvais safari exotique. Comme le temps passe, il a peur d’être en retard au boulot. Il a donc envisagé de demander une sorte de décharge aux militaires, pour se dédouaner de son retard auprès de son patron. C’est du délire dans la piaule, on imagine la tête de son boss, quand il va recevoir ça!

Selon ce qu’on a pu savoir, nous sommes détenus dans le cadre d’une opération militaire. En attendant le va et vient continue, gendarme de choc au regard haineux, galonnés de tous poils, diplomates de chiotte, à l’air affairé du civil furtif, comorien craintif rallié de justesse, c’est un balai de voitures incessant.

Sur la route, derrière les grilles, il y à en permanence un piquet glandeurs, fins observateurs qui ne quittent leur poste que pour aller disperser des nouvelles déformées un peu plus loin.

Malgré l’incertitude, de notre sort prochain, les gars s’organisent et s’occupent comme ils peuvent. Les militaires, ne pensant qu’à une chose, se débarrasser de nous. Ils ont autre chose à faire, que de garder une bande d’olibrius telle que la notre, qui en plus, on l’air de s’en foutre. Une bonne partie du 2ème R.P.I.Ma venu de La Réunion est là. Le Commandant X (3) est notre mentor, porteur l’un grand nom, cet officier mérite le respect, ferme mais humain, il fera tout ce qu’il peut pour faciliter notre séjour forcé. De toute façon, ses hommes sont du même régime. Les seules informations fiables qui nous parviennent le sont par lui.

Le surfeur, qui s’est fait raser la tête, manipule l’ironie avec brio, et arpente les lieux en tenant des propos anarchistes. J’ai fait connaissance des deux « repéreurs » arrivés avant nous l’un d’eux est suisse, leur comparse, la femme peintre est cloitrée avec charlotte dans un local voisin. Charlotte, qui s’était noyée dans la nature, mais les fins « limiers » des services l’ont ramenée dans le troupeau. Le toubib erre de-ci delà, essayant de faire rire avec ses blagues éculées, sa côte est tombée. Il n’a rien trouvé de mieux que de demander asile à l’ambassade de France, quand le cirque à commencé. Gardé une journée, on l’a, lui aussi remit dans le lot. Les purs et durs lui en veulent, mais vraiment, il n’avait rien à foutre dans une telle histoire (4). L’amertume est générale, car le coup avait réussit, et sans victimes. La France y gagnait de toute façon, puisque l’éviction du vieux Djohar était programmée depuis un moment.

Ce numéro de singeries militaires, paraît bien superflus à vos poches, contribuables français

Un couple de messieurs bien mis, et porteurs de sacoches, serait probablement arrivé au même résultat, et à moindres frais. Les baisés comptez vous ! Ce dont nous commençons à. prendre conscience, c’est d’être passé près du grand saut. Car plus on en apprend, par les indiscrétions diverses – nous n’avons pas d’ennemies – il semble que l’élimination physique de Bob et sa bande et aurait arrangée pas mal de gens. Le plomb coûte moins cher qu’un procès, et les morts ne parlent plus.

Le vieux malin en gardant les journalistes avec lui dans Kandani, a sûrement sauvé sa peau, les dits journalistes, pour une fois, de notre côté, ont pu se faire une idée concrète de la manière d’écrire l’histoire. Il suffisait d’être du côté, ou on se fait flinguer sans répondre. Ce n’est pas du à tout le monde !

Le vieux Djohar aussitôt escamoté, est parti à La Réunion, pour « raison médicale ». Pourtant il se portait très bien quand Pierre, le belge le gardait. Il lui avait dédicacé un Coran, dans lequel il le remerciait de sa parfaite correction et de son affabilité. Exemplaire aussitôt confisqué par la cellule de « barbouses », ça la foutait mal, si en plus d’être vivant on passait pour des gens convenables, où allait on ? Le belge a fait un tel bordel, qu’ils ont fini par lui rendre son Coran.

