OPS Congo – Le 1 er Choc


 

Les trous d’éléphant font des ravages. « Ils les creusent sur la route et les recouvrent de tôle, de terre de gazon, et ils impriment sur cette couverture des traces de roue. À vive allure, c’est très efficace! »

Dans la jungle, les mercenaires sont souvent loin, isolés, sans hélico d’appui. Cette fois-là, un bazooka, à bout portant a fait sauter une Jeep. Celui-ci a eu de la chance, l’explosion lui a sectionné la jambe, et la brûlure, du même coup, l’a cautérisée. Il tiendra, quitte à ce qu’on le ré ampute ensuite plus proprement. Les deux autres sont morts; on les enterre sur le bord de la route. Deux jours plus tard, au retour, on les retrouve déterrés, à demi dévorés- le foie, le cœur, les jambes et les bras. Nouvelle sépulture. »

« Ici, le respect des morts n’existe pas ».

Le 21 juillet. La tentative des rebelles pour reprendre Buta est féroce. Pendant la nuit, ils se sont regroupés dans la vallée encaissée de la rivière Buta, et, à l’aube, ils ont jailli, et se sont infiltrés jusqu’au centre ville, cachés par les herbes hautes. Ils ne décrocheront que sous le Straffing appuyé de l’aviation, non sans avoir massacré la famille d’Alphonse Mbongoma, un professeur. « Les trois femmes gisent, les crânes éclatés, et les deux enfants ont été tués et mutilés à coups de machette. Deux petits survivants se sont réfugiés contre le corps de leur mère ».

Devant ces atrocités, comment garder le contrôle de soi, maîtriser l’envie de se venger ? Les ordres de Bob, sur ce sujet, sont sans appel : les prisonniers ne seront pas massacrés.

« C’est inutile, dangereux. Bien sûr, il m’est arrivé de flanquer des raclées pour obtenir des informations décisives. De torture, d’horreurs, jamais! J’en ai connu qui auraient découpé des prisonniers en petits morceaux. Je ne le supporte pas. La torture m’est odieuse, aussi bien pour les animaux que pour les hommes. »

Mais il est difficile de les tenir tous. Un jour, en représailles, les rebelles ont massacré des Pygmées. Ils ont été poursuivis, encerclés et capturés à leur tour. Un des Européens, Billois, s’était pris d’amitié pour ces Pygmées, avait épousé une de leurs filles et accomplissait avec eux un beau travail de pacification. Eux le surnommèrent Bwana Mukubwa (Bwana cinq-tonnes). Bwana regarde le camion qui vient d’amener les rebelles simbas.

– Billois, descends-moi les prisonniers! ordonne le major Pinaton.

– D’accord, mon major.

Billois, très calme, ouvre les battants du véhicule, prend sa mitraillette et les descend.

– Tu es con, Billois, gueule Pinaton. Fous-moi le camp avec tes Pygmées!

« Je ne l’ai pas puni. Il avait voulu venger les femmes et les enfants. »

Bob Denard a-t-ils eu conscience que ces Simbas étaient attachés à une idée légitime, la négritude ?

« II suffisait d’ouvrir les yeux. Partout où on passait, les villages étaient détruits, la population décimée. »

Et au désir d’un Congo différent?

«Différent? Pour nous, c’était le communisme, une révolution communiste de plus. Alors, on ne se posait plus de questions dès lors que ces gens étaient dotés d’armes russes et chinoises. »

Buta, Aketi, Rumba, Bunduki. Reste à reconstruire tous ce territoire des Uélés ravagé, anéanti. Dans les villes, façades blanchies, rues dégagées, commencent à affluer par milliers les premières victimes des guerres, les civils. Ils sont malades, ils ont faim: les petits enfants ressemblent à des squelettes vivants. La cadence des avions s’améliore. Les vivres frais arrivent, comme en ce jour du 16 juillet, où les C130, ventru, dégorgent deux tonne de riz, deux cents sacs de poisson fumé et du lait en poudre.

Tschombé, Mobutu, Mulamba se fendent de télégrammes dithyrambiques et de lettres de deux pages. Dans les mains de Bob, une lettre lointaine, modeste, venue du désert, et qui l’émeut bien davantage :

« Nous avons tous appris par la presse tes succès militaire. Tu fais, avec ton groupe, un travail sensationnel, et tu passes un peu pour le réformateur d’une armée de brigands qui finissent, sous toi, par devenir de vrais soldats. Freddy. »

Mais la louange ne va pas sans le fiel. Depuis le Ier juillet, le commandant Bob est major. Une promotion qui fait des jaloux au sein des états-majors. Pour beaucoup, la coupe est pleine. Ou s’arrêtera donc le Français? Faute de Pouvoir critiquer le 1er choc, couvert de lauriers, il faudra bien tenter de démolir Denard en secret – mal gardé d’ailleurs. Les délations anonymes pleuvent sur les bureaux de Vandewalle, de Tschombé, de Mobutu, de Kolamba, l’homme de Mobutu, et même sur celui du roi des Belges! Ne s’agit-il pas là d’une « affaire d’État, capitale pour la Belgique, son renom et la continuations de la présence belge au Congo » ?

Certains stigmatisent l’ambition «effrénée » de Denard. Si Lamouline part, « les Français, qui font tout pour éliminer, certains postes ce qui est belge, sortiront vainqueurs. » Le 6e codo tomberait dans les mains françaises.

