Comment avez-vous rencontré Bob Denard ?
C’est une longue histoire, je suis Congolaise, née d’un père grec et d’une mère malgache. Ma rencontre avec Bob remonte à la rébellion des Simbas, au Congo en 1965, et que les mercenaires étaient venus combattre. Bob disait des “volontaires”. Mais il s’agissait bien de mercenaires ! A l’époque, il était major. Les Congolais l’appelaient “major Bobo”.
De quel côté étiez-vous ?
Les métis avaient un statut particulier. Les Africains nous considéraient comme des blancs et les blancs nous considéraient comme des Africains. Nous étions un peu comme un ballon de football. Je Pense qu’au début nous avions peur autant des rebelles que des mercenaires. Lorsque les combats se sont rapprochés, ma famille a fui en brousse. notre maison a été pillée. Quand les mercenaires sont arrivés, ils ont tout fouillé. C’est là, m’a-t-on dit ensuite, que Bob a vu une photo de moi. ll a dit à ses hommes : ” trouvez-moi cette fille ! “
Ils vous ont trouvé ?
Les rebelles avaient pris des religieuses en otage, près de là où nous étions cachés . Les mercenaires ont réussi à les retrouver et les délivrer. Mais nous étions encore plus loin dans la brousse. Au bout de quelques semaines,
nous sommes finalement sortis de nous mêmes. Un paysan nous a recueillis. Le bruit a couru jusqu’à Buta. Bob a envoyé une jeep avec un de ses hommes pour venir nous chercher. On a vu arriver les blancs habillés en militaire. ]e me suis cachée sous un lit. Mais les mercenaires nous ont ramené à Buta.
Vous ne vous étiez jamais vus ?
Non ! La première fois, c’était lors d’un défilé pour l’anniversaire de la libération de Buta. Puis, il est reparti à Kisangani. Mais il a proposé de nous faire venir avec une cousine chez une tante à Kisangani. Il a envoyé un hélicoptère pour me chercher ! Comme j’aidais ma tante sur le marché, il venait tous les jours. Mais entouré de quatre gardes du corps. Il m’invitait également au cinéma. A l’époque, je n’avais pas encore perçu sa passion pour les films de guerre. Bref, je suis tombée amoureuse et un soir, alors que j’étais fiancée avec un autre homme, je suis sortie par la fenêtre de ma chambre et je l’ai rejoint.
L’opération au Congo a mal tourné …
Oui. Bob est rentré quelques jours en France, voir sa mère malade. Mobutu qui devait le surveiller, l’accusé d’avoir rencontré a Paris des hommes de Tshombé, qui préparait un nouveau coup d’Etat. Quand il est rentré, les Katangais étaient effectivement en train de préparer un coup d’Etat. Mobutu a envoyé les militaires pour déloger les mercenaires. Bob s’est mis avec les Katangais. Mais, il a été blessé à la tête. Il est tombé paralysé. ]e croyais qu’il était mort. . .
La blessure était grave…
Oui, au bout de deux jours, le médecin a dit « s’il reste ici c’est fini . » Ses hommes l’ont mis dans une jeep, ils l’ont ficelé, lui ont mis un bérêt pour cacher les bandages et ils ont fait le tour de ses troupes pour montrer qu’il était la. Mais tout le monde savait qu’il devait partir. On a pris un avion pour l’Angola. Mais, le pays nous a refusé, nous avons du nous poser en Rhodésie (Zimbabwe, NDLR). La Croix-Rouge nous attendait, ils ont pris les blessés. Les hommes valides ont été emprisonnés. Et le lendemain matin, ce fut le tour des femmes.
Combien de temps restez-vous en prison ?
Quelques semaines. ]e n’avais pas de nouvelle de lui. Alors, j’ai commencé une grève de la faim. L’ambassade de France a fait le nécessaire. Tous les matins, la gendarmerie française m’emmenait à l’hôpital pour le voir. Ca commençait à aller mieux mais il fallait qu’il rentre en France. Lui, voulait retourner au Katanga. Pendant la nuit, il a pris ses béquilles et s’est enfui. On l’a rattrapé et envoyé en France. Moi, je suis restée là-bas. L’ambassade de France m’a promis un passeport français, mais, il n’est jamais venu. ]e n’avais qu’un vrai-faux passeport belge. ]’ai donc pris un avion pour Bruxelles …
Qui vous l’avait donné ?
Devinez ! (Rires)
Et a Bruxelles ?
J’ai passé la douane sans encombre. Mais une fois dehors je me suis dit ; « je vais où ? » J’avais seulement les coordonnées de mercenaires belges, que m’avait donné l’ambassade de France. Ils m’ont aidé. Entre-temps, Bob était reparti en Afrique. Il avait monté l’opération « bicyclette » pour récupérer ses hommes au Zaïre.
L’opération n’a pas été un grand succès et il est rentré en France. Il a envoyé quelqu’un pour venir me chercher : j’ai fait des allers-retours entre la France et la Belgique. Puis, après quelques années tumultueuses, nous nous sommes installés en région parisienne. Il faisait également des allers-retours avec le Gabon, où il avait soi-disant une plantation de tomates. Mais, je ne me plaisais pas beaucoup là-bas.
Que saviez-vous de ses activités ?
Il ne me disait rien du tout ! (rires). Au Gabon, il m’emmenait voir Omar Bongo. Et je me souviens qu’une autre fois, a la maison, j’ai compris au milieu d’un repas que nos invités étaient des ministres congolais. C’est à peu près tout. Quand il a fait le premier coup d’Etat aux Comores, je l’ai appris comme tout le monde, aux infos ! ]’ai dit : « mais c‘est quoi ça ? C’est pas possible, il est censé être en Suisse. » Par contre, le deuxième coup d’Etat aux Comores, je l’ai démasqué. Il avait commencé à faire des allers-retours en Hollande pour équiper un bateau. Il me disait encore qu’il était en Suisse mais quand il rentrait, ses affaires sentaient le mazout. Je lui ai dit : « je vois bien ce qui se trame, tu prépares un coup d’Etat, ne me prends pas pour une gamine ! » Il m’a répondu : « Quand on te demandera, tu diras que tu ne sais pas. » Avant de partir, il m’a dit : « je retourne car j’ai donné ma parole que je ressortirais de prison les Comoriens qui étaient avec moi. » Je lui dis : « Tu ne vas quand même pas faire ça ? » Il m’a répondu: « Bien sur que oui . . »
Il avait pourtant décidé de se ranger à une époque…
Oui. Il avait acheté un garage a Lesparre. Il voulait tout arrêter. Mais, au bout de quelques mois, il m’a avoué: « Cette vie la n’est pas pour moi, je reprends mes activités. »
Quel regard portiez-vous sur son métier de mercenaire ?
Je ne me posais pas de questions, je l’aimais, point. C’était l’homme de ma vie. Au Congo, il me disait : « un jour je t’épouserai ». Nous nous sommes finalement mariés en 2005. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il travaillait pour l’Etat français mais moi, j’ai aimé Robert Denard pas le mercenaire Bob. . .
Sud ouest du dimanche 29 octobre 2017
Recueilli par Yann Saint Sernin