Godver Dam ! plus le temps passe, plus nous nous apercevons que tous ces gens sont bien emmerdés. C’est sur que mort, on les arrangeait mieux. Le Comandant X nous confie que pour sa part, il nous laisserait bien aux comoriens, mais il à l’impression que nous serions les patrons très vite. Et ça, ça serait plus du jeu ! Le premier ministre est toujours dans l’ambassade, courageux, mais pas téméraire, et les français l’ont sous la main. Il a déclaré une amnistie générale pour la troupe et les civils qui ont rallié le putsch. Il a bien fait, et je doute qu’il garde son poste encore longtemps.

Les comoriens cherchent partout la liste des expulsés de 1989, et le décret qui s’y rapporte. L’interdiction de séjour frappe la dizaine d’anciens dont je suis, alors que j’étais rentré en France plusieurs mois plus tôt. Le comble, c’est que le traité passé entre les Comores et la France en 79, en cas « d’agression extérieure » l’a été sur l’instigation de Bob. De toute façon, dès que quelque chose bouge ici, les Français rappliquent. Bravo pour la souveraineté.

J’ai refusé de reconnaître que j’étais entré sur le territoire des Comores illégalement. Je m’en tiens à la version de « l’enlèvement » à bord de mon bateau, par des gens armés, sans signes distinctifs, menotté, puis interrogé par des – gens qui ne se sont – pas identifiés, j’ai été débarqué sous la menace des armes sur une plage et détenues, ça ne vaut peut être – pas grand chose comme argument, mais c’est la vérité ! Ça les emmerde, c’est déjà ça. Seul Criquet est prêt à avouer qu’il a tué Henry IV, il se voit déjà dans un stalag tropical. L’indien ne décolère pas et parle d’en appeler à Amnistie Internationale, tout le monde se bidonne, une voix lui lance :
–  » écris à la mère Mitterrand ! »
Nouvelle rigolade générale. En bref, ça phosphore dur, mais tout le monde est dans le flou. A part subir, on ne pet pas faire autre chose.

Des lignes téléphoniques sont à notre disposition pour prévenir nos familles, peu les utiliseront, encore une combine pour voir si un gros malin lâche un gros secret. Criquet en revient larmoyant, dans l’ensemble, les gens prennent tout calmement. Les plus jeunes sont un peu inquiets, se faire tuer ou blesser, ils l’admettaient, mais ce genre de final, ils n’y pensaient pas.

Ce jour la donc, deux gendarmes français se sont fait prendre à proximité du camp de Kandani et y ont été ramenés sans ménagements. L’un deux, plus très jeune et en condition physique moyenne a fait un malaise accompagné d’une douleur thoracique qui pouvait passer pour un infarctus, il n’était pas possible de le traiter correctement dans ces conditions, nous avons donc décidé avec le Colonel de l’évacuer vers l’ambassade et je l’ai donc accompagne pour qu’il soit pris en charge sans délai. C’est dans ses conditions que j’ai quitté le camp et je n’ai donc pas abandonné l’équipe (comment imaginer que j’aurais pu partir du camp sans accord!). J’ai ensuite été fait prisonnier et emmené sur le Floréal ou j’ai passé 24h à fond de cale dans les mêmes conditions que les autres.
Dans la confusion qui régnait ce jour là je ne sais pas si d’autres se souviennent de cet épisode. »
Le médecin O.F.

Le seul souci qui parait régner parmi nous, est de savoir si les payes sont tombées. L’histoire de la fameuse prime en cas de succès, donne lieu à des débats, l’objectif ayant été atteint, le reste n’est pas pris en compte. Ils laissent ça aux politiques.

Déjà des slogans retentissent (5)
– « Juppé, la prime » car il ne fait aucun doute que la France est derrière cette affaire.
– « Juppé enfoiré, maintenait il faut payer ».
Je ne suis pas certain que l’intéresse soit décidé à céder à ce type de pression.
Il faut voir la tête des gars, ils doivent se demander à quoi on joue, et leur rôle dans tout ce micmac.