« J’ai reçu les renseignements que tu m’as demandés au sujet de Denard, répond à une plume affectueuse à son correspondant gradé, à Léo. Ses états de service sont impressionnants. Certes, il a eu des ennuis avec la justice française, mais pour un attentat contre Mendès France. Tu m’avais parlé d’une affaire de femmes! L’intéressé est célibataire et père d’un gosse d’une dizaine d’années, voilà tout. »

De l’encre d’un autre officier, dont on taira le nom, ceci:

« Il me répugne de critiquer un collègue (sic), mais il serait naïf de ne pas vous faire remarquer que le nouveau venu (sic). Quartier-maître dans son armée d’origine, est à votre service depuis quatre mois et bénéficie déjà de promotions qui nous furent refusées après sept mois. »

Devant ce déluge, Bob Denard a pris le parti du silence. Il est tout à sa « pacification » des Uélés. Il commande en chef depuis Buta et place Karl a Akéti. Cette région est la sienne son secteur, à lui seul. Mike Hoare et son 5e codo, Bondo prise, sont redescendus sur Stan, où, bientôt, les attend une autre tâche: la liquidation de la poche de Fizi-Baraka, à l’est. Le 14e codo, commandé par Tavernier, vieille connaissance de Bob ira dans le Nord-Est tout près da la frontière de l’Ouganda. Après l’effort de mai-juin, l’ANC, essoufflée, marque le pas. Les stocks constitués en 1960, pour faire éventuellement face à une guerre de quatre ans, sont épuisés; on ne dispose même plus du matériel des munitions de première nécessité.

«Rééquiper, recruter, former.» « Tenir et pacifier » Voilà les mots d’ordres. Si l’on tient solidement les centres – treize positions clés autour de Paulis -, les Simbas, eux, tiennent la brousse. Il faut grignoter le terrain, l’occuper, rallier la population. C’est lent terriblement lent.

« Les Simbas s’enfoncent de plus en plus. Les hommes parcours des distances énormes pour trouver des contacts. »

Ce sont les villes qui, les premières, reprennent vie. Le 25 août, Bob se réjouit : « À ce jour, 1100 adultes ont regagné Buta, dont 501 enfant — très peu d’hommes, car la presque la totalité est simba, soit par idée, soit pour toucher un salaire.

Pour « pacifier », il faut se faire nomade, sillonner un territoire grand comme la France, visiter sans cesse Bumba, Akéti, mais aussi les postes de Dulia. Titulé, Lienart, Kumu. Comme Schramme, qui pacifie « son » Maniéma avec son bataillon Léopard, différent en cela de Hoare, plus à l’aise en pompier volant Denard ne veut pas d’histoire inachevée. Tenir avec cent mercenaires et cinq cents Katangais relève de la gageure. Sans illusion sur le recrutement « magique » de «cent types tout neufs » il crée, avec les unités rebelles ralliées, des groupes contre-guérilla, commandés par
leurs propres chefs en échange du pardon.

Je n’ai même pas eu à imposer cette solution. Je l’ai fait sans rendre de compte à personne. Ces gens qui se laissent récupérer sont au bout du rouleau. Comme ils ont coutume de se faire trucider, il y faut de la séduction. Des vivres, par exemple sur le bord la route, D’abord, ils n’y touchent pas, les croyant empoisonnés. Puis on les mange devant eux, et ça marche, car ils crèvent de faim.

Aux rabat-joie, Bob rétorque : « A quoi ça sert d’obliger un officier rebelle arrêté à appeler à la reddition avant de lui loger une balle dans crâne? Après, personne ne viendra. »

Pacification signifie communication. Faute de routes sûres, restent le fleuve et le rail. Un rapide coup d’œil sur carte souligne l’évidence : il faut remettre en marche le train qui va d’Akéti (à l’Ouest) à Mungbéré (à l’Est); près de. 1500 kilomètres. À part cet axe, il y a le fleuve Congo qui permet d’aller de Léo à Akéti et à Bumba, et même arrive à Stan, mais ne dessert nullement l’immense zone des Uélés, isolées.

Paulis et tout l’Est manquent cruellement de carburant. « Ravitailler tout cela par camion, c’est un bordel ! La ligne a été sabotée, les trains ne circulent plus. On s’en occupe. On ne peut pas laisser les Uélés en proies aux infiltrations par la frontière soudanaise. »

Bob compte sur le lieutenant Couke :

– Karl remets-moi ce train en route! Les convois, sur le fleuve, sont relancés, Il me faut ce train !

– Avec qui ?

– Prends Mendes, les Portugais. Trouve des ouvriers chez les Congolais !

Karl installe son poste de commandement dans un wagon de luxe, « un genre de salon pour les grands pontes des temps coloniaux », et… avant le cheval-vapeur! Les Belges d’avant l’indépendance, s’ils n’ont formé ni officiers ni hauts fonctionnaires noirs, ont en revanche fait d’excellents ouvriers spécialisés congolais.

– Et maintenant, on récolte et on évacue le coton et le café !

– Avec qui, mon major ?

– Avec les rebelles, pardi !

– Et les non-ralliés, tu y as pensé ?

– Oui; le train les ralliera mieux que les fusils,

28 août. Vingt wagons démarrent en fanfare d’Akéti, après vin d’honneur, discours, clique militaire et prise d’armes. Les autorités, dont Lamouline, Mulamba et Denard, embarquent, coincés entres les wagons de coton et les citernes de pétrole. Un train armé blindé, qui fait « la rafale « à cinquante à l’heure, Bracco et Lieberg en couverture aérienne, pour rallier Buta, située à deux cents kilomètres … Une manière de western.

 


A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

A la mémoire du Colonel Denard
et des hommes qui ont servi sous ses ordres

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