Le colonel Kister, si c’est son nom, semble être l’homme « affaires ténébreuses » sur place il affecte un air affable et souriant, et nous rend visite souvent, discutant avec les uns et les autres, sans doute pour en savoir plus. Le fait que le « coup » se soit fait sans bavure, et qu’il en soit la victime, n’a pas l’air de l’affecter outre mesure. De là, à en faire un complice est un sentiment acquit chez la plupart d’entre nous. Il aurait été dans le coup du Rainbow Warrior ce qui déclenche une nouvelle fois la rigolade. Les gars l’appellent le roi des « coups foirés». Il y gagne une place dans les inscriptions dont les gars ont entrepris de couvrir les murs  » Colonel D.G.S.E. cherche place gardien de square petit salaire accepté. Expérience. » On peut aussi lire: « rendez nous not bâto »,  » je veux des fâmes » ou plus enragé, « je réclame l’asile politique aux Comores », ce qui montre à tous que les gars n’ont pas perdu leur tonus. Les paras se marrent et leurs cadres photographient nos « dazibaos » avec malice.

D’ailleurs la tension est un peu tombée, nos gardes sont plus détendus et les conversations s’échangent en aparté. Consignes obligent ! Par un jeu de savantes combines et de diplomatie inavouable, nous réussissons à commander un repas digne de ce nom, à un commerçant indien ami. Le Commandant X veut bien se charger de nous le faire parvenir. Ce soir là, c’est la fête : langoustes, plats locaux, prisés par les anciens, fruits et légumes frais, notre « cantinier » à même fait passer une bouteille de pastis, vu le nombre, on ne risque pas la cuite, mais l’intention compte plus que tout.

Notre affaire semble réglée, le principe de notre expulsion est acquit, mais les modalités de transport et l’itinéraire pas encore fixés. Le Colonel du 2ème Para(6) est venu nous parler. Un petit mec à la tête de gascon, il nous assure que les choses progressent, et que nous n’avons pas à nous biler. Nous partons demain. Nous serons remis au G.I.G.N. pour le transfert on nous prévient que ça risque d’être moins agréable avec ces messieurs. On s’en doute un peu ! C’est la dernière nuit, nous sommes ici depuis une dizaine de jours, les bagages sont faits; Ma valide est plate comme une joue de morue. Il me reste pantalon, une chemise, et mon blouson de quart.

Nous poirotons une partie de la matinée, puis des minibus nous conduisent sous bonne garde à l’aéroport. Le Commandant X nous demande de garder notre calme avec les gendarmes, il doit savoir des choses que nous ignorons. Direction le hall d’honneur, que j’ai vu construire.

Nous y sommes introduit un à un, et sommés de nous mettre à poil, c’est bien la première fois que je fais ça, dans une aérogare. On me confisque trente centimètres de ficelle restée dans une poche. Les regards sont haineux, les gestes brutaux, on sent qu’ils sont frustrés de quelque chose, et tout le monde sait quoi parmi nous.

Invités à aller se soulager la vessie sous le regard noir d’un « Famas » nous sommes regroupés et acheminés auprès de l’avion qui porte l’inscription « République Française », quelques comoriens qui trainent plus loin font les signes discrets vers nous. On embarque un par un, et sommes menottés à nos sièges.

Le personnel volant est militaire, plein de morgue et désagréable. Ca traine un peu, apparemment les types du G.I.G.N. embarquent leur matériel. Didier, notre blessé, la tête enrubannée, les bras bandés, est à l’arrière, cadenassé également, on ne sait jamais ! Ca roule, je regarde le paysage que je connais par cœur, j’en ai plus rien à foutre. Essayons de dormir.

A Paris, il pleut à dégueuler, nous avons roulé un moment et finit par stopper dans une zone de hangars, nous devons être au Bourget. Lumières glauques, gendarmes, C.R.S. Civils et militaires tout ce qui représente la loi est là ! C’est sur que le temps de la rigolade est bien finit.

Avant de sortir de l’avion, un quarteron de gendarmes comoriens en tenue d’été, sort de derrière un rideau, telles des marionnettes. Ils sont là pour nous signifier notre expulsion des Comores, nous devons signer, je refuse en faisant remarquer que j’ignorais que la frontière comorienne s’arrêtait au Bourget. Le mec n’avait – pas prévu ça et reste comme un con.

Le gendarme français me propulse dehors sans ménagement. François qui me suit leur conseille de mettre sous clé, tout ce qu’ils ont volé, car nous allons revenir le chercher. Ils doivent regretter d’être venus.

Refouille, menottes dans le dos, un gendarme par tête de pipe. Nos bagages sont là. On nous les fait reconnaître.

Pierre le belge et le Suisse « repéreur » sont invités à prendre leurs bagages et à embarquer dans une voiture. Nous apprendrons plus tard, qu’ils ont purement et simplement été reconduit à leurs frontières respectives, sans autre procès. Pierre fera du stop de pour regagner Bruxelles. Ah! Si je pouvais être belge ou suisse.

Pour nous, c’est autre chose. Un lot de gendarmes installés à des tables improvisées nous informe de notre mise en garde à vue. Fouille, les deux joyeux drilles Garcia et le « tueur » sont escamotés par une petite porte et rejoignent la cellule qui les attendait.

Après un petit temps, nous embarquons dans les fourgons, menottés dans le dos, j’ai le nez sur la cloison, et juste la largeur d’épaule, pour tenir dans ma cage. Dehors les ordres se croisent. J’entends « le RAID » derrière, il doit y avoir au bas mot deux cents mecs pour nous convoyer. Les portières claquent, les moteurs ronflent, ça gueule encore, puis nous partons; La colonne s’ébranle à grand renfort de sirènes et de klaxons; Je perds la notion du temps, je n’essaie même pas de me repérer géographiquement.

Ce voyage d’halluciné, finit dans ce qui semble être une cour de caserne. Des gendarmes partout. Mis à part qu’ils m’oublient dans le fourgon, ce n’est pas croyable, et que j’ai une furieuse envie de pisser, tout va bien.

Nous sommes tous confiés à un gendarme chargé de nous auditionner. Petit bureau exigu, le mien de gendarme, à une tête de père de famille, un mobile, le Famas à la main, la fesse sur un classeur, ne me quitte pas des yeux. Je ne – me croyais pas aussi redoutable.

Relevé d’identité, ma valise arrive, je demande à changer de chemise, accordé, ils n’ont pas l’air trop con. Le chef – me dit, « alors on y va ? » Moi, encore abruti,  » on va où ? » Ils se regardent, se demandant surement sur quel taré ils sont tombes.  » Tu me racontes ta vie, c’est simple! « Mais ça risque d’être un peu long. »  » On a tout le temps  » me fait-il. Et c’est ce qu’on a fait. Depuis le début, ils se marrent bien, je raconte pas mal.

Le G.M. Fait la navette avec les gobelets de café. Vers deux heures du mat, peut être, le gendarme à la machine pousse sa chaise, se gratte la tête, et me dit
– « on arrête là ».

Cette fois Je n’ai plus du tout la notion du temps. Je retrouve le Surfeur et Malko dans le couloir, on part au fourgon, cette fois pas de menottes, gyrophare, sirène ça repart.

Encore une caserne: cinquième étage, un dortoir, des lits picots, certains des copains sont là on nous amarre au lit, plateau repas type gendarme. payé C’est pas avec ça qu’ils vont faire du cholestérol les pandores. Boby est près de moi, on échange nos impressions, le toubib est là aussi, un peu plus rassuré. Un paquet de mobiles gardent l’entrée mais on peut aller se raser et il y a de l’eau chaude. Dormi un peu, on ne sait pas si il fait jour, il n’y a pas de fenêtre.

On repart, Boby est avec moi. Direction le confessionnal. En sortant je peux voir la statue de la République, je sais où nous sommes, c’est mon quartier d’enfance.

Je retrouve mon gendarme breton, rasé de frais, prêt à écouter mes salades. Le G.M. est là aussi, ce n’est pas possible, ils dorment jamais ces mecs ! Incidemment, j’apprends que nous sommes à l’état-major de la gendarmerie.

Je repars dans mes souvenirs; l’Indo, les bateaux, l’Algérie, les requins, le cacao, le Brésil; ils en peuvent plus les pandores. De temps en temps il part se dégourdir les pattes, dans le couloir, je l’entends- dire a un de ses collègues, « le mien c’est Robinson Crusoe ».

Le Surfeur fait des siennes il chante des psaumes, ricane et raconte n’importe quoi. « Son » gendarme est prêt à craquer.

Bien que le bureau soit petit, il me laisse fumer ma pipe, le plus vieux râle que ça pue, ouvre la fenêtre, mais me laisse fumer. Je suis tombé sur des braves types. Je sors comme, je peux boire de l’eau dans le couloir.

Pour l’épisode récent, il s’étonne que Je n’en sache pas plus, moi, un ancien a. C’est les origines du fric qui a permit l’opération qui des intéressent. Je glousse, « ancien ou pas, vous connaissez pas Denard, dès qu’il s’agit de poignon, il est comme une huitre.

Ca touche à sa fin les confessions, un gros capitaine se pointe, me tape sur l’épaule et dit  » Alors, ça va bosco ? » je suis vraiment un – peu trop célèbre à mon goût.

Un toubib se pointe; c’est le règlement, personnage désagréable qui me pose son stéthoscope sur la chemise, griffonne un formulaire et s’en va. Je ne suis pas sur qu’il m’ait vu.

Il me faut maintenant un avocat, encore le règlement, le gendarme part en chercher un, et revient avec une frêle jeune fille au nom imprononçable, elle prend quelques notes et se retire. Avec ça je vais pas – grever le budget de la justice.

J’utilise « mon » coup de fil pour avertir ma femme de ma présence à Paris. Elle ne s’étonne même pas. La télé …

Pendant la pause qui suit, le gendarme me dit son sentiment sur cette affaire, tout ceci s’est fait dans un bordel hâtif ou la légalité est loin d’avoir été respectée.

Il me fait comprendre que s’il y a des gens à interroger, il faut monter un boulevard plus haut. Allusion perfide et gratuite à’ l’endroit où gitent les « services ». De plus, d’après ce que je peux saisir de conversation entre eux, il semblerait qu’ils soient méfiants sur ce coup, et se seraient couverts par des ordres écrits auprès de leur hiérarchie. La confiance règne !

Nous devons être transférés au dépôt et présentés au juge. Je signe des papiers à tour de bras. Refouille, je vide mes poches, je sors mon fameux plastique de poche arrière, carnet de marin, fric, ils sont tout surpris que j’aie encore ça sur moi.

Le téléphone sonne. Le chef écoute et me dit;
– « je crois que ça s’arrange toi ! »
On parle de choses et d’autres, le GM. m’a prit à la bonne, ça les emmerde que j’aille au trou. Je suis bien de leur avis, le gendarme met de l’ordre dans sa paperasse.

Re-téléphone, je suis sur le bout des fesses.
– « Oui mon capitaine, bien, à vos ordres ! ».
Il se tourne vers moi, avec un sourire,
– « tu es libre Bosco ! ».

Je respire à fond. L’autre me dit;
– « je suis content pour toi ! »

On me rend mes petites affaires, je signe encore des papiers, le chef me montre la pendule, il faut que tu attendes un peu, il y a une heure légale » on aura tout vu ! Je passe aux lavabos faire un brin de toilette, le temps passe, on parle encore, c’est long.

Le « mobile » remet son « Famas » sur l’épaule, et me serre la main,
– « bonne chance Bosco ! ».

Le chef me conduit à travers le dédale de couloirs, la fièvre est tombée, des gendarmes se marrent et me souhaitent bonne chance, le chef me lâche au poste de garde, côté boulevard cette fois, il me dit discrètement,
– « les autres seront relâchés probablement demain, si tu veux prévenir tes amis » (7).
Il me serre la main et me tape sur l’épaule, la porte s’ouvre, je franchis la grille.
Je suis sur le boulevard, il pleuvasse, la nuit va tomber, ça pue, la circulation semble ne s’être jamais arrêtée, mais je trouve ça au poil.

Charlotte m’arrive dans le dos,
– « eh, Bosco ! » elle m’embrasse.
– « Salut, je me tire en Thaïlande, à la prochaine ! ».
Ses parents l’attendent, tronches d’enterrement ;
– « Salut Charlotte, buena suerte ! ».

Dans la foulée, le grand Dan se pointe lui aussi, toujours cool,
– « t’as pas une tite soif Boss ?  » .

Nous filons au bistrot le plus proche. La vie continue.

Encore un coup au palmarès, mais comme à dit le Vieux, la dernière fois qu’on l’a vu,
– « Celle là on me l’avait jamais faite ! »

Les temps avaient changés, on n’avait pas du s’en apercevoir, il fallait se réveiller. Cette fois, on était passé près! On gênait avec nos singeries d’un autre temps, déjà qu’on n’avait pas bonne presse, si en plus on se faisait remarquer ! Les règles du jeu étaient plus les mêmes, on nous avait pas prévenus. Et pourtant, depuis le temps que ça durait, la piste était longue, en tout cas pour moi, drôle de kharma. Pourtant, j’avais l’impression que c’était hier que cette histoire avait commencée, c’est court une vie !

 

(1) Le bateau sur lequel nous avons fait le “voyage” avait été baptisé « Vulcain » une fois réarmé à Rotterdam et rebaptisé « Karthala » , à la hâte, une fois arrivé à destination.
(2) Il s’agît de l’hôtel Itsandra aussi appelé « le touristique » situé à la sortie Nord de Moroni. Il surplombe une petite plage de sable blanc (NDBureau)
(3) 10 ans plus tard, en 2005, je me trouvais dans un restaurant de N’Djamena (Tchad). Je vois un grand type costaud en civil mais immanquablement un militaire. Je le reconnais, c’est le Commandant Foch, puisque tel est son nom. J’accroche son regard, nous nous observons un temps. Je vais pour quitter le restaurant, je m’approche de sa table ; bonjour, vous êtes le Commandant Foch ? Colonel Foch (il avait pris du galon) oui, nous nous connaissons ? Et bien on s’est croisés aux Comores en 95. Ah bon et que faisiez vous là bas me demande t il ? Je ne sais plus, mais vous m’avez mis en prison ! Explosion de rire, nous avons pris rendez vous et dîner ensemble le lendemain. Effectivement un bon souvenir de cet officier (JPK).
(4) Précision du médecin dont il est question : « Le jour de l’intervention française Bob Denard avait bien précisé qu’il n’était pas question d’un combat avec les forces françaises, j’avais d’ailleurs apprécié qu’avant le débarquement il ait clairement affirmé qu’il ne voulait pas de perte humaine ce qui m’avait décidé à débarquer alors que ce n’était pas prévu dans le contrat qui nous liait.

(5) On entendait également beaucoup  » Chichi balance  » … ( Chichi en référence au Président Chirac ). (Note du Bureau)

(6) Un de nos camarades qui avait servi comme Aspirant Chef de Section au 9eme RCP bien des années plus tôt avait eu le Sergent-Chef Soom (devenu le Lieutenant Colonel Soom, qui commandait le 2ème RPIMa en 95) comme Sous-Officier adjoint dans sa section. Bizarrement, le Lieutenant-Colonel Soom ne s’en est pas souvenu … (Note du Bureau)

(7) Comme Bosco, certains d’entre nous furent remis en liberté après cette audition par les gendarmes. On n’a jamais compris pourquoi. Pour les autres, après une nuit au dépôt de la prison de la santé, nous fûmes présentés au juge d’instruction Chantal Perdrix. Nous fûmes ensuite relâchés à l’exception de 2 de nos camarades qui avaient transgressé le contrôle judiciaire auquel ils étaient soumis. Et on n’entendit plus parler de cette affaire, ou pratiquement pas, jusqu’en février 2006, où plus de 10 ans après les faits, une partie des hommes qui participèrent à l’opération kashkasi, se retrouvèrent sur les bancs du palais de justice de paris. Les détails du procès sur http://www.comores95.info. (Note du Bureau)


A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

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